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Babelsberg, de Fritz Lang à Tarantino

Par Mickabenda @judaicine
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On y a tourné les plus grands chefs-d’œuvre de l’expressionnisme et les pires films de propagande nazie. Le temple allemand du septième art fête ce mois-ci son centenaire avec une exposition permanente et le festival du film de Berlin lui consacre un hommage.

En souvenir du tournage d’Inglorious Basterds (2009), le musée du Cinéma de Potsdam expose le sweat à capuche que portait Quentin Tarantino sur le plateau des studios Babelsberg, situés à proximité.

Mais le réalisateur américain n’a finalement qu’un rôle mineur dans l’exposition “Traumfabrik – 100 Jahre Film in Babelsberg” [L’usine à rêves – 100 ans de cinéma à Babelsberg], l’exposition permanente qui célèbre le centième anniversaire des studios Babelsberg, dont la construction a débuté en novembre 1911.

Le cinéaste vedette, qui, comme de nombreux autres grands noms du septième art, s’est plu à Babelsberg, est relégué à l’arrière-plan. Des grands noms comme lui, des tyrans des plateaux ou des prestidigitateurs excentriques à la Hitchcock, les commissaires de l’exposition ont visiblement fait peu de cas.

Le concept de l’exposition est davantage centré sur les métiers du cinéma et le caractère industriel de la fabrication d’un film. “Nous montrons la genèse d’un film depuis l’idée originale jusqu’à sa sortie en salles”, résume Bärbel Dalichow, directrice du musée du Cinéma de Potsdam.

Une approche sans doute astucieuse. Après tout, même s’ils ont vu le jour un an après Hollywood, les studios Babelsberg sont considérés comme le berceau du cinéma en tant que Gesamtkunstwerk, œuvre d’art totale et collective.

Dès le départ, la Bioscop, première société cinématographique à emménager dans les lieux, a mis en place une “manufacture de rêves”, réunissant metteurs en scène, scénaristes, acteurs, artisans, techniciens et producteurs. Selon les termes du critique de cinéma Enno Patalas, la création et la production cinématographiques formaient à Babelsberg une “équation idéale”.

Si l’appellation d’“usine à rêves” trompe un peu son monde en évoquant davantage Hollywood que Babelsberg, l’exposition installée dans les écuries de l’ancien château de Potsdam n’en possède pas moins une forte puissance d’évocation : de l’idée originale à la cérémonie des Oscars en passant par l’écriture du scénario, le choix des comédiens, la réalisation des décors, les enregistrements en studio, le montage, la synchronisation, la composition de la bande-son et la distribution, le visiteur sillonne le labyrinthe qu’est la fabrication d’un film.

Les étapes sont illustrées par des objets, des animations et des photographies. Des décors de studio, des tables de montage où l’on peut monter soi-même un film, et une salle de projection permettent au visiteur de “revivre” le processus de création d’un film.

Bärbel Dalichow et son équipe ont illustré les neufs modules de l’exposition par “cent histoires de Babelsberg”, qui célèbrent les grandes heures de l’UFA [Universum Film AG, la grande société de production des années d’avant-guerre, 1917-1945], de la Defa [Deutsche Film AG, le studio d’Etat de la RDA, 1946-1990] et des actuels studios Babelsberg.

Y sont notamment relatées les histoires de scénarios marquants (Nu parmi les loups, de Frank Beyer, 1963), de comédiens célèbres (Marlene Dietrich, Hildegard Knef ou Kate Winslet) ou encore de décorateurs comme Otto Hunte (Les Nibelungen, de Fritz Lang, 1924) et Uli Hanisch (L’Enquête, de Tom Tykwer, 2009).

Incarnations des trois époques des studios Babelsberg, les noms de Fritz Lang (Metropolis, pour l’UFA, 1927), Heiner Carow (La Légende de Paul et Paula, pour la Defa, 1973) et Roman Polanski (Le Pianiste, 2002 ; The Ghostwriter, 2010) figurent dans l’exposition, distillés de-ci de-là parmi les quelque 500 objets et 350 extraits de films présentés.

Et c’est bien le premier problème de cette exposition permanente : au lieu de se concentrer sur quelques pièces majeures évoquant l’histoire de Babelsberg, les commissaires de l’exposition ont misé sur la quantité.

Or, quantité n’est pas toujours synonyme de qualité. A moins qu’il ne faille en blâmer la municipalité de Potsdam. Au vu de l’importance du lieu, celle-ci aurait dû opter pour un musée plus vaste : compte tenu de l’histoire complexe des studios, 450 m² de superficie limitent le champ des possibles. 

Car c’est là l’autre problème de l’exposition.

Le fait que l’aspect historique ait été sacrifié au profit d’une approche positiviste fondée sur le décryptage des étapes de la fabrication d’un film paraît incompréhensible. Les studios Babelsberg ne sauraient être réduits à une version allemande de Hollywood. Ils sont un reflet fidèle de l’histoire de l’Allemagne.

C’est en 1912 que retentit le premier clap, marquant le début des tournages dans les studios Babelsberg. Grâce à la proximité de Berlin et aux conditions de tournage idéales, avec ses hangars couverts, le complexe cinématographique connaît un essor rapide et attire des cinéastes de renom. Des classiques du cinéma muet comme Le Golem, de Paul Wegener (1920), Metropolis (1927) et La Femme sur la lune (1929), de Fritz Lang, y sont nés et comptent aujourd’hui parmi les chefs-d’œuvre du cinéma expressionniste. En 1929, l’UFA édifie la Tonkreuz [croix du son].

Composé de quatre ailes, ce bâtiment abritait le matériel d’enregistrement le plus en pointe de l’époque, avec ses quatre studios distribués selon un plan en croix. Dès 1933, Babelsberg devient l’un des centres névralgiques du régime nazi. Goebbels fait de l’UFA un instrument de propagande. Les studios sont agrandis et les vedettes du cinéma nazi s’installent dans le quartier résidentiel voisin, sur les rives du Griebnitzsee. Plus d’un millier de films y verront le jour durant cette période, parmi lesquels le pamphlet antisémite Le Juif Süss [de Veit Harlan, 1940]. Mais la cadence de production de l’industrie cinématographique nazie masque le déclin des studios : les réalisateurs quittent l’Allemagne, les artistes juifs sont licenciés, déportés et assassinés. Le septième art s’appauvrit.

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la Defa tente de donner une deuxième vie aux studios. Les assassins sont parmi nous, de Wolfgang Staudte (1946), avec Hildegard Knef, est la première production d’après-guerre à Babelsberg, où plus de 700 films seront tournés jusqu’en 1990. Babelsberg devient autant le haut lieu des dissidents du septième art que des apologistes de la RDA.

A la chute du Mur, le complexe est mis en vente par la Treuhand [l’organisme chargé de la privatisation des entreprises d’Etat est-allemandes] et les studios sont privatisés [vendue à la Générale des eaux en 1992, puis revendue à un groupe d’investisseurs en 2004, Studio Babelsberg AG est une entreprise cotée en Bourse depuis 2005].

Aujourd’hui, le site accueille aussi bien les grosses productions que les séries télévisées, ainsi qu’une école de cinéma [la célèbre Hochschule für Film und Fernsehen Konrad Wolf]. Une exposition célébrant le 100e anniversaire des studios aurait dû refléter cette histoire, porter un regard critique sur elle et se poser cette question : y a-t-il des zones sombres et pourquoi ?

A cela, “Traumfabrik” n’apporte pas de réponse.

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