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Trois couleurs

Publié le 25 février 2012 par Egea

Beaucoup d'entre vous sont probablement abonnés aux éphémérides d'histoire militaire du LCL Plantec. L'autre jour, il nous parle des trois couleurs : un très beau texte, écrit par le Lcl Pierre Garnier de Labareyre (conservateur du musée du génie). Avec l'autorisation des deux, je le reproduis ici avec tous mes remerciements.

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L’HISTOIRE DE TROIS COULEURS

Tous signes, emblèmes, drapeaux, couleurs, symboles ont une signification ou véhiculent une idée. Un symbole n’est pas neutre. Tel est le cas des drapeaux des nations. Leur naissance est souvent liée à l’histoire du pays, de l’Etat ou de la nation.

Un drapeau est composé de couleurs qui ont, chacune, une histoire. En effet, leur sens évolue dans le temps. Leur utilisation et leur perception chez les hommes varient en fonction des idées, des modes et aussi des techniques.

Aussi, avant de se remémorer l’histoire de notre drapeau, il est intéressant de s’attarder sur les trois couleurs qui le composent afin de mieux comprendre les possibles raisons de leur présence.

LE BLEU

La couleur bleue est, par excellence, la couleur de la France. Elle est portée sur les maillots des équipes sportives, sur les carrosseries des voitures de compétition …Le bleu est donc associé à la France.

D’ailleurs, très tôt, cette couleur est liée à notre pays.

Tout d’abord, le fond des armoiries de la famille royale est bleu. Les armes de France, d’abord d’azur semé de fleurs de lys d’or puis d’azur à trois fleurs de lys d’or sous Charles V , sont apparues vraisemblablement sous Philippe Auguste vers 1180. Or, à cette époque, le bleu est peu employé et n’est présent que dans 10% des armoiries. Alors, pourquoi les capétiens ont-ils usités cette couleur ? Il semble qu’ils en aient repris l’usage à l’imitation de Clovis et des mérovingiens. En effet, Clovis aurait choisi cette couleur en hommage à Saint Martin, ancien évêque de Tours au IVème siècle. La légende veut que le célèbre manteau de cet ancien officier de l’armée romaine, pourpre à l’origine et exposé à la vénération des fidèles, ait viré de couleur et soit perçu comme bleu.

A la fin du XIIème siècle, le bleu est associé à la vierge dont le culte ne cesse de croître en Occident. A la même époque, les verriers mettent au point la couleur « bleu de Chartres » expérimentée sur l’abbaye de Saint Denis à l’initiative de l’Abbé SUGER. Le bleu est aussi utilisé dans les habits. A partir du XVème siècle, le bleu est perçu comme la plus belle couleur et la plus noble. Aussi, au XVIIIème siècle, la présence du bleu dans les armoiries françaises dépasse 50%.

Sous la Révolution, l’uniforme de la Garde nationale de Paris est bleu. Cette couleur se généralise et devient, après la proclamation de la République, celle des uniformes des soldats. Dès lors, les « Bleus » sont les partisans de la Révolution par rapport « aux blancs », partisans du retour de la monarchie. Le bleu est alors la couleur des révolutionnaires mais au cours du XIXème et du XXème siècle, il devient progressivement celle des centristes puis celle des conservateurs.

Si, de la Restauration jusqu’à la Première Guerre mondiale, l’uniforme des soldats est à dominante rouge notamment avec le célèbre « pantalon garance », il retourne au bleu en 1915.

Aujourd’hui, le bleu reste, tant en France qu’en Europe, la couleur préférée.

LE ROUGE :

La couleur rouge a une histoire très mouvementée. Au départ, le rouge ou plus exactement le pourpre est, par excellence la couleur impériale tant sous Rome que dans l’Empire Byzantin. Au début du XIIème siècle, cette couleur est très employée notamment dans l’héraldique. Au XIIIème siècle, plus d’un tiers des armoiries ont une dominante gueules (c’est la dénomination de la couleur rouge dans la science héraldique). Dans la tradition chrétienne, le rouge est la couleur des martyrs. D’ailleurs, aujourd’hui encore, dans la liturgie catholique, les habits sacerdotaux du prêtre officiant porte la couleur rouge lors des célébrations, le jour d’une sainte ou d’un saint martyr ainsi que pour les « grandes fêtes » comme les Rameaux ou la Pentecôte.

Le rouge est souvent synonyme de richesse et de fête. Du Moyen-Age jusqu’à la fin du XVIIIème siècle, notamment dans la paysannerie française, la robe de la marié est rouge! Le rouge était aussi la couleur de l’oriflamme de Saint Denis. A partir du XIIème siècle, les rois de France utilisèrent cette oriflamme lors d’expéditions militaires ou de guerre avec l’étranger. Cet étendard devient alors pendant près de trois siècles, le symbole militaire de la dynastie capétienne et du royaume de France . La dernière bataille où il fut déployé est la funeste défaite d’Azincourt en 1415.

Jusqu’à leur suppression sous Louis XV, les galères royales arboraient le pavillon rouge.

De même, le drapeau de Picardie, régiment d’infanterie qui deviendra sous la révolution le 1er régiment d’infanterie (1791), possède un drapeau à la croix blanche cantonnée de rouge.

A coté du rôle militaire, toujours au XVIIIème siècle, le drapeau rouge est un signal préventif et d’ordre. En effet, on déployait un tissu rouge pour prévenir la population en cas de danger et, si nécessaire, lui demander de se disperser. Le rouge est donc associé aux lois contre les regroupements parfois même à la loi martiale. Au début de la révolution, le rouge est clairement un signal de danger et d’appel à la force publique.

Le drapeau rouge change de signification à l’issue de la journée du 17 juillet 1791. Sur le Champ de Mars, la foule rassemblée est prise à partie par la garde nationale qui tire dessus avant sa dispersion demandée par les instances municipales par le déploiement du drapeau rouge. Dès lors, le drapeau rouge, « teinté de sang » du peuple devient le symbole du peuple « opprimé ou révolté ».

Deux fois, le drapeau rouge a failli devenir l’emblème de notre pays. Le 25 février 1848, Lamartine, par sa verve, réussit à écarter cette couleur . En 1871, il est l’emblème de la commune de Paris insurgée qui s’effondre sous les assauts de l’armée légaliste et nationale.

Dès lors, le rouge devient la couleur de la révolution sociale et du socialisme international.

Les régimes communistes utilisent donc principalement cette couleur.

En 1917, la révolution bolchevique l’adopte et en fait le drapeau de la Russie puis de l’U.R.S.S. avec la faucille et le marteau en sautoir surmontés d’une étoile le tout d’or sur le canton dextre. Libéré du joug communiste en 1991, la Russie reprend ses couleurs ancestrales : blanc, bleu, rouge.

LE BLANC :

La couleur blanche a toujours eu un rôle particulier dans la plupart des civilisations. Le blanc a été, au XIXème et au début du XXème siècle, considéré comme une non couleur. Cela n’a pas toujours été le cas particulièrement au Moyen-age.

Selon la Bible, le blanc est la couleur de la maison de David. Elle est donc celle du roi Salomon et celle du Christ. Elle y puise la symbolique de pureté, de l’innocence mais aussi de la grandeur. Le blanc est associé à la lumière divine.

Le mot « blanc » est issu d’un mot d’origine germanique qui signifie « brillant, clair ». Le terme « arme blanche » (attestée dès la fin du XVIIème siècle) se rapproche de cette signification étymologique en qualifiant les armes à lame ayant un métal ni bronzé, ni doré, ni gravé.

En héraldique, le métal argent est représenté par la teinte blanche. Ce métal était sensé représenter les vertus d’espérance, de pureté et de justice.

Hors d’Europe, en Asie et en Afrique noire, le blanc est la couleur du deuil. Cette tradition est présente en Europe où les reines issues de la famille des Bourbon prenaient le deuil en blanc.

Dans presque toute l’Europe, à partir du XVIème siècle, elle est la couleur du commandement. Les généraux et chefs de guerre portaient souvent une cravate ou une écharpe blanche. Le drapeau colonel de la compagnie colonel (c’est-à-dire celle dépendant directement du colonel, commandant le régiment) est blanc. Les drapeaux d’ancien régime des régiments portaient une croix blanche. Seuls les cantons disposaient de couleurs qui variaient avec chaque corps. Le blanc s’est maintenu comme marque de commandement militaire jusqu’au XXème siècle en France avec l’écharpe blanche et les plumes blanches des bicornes des maréchaux et généraux.

La révolution de 1789 fait du blanc le symbole de la monarchie de droit divin mais surtout le symbole de la contre-révolution. Partout, les contre-révolutionnaires remplacent la cocarde tricolore, devenu national en 1790 puis obligatoire , par la cocarde blanche. Dans l’ouest de la France, l’armée catholique et royale possède des drapeaux blancs sur lesquels sont ajoutées des fleurs de lys d’or ou les armes de France. Dans les armées des émigrés, les soldats portaient souvent un brassard blanc. Sous la restauration, Louis XVIII abandonne le drapeau tricolore et établit un drapeau du même type que celui des armées vendéennes .

Entre temps, le drapeau blanc uni prend une signification qu’il conserve encore aujourd’hui : celui de la reddition, de la capitulation ou d’une trêve. Il semble que, dès le Moyen Age, cette signification est déjà cours.

Enfin, à la fin du XIXème siècle, le blanc devient la couleur représentative de la Sainte Vierge, mère du Christ, avec la proclamation du dogme de l’immaculée conception.

LE DRAPEAU TRICOLORE

L’origine du drapeau tricolore date de la révolution française. Néanmoins, l’association du bleu, du blanc et du rouge est bien antérieure à cette période.

En effet, les gardes français et les gardes suisses de la Maison du roi portaient un uniforme associant les trois couleurs avec une prépondérance du bleu pour les français et du rouge pour les suisses. De même, la livrée des serviteurs du roi était composée de ces trois couleurs. Cette combinaison de couleurs est attestée dès les Valois (Charles V) puis chez les Bourbon.

Ainsi, le 17 juillet 1789, lorsque Louis XVI attache la cocarde bleue et rouge, que lui offre le maire de Paris Jean-Sylvain BAILLY ou bien le Marquis de Lafayette sur la cocarde blanche qu’il arbore sur son chapeau, la réunion des trois couleurs ne peut en aucun cas offusquer ce monarque qui y est habitué . Mais pourquoi le bleu et le rouge ? Saint Denis, martyr, est le saint patron de la ville de Paris. Sa couleur est le rouge. C’est sans doute pour cette raison que le champ des armes de Paris est de gueules. Au début du XVème siècle, les armes de France (d’azur semé de fleurs de lys d’or) font leurs apparitions au chef des armes de Paris. Ainsi, le bleu et le rouge, couleurs de fond des armoiries de Paris, sont naturellement prises par les révoltés.

Il existe aussi une autre raison.

Dans la deuxième moitié du XVIIIème siècle, le bleu, le blanc et le rouge sont souvent utilisés par les partisans du changement ou des nouvelles idées. En effet, ces couleurs sont celles du drapeau de la toute nouvelle république des Etats-Unis d’Amérique, elles-mêmes issues du drapeau britannique « l’Union Jack ». Ainsi, lors de la « création » de la cocarde tricolore par Lafayette, celui-ci, héros de la guerre d’indépendance des Etats d’Amérique, doit certainement songer à la symbolique très forte à laquelle revoie la combinaison de ces trois couleurs.

Le 28 mars 1790, la Constituante interdit le port de cocardes autre que bleu-blanc-rouge. Le 10 juin, cette cocarde est déclarée « nationale ». Le 14 juillet 1790, lors de la fête de la Fédération, le Champ de Mars est entièrement pavoisé de bleu, de blanc et de rouge. A cette date, les trois couleurs combinées symbolisent totalement les idées nouvelles de la Révolution.

C’est en 1790 que les trois couleurs entrent dans l’histoire militaire de la France. Deux décrets, datés du 22 et 24 octobre, instituent, d’une part, le remplacement de la cravate blanche par une cravate tricolore sur les emblèmes des régiments et, d’autre part, un nouveau pavillon de nationalité pour les bateaux de la Marine. Ce nouvel emblème est blanc avec, au franc-quartier dextre , le rouge, le blanc et le bleu disposés en pal .

Cette intrusion des trois couleurs sur les emblèmes militaires ne va pas cesser de se renforcer jusqu’à la fin de l’Empire.

  • Le 22 avril 1792, une loi institue, dans l’infanterie seulement, un drapeau régimentaire avec les trois couleurs dans une disposition qui doit varier pour chaque régiment.
  • Le 15 février 1794 (27 pluviôse, an II), la Convention adopte la position des couleurs : le bleu à la hampe, le rouge flottant, le blanc entre les deux, le tout en trois bandes verticales de même largeur. Il semble que seule la Marine ait utilisé ce drapeau à cette date.
  • Sous l’Empire, le nombre de formation possédant un emblème augmente. En 1804, Napoléon 1er impose un emblème unique pour toutes les formations de toutes les armes atteignant un certain effectif. Ce nouveau drapeau est composé d’un carré blanc posé sur une pointe permettant de former quatre triangles dans les coins dont deux en bleu et deux en rouge.
  • Enfin, en 1812, l’Empereur reprend la disposition des trois couleurs adoptée par la Convention en 1794 : trois bandes verticales avec le bleu à la hampe et le rouge flottant.

Dès lors, le drapeau tricolore, pavillon national, ne changera plus de forme. Après son éclipse durant la Restauration (1815-1830), il n’a plus cessé d’être le symbole de la France.

En 1848, Lamartine proclame : « La France et le drapeau tricolore, c’est une même pensée, un même prestige, une même terreur au besoin pour nos ennemis ».

Le Second Empire conserve les Trois couleurs et les dispositions préalables.

Sous la troisième République, les trois couleurs ne sont plus contestés et rassemblent, dès lors, l’immense majorité des Français .

La constitution de la Vème République cite nommément, dans l’article 2, les trois couleurs qui composent le drapeau français et leur positionnement. Cependant la nuance des teintes n’est pas définie et est laissée à l’appréciation de chacun.

La France possède donc un emblème national se rattachant à sa longue histoire et à une tradition symbolique très marquée. Elle s’identifie totalement à son drapeau. C’est, peut-être, la raison pour laquelle la France est le seul pays européen à ne pas posséder d’armoiries. Car les Français n’en éprouvent, sans doute, pas le besoin ni l’utilité.

Peu de pays et de nations, comme la France, possèdent un symbole aussi puissamment ancré dans son histoire . Chacun peut et doit y puiser des forces pour forger un avenir à notre pays.

Les trois couleurs symbolisent bien la France d’hier, d’aujourd’hui et de demain.

Pour conclure, voici une récitation tirée d’un livre de l’école primaire datant de la fin du XIXème siècle : les trois couleurs.

  • Les connais-tu, les trois couleurs,
  • Les trois couleurs de France,
  • Celles qui font rêver les cœurs
  • De gloire et d’espérance :
  • Bleu céleste, couleur du jour ;
  • Rouge de sang, couleur d’amour ;
  • Blanc, franchise et vaillance !
  • Jusqu’à la mort on le défend
  • O sublime folie !
  • Et quand on revient triomphant,
  • Vers sa loque chérie
  • Les yeux sont de larmes remplis ;
  • Car le drapeau garde en ses plis
  • L’âme de la patrie.

CDT Pierre de LABAREYRE, Conservateur du musée du génie

BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE :

  • - CHARRIE Pierre, Drapeaux et étendards de la Révolution et de l’Empire, édition Copernic, 1982
  • - HUYON Alain, Trois couleurs et deux siècles, RHA décembre 1994
  • - PASTOUREAU Michel, les emblèmes de la France, édition Bonneton, 1998
  • - PASTOUREAU Michel, une histoire symbolique du Moyen Age occidental, édition du Seuil, 2004
  • - Revue Historique des Armées n° 1, 1958
  • - THIEBAUD Jean-Marie, dictionnaire des termes du blason, 1994
  • - ZNAMIEROWSKI, l’encyclopédie mondiale des drapeaux, 2004

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