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De l’Empire latin d’Orient a la fin de l’Empire ottoman

Publié le 06 mars 2012 par Les Lettres Françaises

De l’Empire latin d’Orient a la fin de l’Empire ottoman

revue culturelle et littéraire les lettres françaises journiac

Totem du pouvoir, de Journiac.

 Dans la conclusion de son étude touffue et sévère sur les courses à Constantinople, Gilbert Dagron affirme : « Constantinople semble parfois plus romaine que Rome. » C’était bien là l’ambition majeure de Contantinople malgrès des différences notables, aussi bien dans les arts que dans les machinations politiques, dans la religion et encore plus dans le langage, puisqu’on y parle grec. L’hippodrome des Byzantins ne ressemble pas exactement au Circus Maximus, qui a été fondé à Rome au VIe siècle avant notre ère et maintes fois remanié. Mais cet hyppodrome a permis la transposition d’une institution importante dans le monde romain. En dépit de l’hostilité de l’Église qui n’a eu de cesse de s’en prendre aux Jeux comme l’avaient fait saint Augustin ou Tertullien, les Byzantins les ont façonnés à leur manière, aussi bien pour l’architecture que pour les règles, et même pour le rôle de l’empereur, qui n’est plus son arbitre suprême. Au fil du temps les Jeux ont presque complètement changé.

Le majestueux hyppodrome, rempli de mille symboles, n’est pas seulement réservé aux partisans des quatre grandes écuries, chacune chacune caractérisée par une couleur : le bleu, le vert, le rouge et le blanc. Gilbert Dagron nous apprend qu’en fait, deux couleurs, et donc deux factions, dominaient : les verts et les bleus, les deux autres leur étant subordonnées. Celles-ci ne correspondaient pas à des quartiers, comme cela va se faire pendant la Renaissance italienne (le carnaval à Venise, le Palio à Sienne, le Calcio à Florence). Elles n’étaient pas non plus l’expression de forces politiques opposées, ni même de classes sociales distinctes. C’était plutôt l’expression d’une opposition latente du bas peuple à la fonction impériale, se traduisant souvent par des houris, parfois par de graves émeutes et même par la subversion. Au fond, les règles régissant cet univers nous échappent, et toute leur complexité ne fait que s’accroître à mesure que l’auteur apporte des précisions sur tel ou tel aspect de la politique citadine. Demeure en tout cas ce jeu dangereux des quatre couleurs (un empereur pouvait d’ailleurs choisir une couleur de son agrément pour consolider son pouvoir), dont le symbolisme était originellement clair, à Rome (vert : le printemps, la terre, Vénus ; le rouge : l’été, le feu, Mars, etc.) qui s’est ensuite chargé de toutes sortes de significations et a sous-tendu le destin de l’empire jusqu’à sa chute, en 1453. Les ouvrages les plus importants de cette longue période sont surtout des traités comme le Livre des cérémonies, où les rapports entre le populus et l’empereur sont codifiés sans que jamais on ait pu trouver une solution à cette dichotomie qui a fini par le détruire.

La dynastie turque des Osmanli a beaucoup repris des Byzantins, l’architecture, les infrastructures citadines, l’urbanisme en général, mais a abandonné les courses. L’hippodrome est devenu une ruine. Mais l’idéal politique de Rome est demeuré tel quel, sinon encore puissant.Les Turcs ont entamé, au début du XIXe siècle, une grande réforme (les Tanzimat) touchant à de nombreux aspects de la société pour transformer ce pays démesuré, qui occupe encore un quart de l’Europe, l’Arabie, les bords de la mer Noire et presque toute l’Afrique du Nord. Cette réforme revient à entreprendre son occidentalisation, dans l’armée, la marine, le commerce, l’éducation. Cela s’est produit aussi pour la peinture (on commence à apprendre la perspective et l’on envoie les élèves les plus méritants à Paris ou à Munich) comme pour la littérature. Ahmed Hamdi Tanpinar (1901- 1962), sans doute l’un des plus grands écrivains turcs de son siècle avec Pamuk (l’Institut de remise à l’heure des montres et pendules est un chef-d’œuvre), a entrepris d’écrire une somme monumentale pour parler des grands écrivains qui ont vécu avant la révolution d’Ataturk et la naissance de la Turquie moderne. Il le fait sortir de presse en 1949 et reste l’une des grandes références en ce domaine. Le livre est passionnant, même si nous ne sommes pas en mesure de lire, hélas, les auteurs dont il parle. Il y parle du théâtre et de son évolution, de la presse et du journalisme sous tous ses aspects, de l’édition, mais aussi de la situation politique et militaire de la Sublime Porte. Le nom de Tarhan (Abdulhak Hamid) ne nous dit pas grand-chose, c’est vrai. Mais quand on lit les pages qui lui sont consacrées, cette grande figure littéraire prend consistance sous nos yeux, en tant qu’homme, en tant que styliste, mais aussi en sa qualité d’écrivain témoignant de cet univers en mouvement. C’est tout l’art de l’auteur de cette histoire.

 Ce qui est fascinant, c’est que l’Empire ottoman, comme l’Empire byzantin, se soit senti l’héritier de l’antique Rome. Et la politique désastreuse des gouvernements ottomans a malgré tout ouvert la voie à la Turquie moderne, où l’on n’utilise plus les caractères arabes mais les caractères latins, et où la Constitution est inspirée de celle de la Suisse. La Turquie regarde toujours vers l’Europe et moins vers l’Asie – en dignes successeurs des Césars et des valeurs romaines, cette fois sans un pouce d’empire !

Gérard-Georges Lemaire

L’Hippodrome de Constantinople, de Gilbert Dagron, « Bibliothèque des

histoires », Gallimard, 448 pages, 29 euros.

Histoire de la littérature turque du XIXe siècle, d’Ahmed Hamdi Tanpinar, édition française établie par Faruk Bilici, traduit du turc par F. Bilici, C. Erikan, F. Fifan et G. Mete-Yuva, Éditions Actes Sud, « Sinbad », 928 pages, 38 euros.



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