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"Dubaï, la rançon du succès" de Nabil Malek

Publié le 09 mars 2012 par Francisrichard @francisrichard

Nabil Malek connaît bien Dubaï, où il s'est installé en 1993. Au début des années 2000, il y a ouvert une succursale d'une banque privée de Genève.

Le recueil de nouvelles qu'il vient de publier aux éditions Amalthée, sous le titre Dubaï, la rançon du succès, en est le témoignage. 

Toutes les histoires qu'il raconte se déroulent dans le cadre de cet émirat et sont frappées au coin de la vérité, même si les noms des personnages, pour des raisons évidentes, ont été modifiés.

Dubaï n'a pas de pétrole, ou très peu, ni de richesses naturelles, mais elle a un souverain intelligent, le cheikh Al Maktoum. Ce dernier a en effet donné carte blanche à son frère, le cheikh Al Mohammed, qui d'ailleurs lui succédera en 2006, et qui est, même sous le règne de son frère aîné, le véritable maître tout-puissant de l'émirat. 

Cheikh Mohammed est un entrepreneur de prince. Il a développé son petit pays en se lançant dans les affaires avec pour objectif d'offrir ce qu'il y a de meilleur dans les domaines de croissance choisis, l'immobilier et le tourisme, et en appliquant, très utilitairement, les mécanismes du marché sans en adopter pour autant la philosophie. Ainsi la compagnie aérienne dubaïote, Emirates, qu'il a créée, va-t-elle bientôt éclipser toutes les autres compagnies locales par la qualité de ses services. 

Sur cet émirat, qui est le deuxième par la superficie de la Fédération des Emirats arabes unis, le marché immobilier est libéré un beau jour, en ce sens que les étrangers peuvent dorénavant acquérir des immeubles par le fait du cheikh, despote éclairé, mais despote. Ces divers étrangers représentent plus de 90% des habitants du pays. Ils ont été attirés par le succès de l'émirat. Il n'y a pas d'impôts dans ce pays, mais, pour eux, l'eau et l'électricité sont plus chers que pour les autochtones, préférence nationale oblige.

Le père de Cheikh Maktoum, Cheikh Rachid, par le même fait du cheikh, avait déjà permis à ses sujets de s'enrichir en acquérant des agences de grandes sociétés multinationales... Il faut reconnaître que le succès économique est au rendez-vous et que Dubaï est devenu aussi la grande place financière du Moyen-Orient. Parce les mécanismes jouent. Mais ce succès, rapide, donnant le tournis, est-il pérenne ? Rien n'est moins sûr, parce qu'il reste artificiel.

Le marché de l'immobilier, par exemple, qui, au début, a permis cette croissance, est pipé par les passe-droit qu'obtiennent les intermédiaires obligés que sont les sponsors imposés par l'Etat, lequel possède la plus grande part de l'économie dubaïote, via trois conglomérats, un spécialisé dans l'immobilier, Emaar, un deuxième également spécialisé dans l'immobilier avec la société Nakheel, mais spécialisé aussi dans les activités du port de Jebel Ali, le troisième, Dubaï Holdings, ayant la haute main sur les zones franches.

Les tentatives de réglementer les prix de l'immobilier ne font que pervertir ce marché. Les expropriations transforment les anciennes terres et maisons en centres commerciaux et villas de luxe. La concurrence est faussée et ne s'exerce réellement qu'entre deux des conglomérats princiers. De ce fait les marchés n'émettent plus de signaux. La bulle finit par éclater, la banqueroute par être évitée toutefois, grâce au pétrole de la Fédération des Emirats et, principalement, grâce à celui d'Abu Dhabi. 

Dubaï, capitale du néolibéralisme effréné ? C'est tordre la signification des mots. En quoi s'agit-il encore de libéralisme ? Ce n'en est qu'une caricature, bien éloignée de la philosophie libérale à la base du capitalisme libéral et du libéralisme tout court, même si les résidents de Dubaï ne payent pas d'impôts et que des zones franches y accueillent des centaines d'entreprises. Il s'agit en fait d'un capitalisme d'Etat, où la presse n'a d'ailleurs pas d'autre liberté que de celle de flatter la magnificence de Dubaï... 

A Dubaï sévit un étatisme, à la mode musulmane et au droit islamique, inspiré cependant en partie des Lumières. Ce qui constitue un surprenant et détonant cocktail. L'envers de ce décor à paillettes, ce que Nabil Malek appelle la rançon du succès, nous est dévoilé par touches successives dans les nouvelles qu'il a écrites et qui se déroulent dans un pays exotique, au climat torride, qui serait insupportable sans la clim.

Ces nouvelles sont des leçons de vie, qui pourraient tout aussi bien nous être données sous d'autres cieux, si elles ne comportaient pas de spécificités locales. En effet, à Dubaï, comme ailleurs, le bien-être matériel, au lieu, hélas, de libérer les esprits pour les élever, les asservit, de même que les corps, d'une tout autre manière, comme si les hommes après avoir échappé à la misère matérielle ne pouvaient pas échapper à la misère morale.  

Les contreparties du développement économique de Dubaï sont la prostitution de filles de l'Est, encadrée par de véritables esclavagistes, les escroqueries montées à partir de réputations usurpées, les privilèges accordés à certains proches du régime, la corruption qui en caractérise d'autres, les soirées fastueuses et indécentes de luxe, où des parvenus imbus d'eux-mêmes se pavanent, le traitement inhumain des ouvriers des chantiers de construction, les fortunes gagnées rapidement et dissipées tout aussi rapidement.

On est loin des "règles de bonne conduite" que le philosophe et économiste libéral Friedrich Hayek estimait, dans son livre Droit, législation et liberté, nécessaires au bon fonctionnement d'une société et d'une économie libres ...

Nabil Malek est à la retraite depuis 2008. Il est revenu en Suisse à ce moment-là, un an après sa petite famille. Il peut enfin se consacrer à l'écriture, qui est sa véritable passion et, vraisemblablement, une ancienne aspiration. Le recueil de trente-cinq nouvelles qu'il vient de publier est certes une oeuvre de pure fiction, en ce sens, que, de ces histoires "vraies, parfois autobiographiques, ou encore basées sur des faits divers", l'écrivain, qui sommeillait en lui, a modifié les faits et certains lieux.

Il prête à ses personnages et au narrateur des opinions qui ne sont pas forcément les leurs ni les siennes. Il donne également son interprétation personnelle sur la vie et le parcours des nombreux protagonistes sans être sûr de rien à leur propos, tellement ils peuvent être parfois impénétrables. Il révèle leurs malaises, leurs joies et leurs aspirations, "dans le tourbillon de Dubaï, une ville qui se réinvente continuellement" et on sent qu'il en garde un souvenir ému.

Grâce à Nabil Malek et à ses talents de narrateur, le lecteur vit par procuration plusieurs vies, dans un dépaysement complet. Après avoir habité de nombreuses heures ce gros volume, il ne peut être que triste d'en avoir terminé la lecture et de devoir le quitter, après avoir partagé le destin de tels personnages, qui, le moins qu'on puisse dire, sont tous singuliers et incomparables, tout en reflétant bien les multiples facettes de notre époque.

Francis Richard

Dubaï, la rançon du succès, de Nabil Malek, 440 pages, Editions Amalthée ici     


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