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Le troisieme jour ou le roman terrible de Chochana Boukhobza

Publié le 15 mars 2012 par Ananim

J’ai refermé « Le troisième jour » ce matin, en sortant du tram.J’étais bouleversée,j’étais triste, j’étais amère.J’ai marché cent mètressans penser à rien et en relevant la tête je me suis que je devais vous écrireparce que j’étais en colère.
J’ai été transportée parvotre livre. Je l’ai trouvé bouleversant, très bien écrit, parfaitement mené.Vos personnages sont fins, palpables, creusés et réels. Vous maitrisez latechnique du roman chorale, vous nous emportez dans les abîmes infernaux desdilemmes moraux qui se posent aux personnages. Vos mots sont sensibles. Ilssont pesés. Ils sont délicats. Ils sont beaux. Et pour toutes ces raisons, onpeut dire que votre roman est un bijou.
Pourtant – laissons pourl’instant de côté la fin qui m’a profondément troublée – votre roman m’a gênée.Votre peinture de Jérusalem, d’Israël et des Israéliens est trop noire. A vouslire, Israël est une terre de chaos, de déchirements et de bouleversements – cequ’elle est certainement – mais entre vos lignes, elle n’est rien d’autre. Jamaisvous ne laissez transparaitre cette envie de vivre communément partagée, ce désirde profiter coûte que coûte du moment présent, ce désir d’être heureuxprofondément réel.
Quand vous dépeignez TelAviv la nuit, vous la racontez à l’ombre d’un ciel que l’on imagine obscur mêmeen pleine journée. Vous oubliez les bars, l’agitation, les rencontres d’unsoir, les fêtes sur les balcons, dans les studios et dans les penthouses, lesbeuveries, la gay pride, le marathon, les rues bondées et joyeuses du vendredi matin,les couleurs du shouk Hacarmel. Vous oubliez les disputes dans la rue, lespleurs des bébés, les familles bourgeoises qui traînent leurs chiens, lesparties de matcot sous le soleil des samedis apres-midi au printemps.
Je connais beaucoupmoins Jérusalem mais si vous décrivez une ville colorée, parfumée et mystérieuse,votre Jérusalem est aussi profondément terne, un peu comme un antre quipermettrait à l’histoire de refermer ses griffes une à une, à chaque pas, surceux qui s’y aventurent. Vous la dépeignez comme le cœur même du chaos, de lahaine, de l’irréparable, vous en faites le paroxysme du conflit. Vous nousdites que c’est la guerre, que chacun a ses raisons de haïr l’autre et que laréconciliation est impossible à l’image de la lourdeur des destins qui s’ycroisent. Jérusalem est un enfer. Exclusivement. Et c’est bien cela que je vousreproche.
Israel est une terre dedeuils, de déchirures et de bouleversement, c’est indéniable. C’est un pays deguerre et d’attentats, de haine et de conflit. Mais enfin, ca n’est pas que ca.
Les destins de vospersonnages sont tous contrariés par le pays lui-même. Il y a les déracinés (lesparents de Rachel ou leur voisine), il y a les endeuillés (Elisheva, la familled’Eytan), il y a ceux qui ont réussi à fuir (Rachel) mais ça n’était qu’unleurre parce qu’ils sont eux aussi rattrapés par ce pays aux mille tentacules. Entrevos mots, Israel n’est pas un pays, c’est un destin. On ne peut échapper à ladétresse qu’il engendre parce qu’à un moment ou un autre, il déchirera votrefamille, il vous fera perdre un proche, il vous mènera devant un gouffre etvous déciderez ou non de sauter. Parfois on vous y poussera.
Dans votre descriptionde la jeunesse israélienne, vous montrez bien la solidité des liens que l’oncrée à l’école et à l’armée mais vous montrez encore mieux les antagonismes,les divisions politiques et l’amertume. Si à 25 ans, on est encore amis, vousle dites vous-même, dix ans plus tard, la politique nous aura séparés. Vous oubliezles amitiés indéfectibles, le cosmopolitisme, l’enthousiasme, la curiosité et cettevolonté de vivre à tout prix, d’être heureux et cette capacité proprementisraélienne à se relever et à avancer.
Votre  peinture d’Israel est terrible. La mort est àtous les coins de rue, on se cogne sans arrêt à une réalité violente, profondémentobscure. Entre vos lignes, les couleurs du marché de Mahane Yehuda sont tropvives. Au lieu de ces magnifiques nuances qui s’étalent à l’infini, ces arcs-en-cield’épices orangées, vous nous montrez du rouge. Dans votre roman, on ne voit quele sang.
Votre Jérusalem est écorchéevive, Elle est douloureuse. Votre Tel Aviv est juste moderne. Elle est plate
Et cette fin ?
Vous laissez gagner lesnazis. En impliquant Rachel dans lachasse aux nazis puisqu’au final, c’est elle qui tire, vous plongez la nouvellegénération dans le chaos duquel la précédente ne s’est jamais sortie. Maispourquoi ? Pourquoi la condamner elle aussi ? N’est-ce pas suffisantqu’Elisheva ait vu sa vie gâchée et détruite par l’Enfer des camps ? PourquoiRachel doit-elle porter sur la conscience, le meurtre de ce vieux monstre ?
Vous oubliez le reste.Vous oubliez le bruit, l’agitation, les rassemblements sur Kikar Rabin, vousoubliez les réussites high-tech – d’accord votre roman se passe dans les années90 mais il y avait déjà à cette époques de merveilleuses réussites économiques- les terrasses bondées, les cris de joie, les voyages au bout du monde, lesretours dans le cocon familial chaleureux, les houppas dressées devant la merzébrée par les rayons du soleil, la splendeur du Golan, la beauté authentiquede Yafo, l’apaisement qui tombe sur le pays a l’entrée de Shabbat.
Vous oubliez, qu’Israëlest devenu, petit à petit, un pays comme les autres.Vous oubliez que le volonté de vivre y est, à l’image de tout ce qui s’y passe, exagérée, amplifiée, omniprésente.Vous oubliez que lesplaies cicatrisent.Vous oubliez, Madame,que la capacité à se relever pour avancer est ancrée dans le destin de ce pays.Et que c’estcertainement ça, aussi, la force du peuple juif.

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