Magazine Culture

Max | Antonio Tabucchi

Publié le 27 mars 2012 par Aragon

nocturne.jpgMort d'Antonio Tabucchi, grand d'Italie

Créé le 25-03-2012 à 21h39 - Mis à jour le 26-03-2012 à 11h04    Réagir

Le Nouvel Observateur Par Le Nouvel Observateur

L’auteur de «Nocturne indien» vient de mourir à Lisbonne, à l’âge de 68 ans. Didier Jacob l’avait rencontré, en 2002, lors de la sortie de «Il se fait tard, de plus en plus en tard», qui se composait de dix-sept lettres à des amantes imaginaires.

Share1
  • Réagir

Né à Pise en 1943, Antonio Tabucchi était le fils d’un marchand de chevaux de Vecchiano, en Toscane. Il étudie la philologie romane, découvre l’œuvre de Pessoa puis le Portugal, y rencontre son épouse, Marie-José de Lancastre, avec laquelle il aura deux enfants, Teresa et Michele. Membre du Parlement international des Ecrivains, il était l’auteur d’une vingtaine de livres, parmi lesquels figure notamment « Nocturne indien » (prix Médicis étranger en 1987), qui fut adapté au cinéma par Alain Corneau. On a appris sa mort, à Lisbonne, ce 25 mars 2012. Il avait 68 ans. (SINTESI/SIPA)

Né à Pise en 1943, Antonio Tabucchi était le fils d’un marchand de chevaux de Vecchiano, en Toscane. Il étudie la philologie romane, découvre l’œuvre de Pessoa puis le Portugal, y rencontre son épouse, Marie-José de Lancastre, avec laquelle il aura deux enfants, Teresa et Michele. Membre du Parlement international des Ecrivains, il était l’auteur d’une vingtaine de livres, parmi lesquels figure notamment « Nocturne indien » (prix Médicis étranger en 1987), qui fut adapté au cinéma par Alain Corneau. On a appris sa mort, à Lisbonne, ce 25 mars 2012. Il avait 68 ans. (SINTESI/SIPA)Mots-clés : Antonio Tabucchi, décès, portrait, Pereira prétend, Nocturne Indien, Portugal Sur le même sujet
  • » Passage de témoin (par Antonio Tabucchi)
  • » Décès de l'écrivain italien Antonio Tabucchi
  • » «Le temps vieillit vite», dernier livre d'Antonio Tabucchi (par A. Armel)
  • » Un article volé à Antonio Tabucchi
  • » Alain Corneau, le cinéaste qui aimait la littérature

Longtemps, Antonio Tabucchi rêva d’être astronome. Il tenait cette passion d’un grand-père anarchiste qui, certaines nuits obscures où elles tombaient en pluie, l’emmenait sur les collines observer les étoiles. Parfois, ils en ramenaient dans un papier qui scintillait vaguement tandis qu’ils cheminaient silencieusement à travers la campagne. Après quoi l’enfant s’endormait en songeant aux constellations que le vieil homme avait dites. Le ciel était son tableau noir, la voie lactée, son chemin des écoliers.

Cinquante ans plus tard, Tabucchi a plus que jamais la tête dans les nuages. Son dernier livre, une suite de lettres d’amour et d’adieu adressées par dix-sept expéditeurs mystérieux à autant de compagnes imaginaires, sont un vagabondage en terre indécise où l’auteur redouble d’intelligence et de subtilité, de remarques inattendues et de considérations inopinées.

Il dialogue avec un astrophysicien qui songe à la finitude du monde en mâchant du chewing-gum, se moque des «grillons parlants» qui sont les messieurs je-sais-tout du savoir universel, se remémore la recette des tagliatelles à la Positano pour évoquer aussitôt la mort de Tchekhov, d’une île grecque enfin prend le bateau de l’écriture pour se retrouver à Naples ou en Toscane, dans la fraîcheur d’un café, d’une église, d’un souvenir qui soudain déploie son ombrage. Le monde est pour Tabucchi un jeu de l’oie où d’avancer le fait toujours reculer de trois cases.

Tabucchi l’enchanteur

C’est que Tabucchi l’enchanteur n’est plus seulement ce condamné aux songes forcés, qui préféra toujours les vicinales aux routes mieux goudronnées, et les brumes légères du rêve à «l’irrémédiable arrogance des choses qui sont». Cette œuvre magnifique, gouvernée jusqu’alors par les seuls coups de dés qui embellissent le hasard, semble de plus en plus se draper dans les habits noirs de la nostalgie.

Je vais ça et là, sans logique, je m’attarde dans les bistrots jusqu’à la fermeture, ensuite je me lève et je marche. Le médecin m’a dit: vous êtes un cas classique d’Homo melancholicus. Mais Dürer a dessiné la mélancolie assise, ai-je objecté, pour la mélancolie il faut un siège. Votre mélancolie est différente, a-t-il décrété, il s’agit d’une mélancolie mobile. Et il m’a prescrit des exercices moteurs.»

Ainsi notre chat errant collectionne-t-il, suivant l’ordonnance du spécialiste, les paysages aimés où ses pas le portèrent, comme dans une bibliothèque imaginaire classée par kilomètres et non par ordre alphabétique.

Entre Sienne, Lisbonne et Paris

Ce professeur de littérature qui, découvrant Pessoa, mit au défi sa Fiat 500 de pousser jusqu’au Portugal, partage son temps entre Sienne, Lisbonne et Paris. Près de la rue des Saints-Pères, dans un immeuble où Marcel Schwob et Robert Pinget habitèrent autrefois, l’auteur de «Pereira prétend» évoque les méridiens ensoleillés de cette géographie intime que sont les collines de Toscane, les îles grecques et toutes les villes portuaires où il avoue aimer vivre, vagabonder, écrire.

Mais Tabucchi, c’est aussi l’homme-Babel né à quelques mètres de la tour de Pise: «La langue de la réalité, explique-t-il, de l’expérience vécue, c’est ma langue natale, l’italien. La langue dans laquelle je rêve, c’est le portugais. Mais si je me souviens d’un poème, alors c’est, hormis Leopardi, le français qui affleure le plus souvent. J’ai tant lu Villon, Baudelaire, Rimbaud qu’ils sont devenus pour moi comme un langage en soi. Et il arrive parfois, quand je suis en train d’écrire, qu’un de leurs vers, non sans arrogance, s’impose à mon esprit.»

«Le roman est une créature très patiente»

Le chaos règne ainsi, que Tabucchi conjure en ajoutant le sien propre au désordre universel. D’où, peut-être, le choix qu’il fait souvent du court récit, plus respectueux qu’il est du grand fouillis des choses: «Le roman, dit-il, est une créature très patiente. Il vous attend comme une épouse fidèle. C’est un panier à idées, à images, à personnages que l’on ajoute en route, et qui prennent naturellement leur place dans l’autobus. Alors que le texte court est plutôt une voiture à une place. Il ne supporte pas d’attendre.» C’est pourquoi, comme l’inquiet chasseur, Tabucchi se tient constamment sur ses gardes: 

Si j’ai une idée, il faut que je m’y mette tout de suite, sinon elle s’enfuit, et adieu le récit.»

C’est ainsi qu’il se mit, tandis qu’il étudiait à l’université, à griffonner plutôt qu’à écrire: «Je n’avais pas 30 ans, nous attendions notre premier enfant. C’était l’été, à Florence, il faisait chaud. Pour m’amuser, j’ai écrit quelques notes pour un roman qu’un ami, trois ans plus tard, a repéré sur ma table. Comme il était éditeur, il a décidé de le publier.» Et vogue la carrière de ce patient forgeron de l’évanescence, inspiré aussi bien de Borgès que des chansons napolitaines, et qui sait comme nul autre prendre la logique à contre-courant, et Descartes à rebrousse-raison.

Didier Jacob

«Il se fait tard, de plus en plus tard », par Antonio Tabucchi,
Christian Bourgois,
traduit de l’italien par Lise Chapuis
et Bernard Comment,
306 p., 20 euros.

=> A LIRE: Passage de témoin (par Antonio Tabucchi)

Source: «le Nouvel Observateur» du 10 janvier 2002.


Retour à La Une de Logo Paperblog