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Un texte-hommage à Malcolm de Chazal d'Umar TIMOL.

Par Ananda

Malcolm raconté par une fleur

J'avoue que je suis une fleur comme les autres. Je n'ai pas de très grandes prétentions. Je me contente d'exercer mon savoir faire. Semer à tout vent la beauté et enchanter les narines de ceux qui sont sensibles à mon charme. J’ai cependant une particularité. Il m'arrive parfois d'écrire des poèmes de même que des aphorismes. C'est mon pêché mignon et je suis d'une grande discrétion à ce propos. Je suis tenté parfois d’en parler aux autres c'est-à-dire à mes compagnes les fleurs mais elles sont sottes comme seules savent l’être les roses  (qui sont un peu les blondes du monde des fleurs mais ça c’est un autre débat). Il faut reconnaître que c’est assez pénible d’être le dépositaire d’un tel talent et de ne pouvoir en discuter avec qui que ce soit. Je me sens parfois très seule mais je me suis fait une raison. Je sais que l’artiste est condamné à la solitude, d’autant plus que dans mon cas on ne me reconnaît qu’un seul mérite, d’être belle. Machos du monde entier, je suis effectivement belle et je me tais ! Mais si je suis ici aujourd’hui ce n’est certainement pas pour vous livrer mes états d’âme, qui sont nombreux mais pour vous parler d’un événement important dans ma vie, sans doute l’événement le plus important. Il y eut certes la rencontre avec une fleur de citrouille mais c’est une histoire d’amour qui a succombé à un fâcheux obstacle : la distance. A trop s’aimer, à trop se faire les yeux doux, pardon les pétales doux, à trop demeurer sous le joug d’une impossible fusion on  a fini par en avoir marre. Ou encore la rencontre avec un photographe qui n’eut cesse de me prendre en photo, ma beauté, il faut le dire, l’avait complètement envoûté. Il m’avait fait de belles promesses et j’attends toujours, dix ans plus tard, de toucher les droits d’auteur. Mais cette conférence n’est pas le lieu de palabres, un art que nos compatriotes maîtrisent plutôt bien. Il s’agit de parler d’un homme qui a modifié le cours de l’histoire, un génie, un visionnaire, un homme que je connais fort bien, un homme qui a changé ma vie, qui a fait de moi la fleur que je suis, aphoriste et poétesse mais aussi et surtout un homme dont la vie a été changée par ma petite personne, pardon, par ma petite tige. Je devine ce que votre silence étonné révèle, mais pour qui donc se prend- t- elle, il faut arrêter cette farce, mais comment ose- t- elle donc, nous sommes des gens sérieux, il faut l’interner dans un champ de fleurs ou de cannes. Mais je persiste et signe, je suis il est vrai une petite fleur sans prétention mais cet homme a changé ma vie et j’ai changé sa vie. Je le dis sans modestie aucune, je suis à l’origine de son œuvre grandiose et vous, chers amis, qui lui devez tant, m’être redevables. Je vous invite à serrer mes pétales, mais délicatement s’il vous plaît, tout à l’heure.

Merci.


Remontons donc dans le temps…

Je demeure, à l’époque, dans un jardin, qui jouxte la maison du génie. Ma vie est des plus paisibles. Je consacre l’essentiel de mon temps à mes activités préférées, épier le soleil, mes compagnes les fleurs et les hommes. J’avoue que j’aime bien les hommes, ils se prennent très au sérieux alors que l’univers les considère avec dédain, ce qui est évidemment comico-tragique, le comique prenant souvent le dessus sur le tragique. Ils provoquent donc régulièrement des fous rires qui ornent mes pétales de magnifiques couleurs. Il faut dire, par ailleurs, que notre condition existentielle - le dasein, pardonnez ma prononciation, comme l'a expliqué Heidegger, eh oui il m'est arrivé de lire Heidegger (et Derrida  et Deleuze aussi mais je n’y ai pas compris grand-chose mais on ne va pas débattre aujourd’hui des galimatias du post structuralisme) -, nous autorise de telles activités. Que peut une fleur, après tout, espérer de la vie ? Son séjour dans le cosmos est éphémère et il est rivé, pour toujours, dans un même lieu. Il lui faut apprendre à se réconcilier à son sort, accepter le caractère immobile de son être, accepter que ses pétales se fanent et ainsi seulement elle parvient à la sagesse, au bonheur. Je me revois donc. Quarante ans plus tôt. Une fleur, heureuse d’être et sans doute réconciliée mais qui attend quelque chose. Elle ne sait trop quoi. En tout être, fleur, humain ou animal il est une part d’absence, une part d’inconnue, le désir d’une rencontre, avec l’autre, Dieu ou l’art, peu importe mais une rencontre qui servira à l’inscrire dans le sens, dans une volonté plus forte, qui est celle de la transcendance. Et donc j’attends. Quoi je ne le sais pas encore. Mais j’attends. Et un beau jour je découvre un homme qui se balade dans le jardin. Il n’y a pas lieu de le décrire car l’enveloppe charnelle, comme vous le savez bien, ne révèle rien. Je le vois et je comprends immédiatement qu’il n’est pas comme les autres. Je comprends qu’on a de nombreuses affinités. Je comprends que cet homme est hanté par le flot sourd des mots, par tous les rythmes et les lueurs de la poésie, par une pensée virevoltante qui discerne l’au-delà dans la matière du réel. Je comprends aussi sa solitude, son incapacité à être dans une société qui le cantonne dans le rôle du fou ou du comique, la solitude du génie qui bute sur les murs de l’utilitaire, de la médiocrité et de la bêtise. Je comprends cet homme et je sais qu’il est mon âme sœur. Il est celui que j’attends. Mais plus encore je suis celle qu’il attend. Le flux incessant des mots, la féerie des couleurs, la pensée disjonctée, la pensée majestueuse et percutante, les correspondances nombreuses et infinies, l’attention au divin, l’idéal d’une mauricianité au-delà des clivages communautaires, autant de lieux qui attendent de s’incarner dans des mots, dans les livres. Il leur suffit d’une rencontre. La rencontre. Et je sais, pardonnez moi cette immodestie, que je suis l’élue. Je sais qu’on se reconnaîtra et que tout sera désormais différent, et pour lui et pour moi. Il y aura un avant et un après. Et le génie se balade mais il ne me voit pas. Il scrute, il rumine, il réfléchit, il y a en lui comme un kaléidoscope d’émotions et de pensées, c’est une frénésie telle que rien ne peut lui résister, l’homme est poète, il est porté par les grands élans des mots et de la nuit. Et un jour survient la rencontre. Il me voit. Il s’arrête. Il se met à trembler. Dans son regard, comme un éblouissement. Il sait. Que je le vois. Que je le reconnais. Que je vois ce qu’il est. Que je vois au-delà des apparences. Que je vois l’homme dans toute sa multiplicité, dans toutes ses dimensions, que je vois toutes les richesses et toutes les potentialités qui gisent en lui, que je vois surtout qu’il est QUELQU’UN. Il n’est sans doute rien aux yeux des hommes mais il est quelqu’un à mes yeux. Mais il est évidemment plus que quelqu’un. Il est un génie. Il est l’homme dont la parole ne cessera de se dénouer et de s’enrichir au fil du temps, une parole qu’on s’acharnera à méditer et à décrypter aux confins du temps. Et cette rencontre est déterminante, il l’écrira d’ailleurs plus tard, ‘ Désormais, alors que je n'étais rien pour les hommes, pour la fleur J'étais QUELQU'UN, puisque la fleur prenait compte de moi. C'est alors que tout s'éclaire. Le paysage à Maurice n'était plus étriqué, seuls les hommes l'étaient. Une nouvelle perspective s'ouvrait devant moi’. Et moi aussi, j’ai écrit peu après dans mon journal (journal qui n’a malheureusement jamais été publié), ‘ Désormais, je ne suis plus une fleur comme les autres mais je suis la fleur qui communie avec le génie, je suis l’expression d’un divin et surtout je suis une poétesse. Cet homme m’a révélé que tout ce qui vit en moi est poésie. La rencontre ou la fusion ne dure en tout et pour tout que quelques minutes. Le génie ensuite s’en va. Je n’en reviens pas. Je suis une fleur différente. Et je me mets, discrètement il faut le dire, à écrire le jour même. J’écris des pages et des pages, des centaines et des milliers. La poésie est d’une telle ampleur qu’elle inonde tous les territoires. L’homme parfois vient me revoir. Nos conversations sont silencieuses mais la parole est bien vaine quand il s’agit de dire l’essentiel. Puis le génie cesse de venir. On s’est tout dit. Je parviens, au fil des années, à lire nombre de ses ouvrages. Il reconnaît mon influence. Il n’hésite pas à en parler. Je ne suis pas un amateur de vivats, d’applaudissements mais cette reconnaissance me gonfle les corolles. J’apprends un jour que l’homme est mort mais il ne l’est pas. Je ne le suis pas non plus. On dit que les fleurs sont éphémères. Je ne suis, je n’étais qu’une pauvre azalée. Mais il m’a inscrit dans la mémoire des mots, il m’a inscrit dans la vitalité d’un verbe qui refuse toutes les dérives du temps, il m’a inscrit dans le jaillissement primordial, dans le souffle venu des commencements, il m’a inscrit dans les virtuoses de la beauté ressassée, il m’a inscrit dans les maillages d’un verbe qui déclame les atours de l’absolu, il m’a inscrit dans la poésie. Il m’a rendue immortelle. Tout comme lui. Je suis la fleur de Malcolm. Je l’ai révélé au monde.

  

 Umar Timol.


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