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Sympathy For The Devils

Par Ernestoviolin

Pour qui voter, hein ? Je l'avoue, il n’est pas facile de trancher, car tous les candidats me plaisent. Tous autant qu’ils sont, ils se sont montrés à la fois brillants, honnêtes, cultivés, passionnés par la France et sa longue tradition littéraire, dignes dans la tragédie, lucides quant à notre situation économique — et surtout, tous, à l’écran, je les trouve sympathiques. Je pourrais sans hésitation leur confier les cordons de ma bourse ; c’est d’ailleurs ce que tout le monde va faire d’ici trois semaines. Bref, mon coeur aimerait voter pour les dix à la fois. Ce pourquoi je ne donnerai aucune consigne précise, tout au plus des impressions, des sentiments. Je distribuerai des bons et des mauvais points sans jamais exclure de la classe. Quel père pourrait sacrifier neuf de ses dix enfants ?

Par souci de transparence, les candidats seront abordés par ordre alphabétique.

1/ Nathalie Arthaud

Le Nil fut nauséabond, et les Égyptiens ne purent boire des eaux depuis le fleuve.

— Exode 7:14-25

Antonin Artaud était un homme d’une grande profondeur métaphysique. Simple mortel frappé par une colère divine, il attaquait l’existence à coups de cuillère et nous la livrait en lambeaux. Il faut le dire : ses écrits sur les sacrifices aztèques contiennent la plus belle des poésies du sang (et il y en a beaucoup.) Une sorte de génie, si on veut, desservi par un manque de discipline et une gourmandise pour les drogues qui rendent la plupart de ses livres illisibles. Sa nièce, Nathalie, souffre un peu du même problème. Portée par l’Esprit Saint du communisme, elle donne parfois l’image d’une pythie en pleine convulsion, râlant dans des fumeroles de soufre, la bouche pleine d’écume et d’injonctions incompréhensibles : « Patronat, grand soir, travailleur… » On devine de grandes vérités derrière le rideau de la possession, mais comme Nathalie a mentalement fusillé tous les prêtres, l’exorcisme se fait attendre, et on ne connaîtra peut-être jamais la femme sympathique qui se cache derrière les aboiements.

2/ François Bayrou

Les grenouilles montèrent et recouvrirent l’Égypte.

— Exode 8:1-25

On entend toujours dire, ici et là, que le Modem, ce n’est pas sexy. Que ce n’est ni assez niais pour être de gauche, ni assez méchant pour être de droite. Le Modem, c’est bobo, tiède, mou, inconsistant, peine-à-jouir. La vérité, c’est que Bayrou a une dimension métaphysique à peine inférieure à celle du Christ. Personnage sympathique tiraillé entre le Bien et le Mal, il incarne l’impossibilité du choix. Tel un Salomon bègue dont la langue gigoterait à l’heure du jugement, il navigue éternellement entre Charybde et Scylla, écartelé sur la roue politique. Il supporte le feu nourri des deux camps, au sein desquels il ne compte ni ami, ni ennemi véritables. Sa seule tribu, c’est Marielle de Sarnez, lieutenant de toujours, fidèle pour des raisons obscures. Elle traîne autour de lui comme le héron autour d’une vache dans la campagne guadeloupéenne. Comme dirait Gombrowicz, Bayrou n’a pas de forme définie, il se balade dans l’immaturité, l’inconstant. Sa position le réduit au silence, de peur de déplaire. Il évoque la souplesse de l’équilibriste : suspendu au dessus des autres partis (le vide), il doit bouger le moins possible pour ne pas chuter à droite ou à gauche. Un rôle qu’on devine cruel pour ce catholique estimable passionné par les chevaux, les rois de France, et une certaine noblesse d’esprit. On peine à l’imaginer dans les quatre premiers cette fois-ci, il faut être honnête.

3/ Jacques Cheminade

Toute la poussière du sol se changea en moustiques.

— Exode 8:16-19

Jacques Cheminade est un homme d’allure sympathique, visiblement érudit, avec des airs un peu fou-fou. Il paraît qu’il a un programme sérieux sur la finance, mais à chaque interview, on lui parle de Mars, de Star Wars, ou de ses amis nazis (qui sont comme les hémorroïdes : qui n’en a jamais eu ?) Avec un petit côté surréaliste, on se demande si Cheminade n’est pas belge, ou tout simplement malade. Les journalistes se foutent ouvertement de lui, ils ont du mal à ne pas rire quand il parle, et d’ailleurs, vu qu’il n’a pas de poids électoral, ils semblent avoir le droit de se comporter ainsi devant un homme intelligent qui a recueilli plus de 500 signatures d’élus. C’est le même principe qu’à l’école : les pitres se jettent sur le cerveau chétif, et le darwinisme social vit ses premières heures. Plus que par pitié, c’est par adhésion sincère à certaines de ses thèses qu’on trouve que Cheminade, dans un monde idéal, mériterait quand même mieux.

 

4/ Nicolas Dupont-Aignan

Des bêtes sauvages en grand nombre entrèrent dans tout le pays d’Égypte.

— Exode 8:20-32

Leader de la secte gaulliste, millénariste dans l’âme, NDA semble sincèrement convaincu que le grand dragon Européen va rugir pour nous expédier dans les flammes de l’Enfer. Comme les rats quittent le navire, ou comme les célébrités quittent la ferme, lui veut sortir de l’Euro : il s’y sent à l’étroit, le costar le fait suer aux aisselles. Passées les premières années, le mariage rime à présent avec esclavage, et il faut à tout prix quitter bobonne avant qu’elle ait du poil au menton. Mais Dupont-Aignan ne rime pas avec Dupont-la-Joie : la rupture sera douloureuse. Pour aller mieux, une seule solution : se fâcher avec tout le monde et s’isoler dans son coin. Le mécanisme rappelle un peu l’alcoolisme ou la dépression, à l’échelle internationale. Pour être honnête, il n’y a pas que du mauvais dans son programme, et le personnage est très sympathique, mais il y a quelque chose en lui qui suinte le riquiqui, l’inutile. Peut-être s’épanouirait-t-il mieux en cas de guerre, comme son glorieux modèle ?

5/ François Hollande

Tous les troupeaux des égyptiens moururent.

— Exode 9:1-7

Qui aurait pensé il y a dix ans que le sympathique François Hollande serait un jour bien placé pour remporter l’investiture suprême ? C’est un peu comme si Beigbeder nous pondait demain Les Frères Karamazov, Moby Dick et Molloy dans la même journée : on ne détestait pas le personnage au départ, mais qui croirait à l’exploit ? Hollande, c’est la revanche des faibles : au départ, le cheval était gros, maladroit, en ménage avec une jument insupportable, et à la fin de la course, c’est une machine de guerre, toutes dents dehors. Ce qui séduit chez le vainqueur, ce sont les restes du vaincu : les blagues ne font pas toutes mouche, la diction connaît encore de sérieux cahotements, la rage même semble feinte, artificiellement gonflée pour le podium, comme chez ces athlètes musculeux gavés de stéroïdes. On a attendu Godot, il n’est pas venu ; personne n’attendait Hollande et il est venu quand même, pour nous parler d’une France normale, banale, régie par les compromis. On cherche à nous rendre attractive l’impuissance sexuelle, c’est vraiment triste, mais après cinq années de priapisme hongrois, les hormones sont chamboulées.

6/ Eva Joly

Gens et bêtes furent couverts d’ulcères bourgeonnant en pustules.

— Exode 9:8-12

Personne ne s’est privé pour se moquer de la sympathique Eva, candidate absurde d’un parti qui ne l’est pas moins. Opposée à toutes formes de manigance politique, elle ne sait pas, contrairement à tous les esthètes, que la grandeur réside précisément dans la corruption, l’altération du Beau. Elle est une menace pour la population : dans un monde dominé par l’ordre et l’honnêteté, des gens comme vous, moi ou Jean-François Copé seraient parqués dans des camps. On y écouterait matin et soir du ska festif, des audio books de José Bové, tout en apprenant qu’un autre monde est possible si on se met aux toilettes sèches. En vérité, l’aménagement du territoire sera l’un des points centraux dans les décennies à venir, mais l’écologie est un problème trop sérieux pour la confier à des écologistes.

7/ Marine Le Pen

Yahvé fit tomber la grêle sur le pays d’Égypte.

— Exode 9:13-35

Qu’on ne s’y trompe pas : derrière son apparence sexy et un discours sympathique, Marine Le Pen est bien une femme d’extrême droite. Ce qui, en soi, n’est pas si grave. Le père était plus amusant, c’est vrai ; plus inventif dans l’invective. En bon stratège, il avait compris le principe du buzz outrancier avant tout le monde (le coup des camps, il fallait y penser.) Beaucoup de gens pensent sincèrement que le mal absolu peut être incarné aujourd’hui par une quadragénaire aux cheveux paillasses. Mais le Front National, avant d’être nauséabond, est surtout un parti de clowns hétéroclite : néo-païen, néo-nazi, néo-maurassien, néo-métal, cathos tradis, piliers de bars, etc. Sans aucune assise locale, et appuyé en grande partie par un sentiment de contestation, le FN est un volcan endormi qui lâche son pet tous les cinq ans avant d’hiberner à nouveau. Entre-temps, il sert de défouloir aux bonnes âmes socialistes, qui ont désespérément besoin de nazis modernes pour dilapider leur capital d’indignation. Enfin, il faut être honnête : si on peine à comprendre les cris d’orfraies que déclenche le parti, on peine encore plus à comprendre comment on peut sérieusement voter pour lui.

8/ Jean-Luc Mélenchon

Les sauterelles couvrirent la surface de toute la terre et la terre fut dans l'obscurité ; elles dévorèrent toutes les plantes de la terre et tous les fruits des arbres, tout ce que la grêle avait laissé et il ne resta aucune verdure aux arbres ni aux plantes des champs dans tout le pays d'Égypte.

— Exode 10:13-14,19

Quand Marine Le Pen cite Brasillach dans un discours (comme elle aurait cité n’importe qui, Rebatet, Léon Daudet ou Chardonne pour prendre au hasard), Mélenchon hurle et se trompe : en bon historien, il ne peut ignorer qu’il reprend intégralement la tradition des roquets d’extrême droite, l’une des plus colorées de la littérature française. Gouaille, verve, vocabulaire de tripot, attaques ad hominem — on a peine à croire qu’avant cette campagne, Mélenchon était un simple cadre du PS au discours policé. Bouffeur de curé avec ses dents noires, il fascine lui-même comme un pasteur évangélique un peu éméché, bien qu’il s’en défende : les gens viennent pour son programme (« cohérent »...), pas pour lui. Probablement étonné par son propre succès, il faut avouer qu’il en fait parfois un peu trop, et la déception sera proportionnelle à l’enthousiasme qu’il suscite. Malgré de profondes divergences (qui tiennent au fait que je gagne plus de 100 000 euros par mois), je lui souhaite du succès, car il fait une bonne campagne, il est sympathique, et il ne change pas d’avis selon l’interlocuteur, ce qui, en politique à ce niveau, est aussi fréquent que l’oxygène dans l’espace.

 

9/ Philippe Poutou

Il y eut d’épaisses ténèbres.

— Exode 10:21-29

Avec son nom de peluche et sa prestation à Des Paroles Et Des Actes, Philippe Poutou va probablement atteindre 3 ou 4% des voix au premier tour. En effet, si les Français rechignent à voter pour un dangereux gauchiste qui menace de les étriper, ils n’ont rien contre Gaston Lagaffe : la nonchalance récente (et si peu étudiée…) de Poutou le place à présent dans la catégorie des branleurs qui séduisent. Gaffeur au grand cœur, il gagne des points dans les sondages comme Brandao marque des buts : on ne sait pas d’où ça vient, on sait que ce n’est pas fait exprès, mais ça marche. De toute façon Poutou se fiche de tout ; c’est tout juste si on ne l’imagine pas oublier son slip le jour des élections. On prévoit une possible reconversion dans le cinéma, le théâtre, ou une apparition caméo dans Top Chef. Le Norbet de la politique, en somme.

 

10/ Nicolas Sarkozy

Tous les premiers-nés mourront dans le pays d’Égypte.

— Exode 12:29-36

Notre président fait penser à un gladiateur chauve, obèse, unijambiste, manchot, ivre, et daltonien. A chaque fois qu’il entre dans l’arène d’un débat, on se dit : « cette fois-ci, ce n’est pas possible, vraiment, vu la situation, il ne peut pas s’en sortir. » Et par miracle, il parvient toujours à dérouiller les lions autour de lui. Il faut dire que les fauves en question, journalistes de leur état, sont souvent drogués pour l’occasion ; en tout cas, ils ne font pas grand-chose pour passer le gladiateur sous leurs dents. Il faut dire aussi que la foule, dans les gradins, ne voit pas très bien le spectacle en bas sur la piste, et que beaucoup sont convaincus de voir le gladiateur éclater les lions, alors que ceux-ci viennent en fait lui lécher le fondement. Le soleil de la crise, bien haut dans le ciel, rend aveugle : on ne voit pas bien le spectacle, on interprète les mouvements comme on peut, les mains en visière. Capable d’affirmer sans rire dans les yeux de son interlocuteur qu’il sera le candidat du changement, Sarkozy aura beaucoup changé pendant son quinquennat. Comme Circé, il passe d’une forme à l’autre : tour à tour riche, pauvre, colérique, tempéré, cultivé, ignare, de gauche (un peu), de droite (…), religieux, laïque — le pauvre électeur échoué sur son île sait qu’il en repartira diminué. Comment cerner cet homme haineux et fascinant qui a su accéder aux plus hauts pouvoirs en annihilant toute concurrence, se servant du pays comme d’un laboratoire, navigant à vue dans le brouillard grâce à son équipage d’estropiés ? (Morano, Lefebvre, Bertrand, Copé, Hortefeu, Guéant, on en oublie.) Comment l’analyser ? Loin des projecteurs, à l’abri du tumulte, dans le silence de l’Histoire. Dans cinq ans. Ou demain.


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