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Les romans durs de Simenon, 1945-1947 (pour en finir provisoirement)

Par Pmalgachie @pmalgachie
Les romans durs de Simenon, 1945-1947 (pour en finir provisoirement)Je termine aujourd'hui, provisoirement (et en beauté, avec quatre titres), un parcours commencé la semaine dernière dans les six premiers volumes des Romans durs de Georges Simenon, soit la moitié de cette intégrale dont la suite, en 2013, me titillera probablement de nouveau. Aujourd'hui, donc, le tome 6.

L’aîné des FerchauxChez Simenon, les romansse suivent et se ressemblent - par la taille, du moins, quasi constante. Quelquesouvrages dépassent néanmoins largement le volume standard, et on y sentl'ambition d'un écrivain désireux de modifier son image d'auteur populaire.L'aîné desFerchaux est de ceux-là.Dieudonné, présenté parle titre comme le personnage principal, est un colon qui a fait fortune enAfrique avec son frère Émile, en utilisant des méthodes peu orthodoxes (maistrès répandues au début du XXe siècle) : tricherie sur le poids desmarchandises, élimination physique de trois nègres... Les pratiques ont beauêtre banales pour l'époque, elles sont malgré tout un moyen d'attaquer enjustice les aventuriers qui ont réussi. Quand commence le roman, un autrepersonnage entre en scène, qui sera le véritable héros : Michel Maudet,âgé d'une vingtaine d'années, fraîchement marié, tire le diable par la queue etdevient le secrétaire de Dieudonné Ferchaux. Celui-ci voit dans son employé ungarçon semblable à ce qu'il était au même âge, à la fois inquiet de son aveniret prêt à tout pour occuper une place au sein d'une société où l'argent necompterait pas.La fascination estréciproque entre les deux hommes. Elle ne repose pourtant pas sur les mêmeséléments d'appréciation. Petit à petit, elle se transforme pour faire place àun lien ambigu, qui les dirige ensemble vers le Panama. Avant de les opposer...La France et l'Amériquesont donc les deux faces d'un récit qui prend racine en Afrique, où, cettefois, Simenon ne nous conduit pas, sinon par quelques allusions. Elles sontaussi deux moments dans un face-à-face mortel dont l'issue semble inéluctable.Plus épais que lamajorité des autres romans, L'aîné des Ferchaux ne souffretoutefois pas de la moindre longueur. Des personnages secondaires viennentl'étoffer en s'agitant autour des principaux protagonistes.Parmi eux, Michel Maudetoccupe bel et bien la première place. C'est lui d'ailleurs qui précipite, àBruxelles, la suite des événements, parce qu'il a lu... Le Soir,où une petite annonce l'a poussé à prendre l'initiative. Son ambition n'ad'égale que sa veulerie calculée.

Les noces de PoitiersA la fin de l'année 1922,Simenon quitte sa ville natale de Liège pour rejoindre Paris. Comme l'écritPierre Assouline, Simenon devient le factotum de Binet-Valmer, publicisted'extrême droite à la tête d'une ligue d'anciens combattants.La coïncidencebiographique est frappante, à la lecture des Noces de Poitiers.Sans précision de date, un certain Gérard Auvinet quitte Poitiers pour Paris etentre au service du romancier Jean Sabin. Croyant devenir secrétaire d'unécrivain, il est en fait garçon de courses d'une Ligue patriotique.Il n'est pas besoin delongues analyses pour comprendre que Simenon a utilisé d'abondance ses propressouvenirs pour prêter cet emploi au triste héros des Noces de Poitiers.Mais il serait imprudent de pousser trop loin la comparaison : les deuxdestins divergent profondément, reliés seulement par cette anecdote(essentielle, il est vrai, dans le roman) et par la volonté commune deréussite. Réussite menée à son terme pour Simenon, imaginée seulement pourAuvinet, à l'intention de sa mère.Car Auvinet mène uneexistence misérable avec Linette, sa femme, épousée dans l'urgence parcequ'elle était enceinte. Ils habitent un meublé sans charme, ont à peine de quoimanger. Tout est si décevant que Gérard s'emporte souvent et ne trouve plaisirqu'à sortir boire un verre, traîner dans les lumières de la ville. Je seraispeut-être un raté, pense-t-il parfois.Pilar, rencontrée lorsd'une de ses soirées d'errance, lui apporte le piment d'une double vie, letemps de lui offrir quelques illusions sur lui-même en lui faisant croire qu'unami va lui trouver un meilleur travail, et quelques autres sur elle-même avantde ne plus cacher qu'elle est une prostituée.Rien ne s'arrange.Les dettes s'accumulent,Gérard améliore un peu, très peu, l'ordinaire grâce à de menus larcins dans lacaisse de la Ligue, l'argent facile s'offre et se refuse. Dans un éclair delucidité morbide favorisé par l'alcool, il renonce tout à coup à lutter : Maintenant,il plongerait, il plongeait déjà. Il avait coupé les fils. Il irait n'importeoù, où le flot le pousserait.La rédemption n'est pasimpossible. Ailleurs, encore, cette fois à Tulle, en Corrèze, pour travaillerdans un journal. Un autre rêve ? Il vient à peine de signer un petitarticle de ses initiales que, déjà, il y croit et veut y faire croire dans unelettre à sa mère : Il fallait encore tricher un peu, pour eux. Maistout cela était presque vrai, deviendrait vrai.La suite, on ne peut quel'imaginer. Peut-être pas en relisant la biographie de Simenon.
Le cercle des MahéTrois ans avant Monami Maigret, où le commissaire se rendra à Porquerolles pour y découvrirune atmosphère moite propice aux dérives, Simenon avait déjà planté un « romandur » dans ce décor : Le cercle des Mahé met en scèneun médecin qui s'est laissé convaincre par un ami d'y passer ses vacances, etqui s'y trouve mal à l'aise. Ses parties de pêche sont presque stériles, lescoups de soleil sont douloureux, sa femme a l'estomac dérangé par la cuisine duMidi. Bref, il regrette leur séjour habituel, toujours dans le même hôtel deSaint-Laurent-sur-Sèvre et se demande pourquoi il ne quitte pas l'île. Il saitque sa femme a elle aussi envie de partir. Au lieu de quoi il ne cesse de vanterla beauté du lieu, animé par la honte de l'échec.Curieusement, l'annéesuivante, alors qu'il a déjà réservé une chambre à l'endroit familier, ilchange soudain d'avis et décide de retourner à Porquerolles. Il serait bienincapable de dire pourquoi. Tous les souvenirs qu'il en garde sont décevants,négatifs : à Porquerolles, les choses lui étaient hostiles.Il s'agit malgré tout decomprendre ce choix absurde, imposé par une double nécessité qui n'apparaît pasencore clairement au docteur Mahé.Une image presquesubliminale, qui le travaille malgré lui, l'a frappé lors des premièresvacances, au moment où il a été appelé pour constater le décès d'une femme enl'absence du médecin de l'endroit : une fillette en robe rouge quil'intrigue et le fascine. Les années suivantes, il ne parvient pas à sedélivrer de l'obsession, même en poussant dans les bras de la gamine un neveuqui les a accompagnés. C'était une hantise, voilà le mot. Et cela avaitcommencé dès le premier jour, mais faiblement, insidieusement, comme lesmaladies incurables dont on ne s'aperçoit que quand il n'est plus temps de lessoigner.Et puis, il y a le poidsdes conventions auxquelles il s'est toujours plié, continuant d'accepter laprésence envahissante de sa mère, subissant ce qu'il appelle maintenant unobscur complot organisé contre lui, comme pour l'enfermer dans un cerclesacré, infranchissable. Il n'a pas le droit d'y échapper ? Il yéchappera malgré les pressions, il rompra Le cercle des Mahé,quel que soit le prix à payer : un cabinet à reprendre, à Porquerollesbien entendu, pour une somme excessive. Et un prix plus élevé, peut-êtreencore…Comment un homme en vientà ne plus supporter la prison confortable où il s'est laissé enfermer, c'esttout l'enjeu de ce roman.
Lettre à mon jugeDans son souci constantde comprendre et ne pas juger, Simenon est allé aussi loin que possibleavec Lettre à mon juge. Au lieu de décrire, comme il l'a fait leplus souvent, un personnage d'un point de vue extérieur, il donne cette fois laparole à un meurtrier dont la longue lettre adressée au juge d'instruction quis'est occupé de lui est toute la matière du livre, aux dernières lignes près.Charles Alavoine estmédecin et il a été condamné pour avoir tué Martine, sa maîtresse. Ilrevendique d'avoir agi avec préméditation, en pleine connaissance de cause,alors qu'on n'a cessé de vouloir lui éviter ça en plaisant l'égarement, lafolie… Il n'en veut pas, et s'explique longuement.Entrecoupant le début deson plaidoyer avec des scènes saisies sur le vif au Palais de Justice, autribunal et en prison, il en vient à raconter ce que fut sa vie et comment ilest arrivé là, justifiant le choix de son interlocuteur par un sentiment qu'ilcroit avoir remarqué chez lui : la peur. Vous avez peur, précisément,de ce qui m'est arrivé. Vous avez peur de vous, d'un certain vertige quipourrait vous saisir, peur d'un dégoût que vous sentez mûrir en vous à la façonlente et inexorable d'une maladie.Et il ajoute : Noussommes presque les mêmes hommes, mon juge. Sinon que l'épistolier est alléjusqu'au bout de sa logique, ce que ne font pas tous les hommes. Il a fallupour cela que, veuf, il épouse en secondes noces une femme de tête, veuve elleaussi, qui devient après sa mère le véritable chef de la maison. Lors duprocès, Alavoine remarquera d'ailleurs qu'elle en parle toujours comme de mamaison, jamais de notre maison. Il est vrai qu'avant d'en arriver aumeurtre le médecin a quitté le foyer conjugal, en compagnie de Martine.Celle-ci est une jeuneLiégeoise qui avait cru trouver fortune à Paris et qui s'est transformée enprostituée occasionnelle. Son passé est plein des fantômes de tous les hommesavec lesquels elle a couché, et le docteur Alavoine les sent rôder autour delui, abîmant l'image idéale de la femme qu'il aime et qu'il voudraitfemme-enfant. Une sourde violence monte en lui, en raison de cet amour tropfort et trop pur. Il commence à battre Martine, persuadé qu'il devra la tuer,un jour…Le jour venu, le geste accompli, Alavoine faitface à son destin incompris. Il s'est débarrassé de l'autre Martine,celle des bars et des hommes. Il est persuadé qu'elle lui en aurait étéreconnaissante. Qu'ont-ils tous à parler de folie ? C'est d'amour qu'ilest question !

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