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Bruce Chatwin visite Prague en creusant le mystère des porcelaines de Saxe

Par Pmalgachie @pmalgachie
Bruce Chatwin visite Prague en creusant le mystère des porcelaines de SaxeBruce Chatwin est mort en 1989, peu de temps après avoir terminé son dernier roman, Utz, qui,s'il n'apparaît pas comme testamentaire, oblige quand même le lecteur àremettre en question l'idée qu'il avait pu se faire de cet écrivain: unchercheur de l'homme nu parti, un peu comme Simenon, à la rencontre depopulations peu suspectes de corruption par la civilisation occidentale. En Patagonie et Le Chantdes pistes, deux de ses ouvrages les plus connus, ont ainsi contribué à faireoublier que Bruce Chatwin avait été, avant d'être gagné par le virus du voyage,directeur du secteur «Impressionnisme» chez Sotheby. Et qu'il s'était frottéaux milieux de l'art. On le retrouve ici attentif aux manies d'uncollectionneur, une manière de s'intéresser à un homme plutôt qu'à l'objet desa passion. Kaspar Joachim Utz vivaità Prague, dans un appartement de deux pièces où il avait accumulé uneextraordinaire collection de porcelaines de Saxe. Utz aurait pu, s'il n'étaitmort en 1974, être un personnage du roman de Pascal Quignard, LesEscaliers de Chambord. Monomaniaque, il fréquentait en effet tous ceux quipouvaient lui procurer ces petites figurines qui étaient toute sa vie. Mais, dans laTchécoslovaquie communiste, la possession solitaire d'un tel trésor et,davantage encore, son accroissement, n'étaient pas choses aisées. Utz avaitdonc dû, pour garder ses porcelaines chez lui, accepter de les voir recenser,cataloguer par des spécialistes d'un musée (il aura au passage trouvé quelqueconsolation en relevant leurs erreurs), afin qu'elles soient considérées commepropriété d'État provisoirement en dépôt chez lui. Et peut-être même avait-ildû passer d'autres accords plus secrets afin d'obtenir chaque annéel'autorisation de se rendre à Vichy, avec escale à Genève - officiellementcomme curiste, en réalité surtout pour acheter l'une ou l'autre nouvelle pièce.La plupart étaient alors rangées dans le coffre d'une banque suisse, mais illui arrivait de trouver certains objets si beaux qu'il ne pouvait se résoudre às'en séparer pour un an et qu'il les ramenait alors frauduleusement enTchécoslovaquie, inversant ainsi le processus plus fréquent de la fuite des œuvres d'art. Le narrateur avaitrencontré Utz en 1967 et lui avait laissé le souvenir d'un homme curieux et ledésir de s'intéresser aux porcelaines après la mort de celui-ci. A ce moment, le mystères'épaissit: que sont devenues toutes les figurines? Car elles ont disparu, pluspersonne n'en a retrouvé la moindre trace. La clef de l'énigme se trouvepeut-être entre les mains de Marta dont le rôle auprès d'Utz avait évolué aufil des années: jeune fille sauvage recueillie par celui qui était alors, dansles années trente, le baron Utz; employée de maison au château familial,épouse, enfin, et veuve, affirmant avec un sourire étonné: «Ja! Ich bin dieBaronin von Utz.» Ce sourire est peut-être la seule chose qui subsiste d'Utz,avec l'enquête scrupuleusement menée par un narrateur qui rapporte, de sonunique entrevue avec le collectionneur, une conversation sur le golem du rabbinLöw qui dirigeait la communauté juive de Prague sous le règne de l'empereurRodolphe. Pour Utz, le golem légendaire, créé par l'homme à partir de la glaiseet doté de vie, représentait quelque chose comme le chaînon manquant entre sesporcelaines et les humains, à travers lequel les petites figurines sont à deuxdoigts de rejoindre les vivants. «Mais si elles étaient vivantes, il leurfaudrait aussi mourir, n'est-ce pas?», se demandait le collectionneur. Par la légende du golem s'éclaire probablementle secret de la collection disparue de Kaspar Joachim Utz. Et d'autres mystèresde Prague, ville habitée par plusieurs passés superposés dont Bruce Chatwinlaisse entrevoir la stratification avec la délicatesse qu'on met à décrire une œuvre d'art. Une fragile porcelaine de Saxe, par exemple. P.S. Comme je le signalais en début de mois, La sagesse du nomade, lettres choisies et présentées par Elizabeth Chatwin et Nicholas Shakespeare, vient de paraître.

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