Magazine Politique

Intelligence économique, mythes et réalités (N. Moinet)

Publié le 20 avril 2012 par Egea

Les ouvrages d’intelligence économique se multiplient ces derniers mois en librairies. Outre le Manuel de l’intelligence économique qui vient de paraitre dans la collection Major sous la direction de Christian Harbulot, signalons la Boite à outils de l’intelligence économique de Christophe Deschamps et Nicolas Moinet (voir fiche de lecture).

Intelligence économique, mythes et réalités (N. Moinet)



Pour aller plus loin que ces ouvrages pratiques, le lecteur curieux pourra se plonger dans le livre du même Nicolas Moinet publié aux éditions CNRS en septembre 2011 : Intelligence économique, mythes et réalités.

Ce livre est agrémenté d’une préface de Christian Harbulot (directeur de l’EGE et membre de la commission Martre) et d’une postface de Dominique Wolton. Cet ouvrage de 196 pages a l’ambition de démystifier cette discipline trop méconnue et surtout d’appeler à un élargissement de son approche systémique. Les efforts doivent être portés, pour lui, sur la connaissance afin de donner à l’information la force pour agir. Cette vision espère voir la communication placée au cœur d’une communauté stratégique de la connaissance. Précieux pour le néophyte, ce livre l’est tout autant pour réfléchir à l’adaptation des dispositifs des entreprises ou étatiques parfois insuffisants, ignorants ou vieillissants.

L’intelligence économique (IE) est une activité profondément stratégique tant pour les états que pour les entreprises. Déjà ancienne, cette discipline a été définie en France dans les années 90 dans le rapport Martre comme étant : « l’ensemble des actions coordonnées de recherche, de traitement et de diffusion des informations utiles aux acteurs économiques ». Cette définition rappelle le vocabulaire du renseignement militaire, c’est pourquoi l’auteur parle de jeu de miroir avec d’autres mondes. Il faut en effet aussi chercher dans la diplomatie, la police ou l’espionnage des concepts ou modes opératoires communs (attaque/défense, influence, contrôle et sécurité). Ces points communs se retrouvent également dans la gestion et la vie de l’information, cœur de l’intelligence.

Ainsi, le cycle du renseignement est-il un des piliers de l’IE (orientation-recherche-exploitation-diffusion). Il est néanmoins parfois accusé d’être contre-productif car trop organisationnel. Il est vrai que ce cycle peut s’avérer risqué s’il est mis en œuvre dans une organisation trop cloisonnée ou experte. Il faut en effet accepter de trouver un résultat inverse à celui escompté au départ de la recherche. Il s’agit de limites cognitives. Pour Moinet, ce cycle reste donc pertinent à condition de le mettre à une juste place, c'est-à-dire un outil au service de la stratégie pour cibler les informations utiles à l’action et non l’inverse.

Le cycle du renseignement doit alors être intégré dans d’autres dispositifs théoriques. Avec plusieurs exemples comme l’échec des JO 2012 à Paris, le 11IX aux USA et la prise de contrôle de d’Havas par Vincent Bolloré, l’auteur montre que le point commun fut une paralysie stratégique contraire à l’agilité. Cette notion est héritée de John Boyd qui a théorisé la boucle OODA (Observation-Orientation-Décision-Action).

Pour le stratège, l’agilité d’un adversaire ne s’obtient qu’avec la paralysie de l’autre. Le but est donc de se glisser à l’intérieur de la boucle OODA adverse pour la gêner. Pour Moinet, un dispositif intelligent doit être capable de raccourcir sa boucle OODA et d’allonger celle de l’adversaire. Or cela n’est possible que si les organisations le permettent. Ainsi dans la boucle OODA, la dissociation entre décision et action est extrêmement importante. C’est pourquoi, l’auteur plaide pour la mise en œuvre de systèmes de stratégie-réseau. Ce concept est avant tout un mode de pensée de l’action. Cette approche holistique veut que toutes les compétences soient impliquées et à tous les niveaux. Même si la stratégie-réseau prive l’individu d’une partie de sa liberté individuelle au profit d’une liberté d’action stratégique via le collectif, elle est une recherche d’alternatives seule capable de renforcer l’agilité pour Moinet.

Dès lors, l’auteur insiste sur les pistes à suivre impérativement pour que l’IE soit efficiente. L’information en elle-même ne suffit pas à la stratégie. Il faut, pour lui, renoncer au « savoir pour agir » issu de la pensée positiviste. Les déviances contemporaines sont trop nombreuses : l’infobésité, « mal info », désinformation... L’information peut être facilement paralysante, surtout avec les NTIC. C’est pourquoi Moinet plaide résolument pour le « connaitre pour agir ». Cette approche veut mettre l’analyse à sa juste place dans les processus d’IE en lui conférant des capacités d’hétérogénéité et de complémentarité, exemptes de lourdeurs hiérarchiques. Dans cette optique, le modèle français apparait particulièrement pesant avec sa division du travail stricte, mais aussi avec son système éducatif qui structure trop les disciplines.

Dès lors, les outils récents tels que le benchmarking ou le sensemaking ouvrent la voie d’un management plus participatif et réticulaire adapté à une information qui est plus qualitative que quantitative. Ce mélange de dispositifs et de dispositions fait référence à une nécessaire éthique. Celle-ci récuse des actions répréhensibles et souvent inutiles, mais renvoie surtout à l’idéal de partage, de communication. Nous approchons alors de l’intelligence économique idéale que Nicolas Moinet définit comme : une habilité à comprendre finement et globalement un environnement complexe et à prendre la bonne décision ; une maitrise de l’interaction qui pose la question de l’action collective ou action organisée dans l’optique du couple information/action dont la clef se trouve dans la génération de connaissances actionnables.

En respectant les conseils de cet ouvrage, c'est-à-dire en plaçant la communication et la connaissance au centre, l’IE demeure un atout pour les entreprises ou les états. Le monde de la connaissance doit continuer à se réapproprier sa place pour peser sur les décisions et l’action qui reste l’ultime objectif de l’intelligence économique dans sa quête et sa gestion de l’information. La vitalité de la blogosphère stratégique, notamment française, semble concourir à cette nouvelle impulsion souhaitée par Nicolas Moinet pour l’intelligence économique.

Fiche de lecture rédigée par Jean QUINIO : merci vivement à lui!

O. Kempf


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Egea 3534 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines