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Une araignée au plafond de l'hôtel

Publié le 28 avril 2012 par Desfraises
Une araignée au plafond de l'hôtel
C'est une cliente de l'hôtel. Mes collègues me préviennent. Mon directeur aussi : Vous allez voir, elle est folle. Je ne tarde pas à la croiser. Et à rire sous cape. Comme ma collègue. On en voit des vertes et des pas mûres dans un hôtel, mais cette verte-ci dépassait tout ce que j'avais pu observer de mon poste privilégié. Celui de chasseur-voiturier-bagagiste-valet-de-chambre-aide-réceptionniste dans un hôtel d'un quartier friqué de la capitale. Je pose mes fesses dans les BMW, Mercedes et Smart. Je presse les femmes de chambre de livrer la chambre en un temps record. Je porte plateaux et serviettes sales ayant servi à ramasser le forfait du client qui avait déféqué à même le sol de la salle de bain. Je joue au standardiste. Passe l'aspirateur ou fais livrer des fleurs à ma collègue de la part d'un client sans qu'elle ne sache jamais qui a joué le postier. Je presse les clients qui tardent à quitter leur chambre.
La dame à l'orée des 60 ans porte fièrement une robe à fleurs et a troqué des valises classiques contre des sacs plastique, une poussette pour les courses. Ses cheveux sont un peu en pétard mais elle n'a pas oublié d'être coquette. Sa réservation arrive à terme. L'hôtel ne lui proposera pas de rester une nuit de plus. Nous sommes complets, Madame. Même si c'est faux. Midi, elle doit partir.
11h elle réclame un parapluie que nous n'avons pas. Elle s'emporte. Devient hystérique. Non mais vous comprenez, je vais être trempée, je n'ai pas de manteau, il y a bien quelqu'un dans cet hôtel qui a un parapluie à me prêter. Demandez. Trouvez-moi un parapluie, boude-t-elle en croisant les bras, telle une petite fille qui fait un caprice. Ma collègue passablement irritée fonce sur elle. La réprimande. Lui dit d'une voix contenue et basse : Non mais vous allez arrêter de crier ? Et le ton monte. L'atmosphère est électrique. Mon Dieu, me dis-je. Comment va-t-on se débarrasser d'elle ? D'autant que j'avais vu qu'elle était loin, très loin, d'avoir préparé ses affaires. Un tas d'immondices, des fringues en tas sur la moquette, une tripotée de boîtes de médicaments.
11h30 elle revient trempe mais calme de la course qu'elle avait faite à la pharmacie d'à-côté. La carte magnétique de sa chambre ne fonctionne plus. Elle en veut une autre mais la demande poliment. Ma collègue refuse de lui en délivrer une nouvelle. Je l'accompagnerai jusqu'à sa chambre et l'aiderai à faire ses affaires. Passablement agacée, elle gagne l'ascenseur. Je suis avec elle. Elle peste contre ma collègue, se confie à moi en un français châtié. Visiblement, c'est une femme qui a connu un certain rang, qui a étudié. Qui est très lucide sur son état. Elle me demande de m'excuser auprès de la réceptionniste, ses paroles, ses actes étaient méchants, elle les retire. Je suis malade, vous savez. Je l'accompagne à sa chambre. Et contrairement à ce qui avait été prévu, je la laisse tranquille. Non sans lui expliquer avec le plus de douceur possible que je l'aidais si elle le souhaitait, que je lui portais d'autres sacs. La douceur. C'est comme cela que je l'ai mise dehors. Le cœur serré parce que je me demandais où elle allait dormir. Comment elle allait continuer. Pourquoi elle se trouvait dans une situation aussi précaire, jetée d'un hôtel et rescapée dans un autre. Trouvant de jolis billets de 100 € dans sa jolie sacoche pour me régler sa facture. Malgré la maladie qui la rendait pouilleuse aux yeux des autres, elle tenait, elle poursuivait son petit bonhomme de chemin accidenté.

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