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Enfin premier ! Poulidor sur la plus haute marche du podium

Publié le 25 avril 2011 par Rolandlabregere

Les aficionados sont toujours là. Raymond Poulidor a 75 ans. Pour fêter cet anniversaire, le quotidien du sport, l’Equipe, a consacré au plus populaire des limousins et au plus estimé des champions un supplément spécial. On y trouve, bien sûr l’iconographie bien connue des amateurs de la petite reine, le coude à coude avec Anquetil sur les pentes du Puy-de-Dôme le 12 juillet 1964, le plan du circuit Raymond Poulidor qui suit les rives du lac de Vassivière, les images des chutes célèbres etc.

Deux articles, parmi d’autres, en disent long sur celui qui a dit avoir connu la « gloire sans maillot jaune », titre de son autobiographie [éditions J’ai lu, 1977). Dans le premier, c’est Philippe Delerm, écrivain connu pour sa Première gorgée de bière qui salue celui qui a montré à l’adolescent qu’il fut que « l’impossible n’a jamais été dévalué » et que « perdre avec panache, tenter de renverser les valeurs acquises, en sachant bien que les économies et les économistes auront toujours raison, oui je crois profondément que c’est une belle idée de gauche ». Le second article, signé par Alain Rey, lexicographe et inventeur du dictionnaire Robert, est une stimulante réflexion sur l’expression « être le Poulidor de quelqu’un ». Alain Rey s’attarde sur l’usage de cette expression mais il lui manque quelques tours de pédales pour aller jusqu’au bout de la présentation de ce qu’il nomme avec justesse « une figure ordinaire de la rhétorique ».

Poupou devient Poulidor

Poulidor, c’est celui qui ne gagne pas ou pas assez, celui qui chute, celui qui fréquente la déveine, celui dont les médias hexagonaux se sont longtemps gaussés. Par l’enchaînement d’événements biographiques, le « miauletou » [http://fr.wikipedia.org/wiki/Saint-L%C3%A9onard-de-Noblat ] est devenu au fil des années le représentant labélisé de la persévérance, de la réussite des humbles et des programmés à endosser le costume de la misère et de la relégation sociale.

Le succès vient à 75 ans. Sans canotier, le gaillard twiste encore ! Poupou est enfin Poulidor. Depuis plusieurs décennies, les conversations privées s’en faisaient écho. Poulidor donnait le verbe, plutôt utilisé à la forme passive, « poulidoriser » ou le nom « un Poulidor ». Seconds sur les podiums de la présidentielle avant de gagner, Mitterrand d’abord, Chirac ensuite étaient décrits comme « poulidorisés », c'est-à-dire peu aptes à la victoire. Des Poulidor de la politique, entendait-on. Dans le vocabulaire des recruteurs, ceux qui franchissement les obstacles mais butent sur la phase finale de l’embauche sont qualifiés de « Poulidor ».

C’est par la grâce d’une figure de style que Poulidor gagne sa postérité sociale après avoir largement conquis une belle notoriété dans le sport. En rhétorique, la figure qui consiste à remplacer un nom propre par un nom commun et inversement est une antonomase. Dire d’un écrivain qu’il est le Poulidor du prix Goncourt est une antonomase du nom propre. Ce procédé est très fréquent avec les marques en vogue ou qui présentent des objets ou des produits à l’usage banalisé. Un bic est un stylo bille ordinaire, un frigo incarne un appareil électroménager ordinaire. Un « Poulidor » est donc celui dont les événements de la vie s’apparentent à la destinée du champion.

La consécration sera totale lorsque l’antonomase Poulidor se lexicalisera et pourra figurer dans le Robert en tant que « poulidor, nom commun, patronyme d’un champion cycliste actif dans la seconde moitié du XXème siècle ». La majuscule ne se justifie plus quand le lien entre le nom d’origine et le nom commun n’apparaît plus d’évidence comme pour « poubelle » ou « mécène ». L’usage populaire a largement anticipé cette lexicalisation. « T’es un poulidor ! » se dit volontiers mais n’est pas encore admis sans majuscule par les lexicographes.

Deuxième, pas second !

Poulidor, l’éternel second ! Il n’y avait donc que deux concurrents dans les épreuves qu’il disputait ? L’usage masque les nuances. Même si deuxième et second sont équivalents du point de vue du sens et désignent ce qui vient après le premier dans une succession ou une hiérarchie, les deux termes ne s’emploient pas identiquement. L’histoire de la langue a vu apparaître d’abord « second » ce qui peut expliquer que pour de nombreux locuteurs les deux termes sont interchangeables. [http://www.oqlf.gouv.qc.ca/ressources/bdl.html].

L’Equipe, journal réputé pour son bon usage de la langue et sa titraille créative, a donc vu juste en ouvrant son dossier par un chapeau « Le pays s’était reconnu dans l’éternel deuxième, toujours malchanceux, mais toujours content de son sort ». De même Anquetil téléphonant à Poulidor quelques jours avant sa mort et lui disant « T’as vraiment pas de chance, tu vas faire encore deuxième ». Des références en matière de classement.

En rugby, la troisième mi-temps existe mais elle ne fait pas partie du match ! Il y a donc une première et une seconde mi-temps. Estimons que la seconde guerre mondiale ne sera pas reléguée au rang de deuxième guerre mondiale. Poulidor, éternel deuxième, est maillot jaune dans l’imaginaire social.


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