Magazine Livres

[note de lecture] "Terminus Rennes" de Jacques Josse, par Jean-Pascal Dubost

Par Florence Trocmé

Josse 48Dans la lignée de Léon-Paul Fargue, d’Yves Martin, de François de Cornière (Caen, des pages des pas1) ou de Jacques Réda, Jacques Josse est un arpenteur de bitume urbain, un flâneur des deux rives de la Vilaine rennaise. Il nous invite maintes fois à observer « ce monde en mouvement, légèrement décalé, pris entre les lumières multicolores des vitrines et celles, jaune, rasantes, projetées par les phares des voitures sur le revêtement mouillé » qui le mettent en bonne intention d’être ; marcheur intérieur, il capte de l’en-dehors ce qui peut susciter les sensations d’une douce humeur de vivre, en tant que moyen de peser contre l’inquiétude, et malgré « ces déambulations, ces zigzags imprécis dans l’agitation urbaine [qui n’excluent] pas les désenchantements et les rêves qui vont avec », et n’altèrent sa vision optimiste des choses. En plusieurs proses courtes, qui se suivent comme des ricochets de la mémoire (« ailleurs dans la ville, des silhouettes s’approchent, s’effilent entre deux lampadaires, faisant revivre à leur manière les fragments d’un passé qui ne veut pas disparaître »), il nous fait part de ses observations diurnes ou nocturnes issues de ses marches, et nous paraît toujours en quête de fantômes, ces « visions brèves et fugitives » qui çà et là passent (dont nombre de ses livres révèle l’intérêt sensible qu’il leur porte). Car ce ne sont pas les grandes choses sur lesquelles il s’attarde, ni sur les grands blocs de béton ou autres vitrines racoleuses, mais sur les détails, que son intuition de marcheur l’amène à découvrir, dans lesquels il décèle ou pressent des pans de vie qui lui parlent ; les détails s’élèvent en grandes choses qui font la beauté de la ville où il vit et qu’il aime, détails qui nous apparaissent toujours entre flou et précision, presque sereins. Des zones industrielles aux bistrots, tout lieu de la ville peut faire événement d’écriture. De cette ville, il n’oublie pas les écrivains qui l’ont traversée, d’une manière ou d’une autre, Jack Kerouac, Jean-Pierre Abraham, Charles Pennequin, ou habitée (Georges Perros, un an)2, et ils sont nombreux ceux de la gent littéraire qui aujourd’hui gravitent autour de cette ville ou l’arpentent, et en font peut-être l’histoire à venir, Michel Dugué, Erwann Rougé, Alain Roussel, François Rannou, lui-même et quelques autres, notamment ceux qui demeurent en résidence à la Maison de la Poésie de Rennes ; quelques autres comme un certain J.-F.R., poète clochardisé, que par la pudeur qui le caractérise, Jacques Josse ne nomme pas, dont il écrit un bref mais très touchant portrait après qu’ils se croisèrent dans une rue de Rennes. L’insistance de Jacques Josse à poser les écrivains comme jalons de l’histoire de la ville apporte un correctif à ces dossiers de magazines « spécial Rennes » dont sont toujours oubliés les écrivains, qui contribuent à la culture et à l’histoire d’une ville ; Jacques Josse semble vouloir réparer ces « oublis ». Calme et douceur font de ces proses une tranquille invitation à la ville, un éloge non pas de la lenteur mais de la patience, car sous le bitume, des pages s’écrivent. Écrivain, Jacques Josse est un observateur né. 
 
[Jean-Pascal Dubost]  
 
1
Atelier du Gué, 1994 
2 Une affection pour la compagnie d’écrivains qu’on retrouve dans Retour à Nantes (collection Chantiers navals, Maison de la Poésie de Nantes), court récit d’un séjour dans cette ville où il nota « fragments, ricochets divers, raccourcis bizarres ou retours de lecture. », « où il ne m’a pas déplu de donner un peu de champ à ma mélancolie » avec Jacques Vaché, ou André Breton, ou Maurice Fourré, ou Michel Manoll… 
 
Jacques Josse 
Terminus Rennes 
éditions Apogée 
9,50€  
 
sur le site de l’auteur 


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Florence Trocmé 18683 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazine