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Profondeur de chant, profondeur de champ – Chronique poésie de Françoise Han

Par Les Lettres Françaises

Chronique poésie de Françoise Han

Profondeur de chant, profondeur de champ

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Les Lettres Françaises, revue littéraire et culturelle

Cinq poètes du Grand Nord

La poésie questionne le langage, mais pas seulement. En travaillant la parole, elle approfondit l’espace qu’elle nous fait découvrir. Avec Il pleut des étoiles dans notre lit, André Velter présente cinq poètes du Grand Nord. Il constate que, pour différentes que soient leurs écritures, ils partagent une profondeur de champ qui mêle la neige et le ciel. Le titre vient du recueil les Mots longs, de Pentti Holappa (Finlande), traduit, comme deux autres ouvrages du même auteur, N’aie pas peur et la Voix de l’éléphant, par Gabriel Rebourcet. L’attribution du prix Nobel, en 2011, au Suédois Tomas Tranströmer, avait montré une certaine ignorance en France, jusque dans les milieux littéraires, de cette œuvre magistrale, pourtant révélée dès 1989, puis plus largement en 1996, par la traduction de Jacques Outin. On lit avec bonheur, dans le choix d’André Velter, le grand poème Baltiques et plusieurs autres.

La Danoise Inger Christensen, traduite par Janine et Karl Poulsen, demande : « Qu’avons-nous, que nous manque-t-il ? » La Beat generation et le jazz marquent les vers de Jan Erik Vold (Norvège, traduction de Jacques Outin). Sigurdur Palsson, « poète fâché » islandais traduit par Régis Boyer, s’attaque aux archétypes de sa langue pour exorciser le monde.

Chacun des cinq poètes, à sa façon particulière, interroge l’univers dans sa complexité, la vie humaine dans sa densité.

Profondeur de temps : le premier Européen à parvenir en Mongolie – et à en revenir – fut, en 1245, Jean du Plan Carpin, évangélisateur. Aujourd’hui, le voyage de Pascal Commère nous vaut Tashuur, Un anneau de poussière. Une note nous apprend que tashuur désigne le petit fouet dont les cavaliers mongols ne se séparent jamais, lanière roulée au poignet. Le mot évoque une Mongolie de jadis qui serait encore pour partie d’aujourd’hui: celle de l’herbe, des chevaux de feu, « d’un temps où chevaucher s’inscrivait en un vivre ouvert au vent des steppes ». Mais des camions chargés de charbon la traversent aussi. Les animaux bâtés transportent vers la ville à la fois de somptueuses fourrures et « l’inévitable pacotille. Européenne ». Et des troupeaux de milliers d’ovins et de bovins cheminent quarante jours durant, sur les étendues de la steppe, vers les abattoirs d’Oulan-Bator, la capitale.

Qu’en est-il du pacte ancien avec les bêtes ?

Que cherche là le poète, « maintenant que le monde a roulé dans le sac des tour operators »? Son écriture prend en charge une réalité riche en contrastes. Elle ne fait pas récit, ne se remémore pas, elle est une présence vécue. Elle s’identifie à ce qu’elle nomme: « Ce qui vaut écriture, la marche des troupeaux », « l’herbe écrit le monde », et encore: « La ligne interminable où s’imprime encre noire la lettre d’un cavalier posé : seul signe majuscule. » Elle fait du nomadisme un art poétique. Elle en multiplie les itinéraires. Les vers, en des formes et selon des dispositions typographiques variées, heureusement calculées, constatent, s’exclament, s’indignent. Ils alternent avec des proses, ailleurs proche où se développent les réflexions du poète : « L’hôte que tu es dans l’instant de la halte. L’hôte. Et l’Autre, as-tu pensé », ou « Comment nommer ce qui venant de toi est en butte à l’immense ? » aussi « Berger sans terre, toi ! » jusqu’à « De ton ombre, personne – pas même un rat – ne voudrait pour se couvrir ».

Le fouet tashuur n’est-il plus qu’un anneau de poussière pareil au panicaut, chardon roulant, desséché, que le vent emporte? Les mots poussière, cendre reviennent souvent. Dans une immensité qui collectionne les « os desquels naîtront les cheptels à venir » et « le bric-à-brac du business formidable », la question répétée « Que cherches-tu ? » avec sa variante : « Qu’as-tu perdu ? » serait, en fait : « Dans quoi te cherches-tu ? » Elle a sa résonance en chacun de nous.

Revues

Europe offre trois dossiers, le principal consacré au philosophe Gilles Deleuze, les deux autres à Amelia Rosselli (1930-1996) et à Adrienne Rich, née en 1929. De la première, quelques pages de poèmes et une introduction à son essai Espaces métriques sont précédées d’études de Marie Fabre, d’Antonella Anedda et d’un article d’Andrea Zanzotto paru dans le Corriere della Sera en juillet 1996. La seconde, l’Américaine Adrienne Rich, est introduite par Chantal Bizzini. Après son Credo d’une fervente sceptique, puis des études de Marilyn Hacker et de Patricia Godi, sont données vingt pages de ses poèmes, Un atlas du monde difficile.

Les Lettres Françaises, revue littéraire et culturelle

Revue Europe N°996

Dans le cahier de création, d’une riche diversité, le Péruvien Emilio Adolfo Westphalen est Amarré à son ombre, tandis que le Tchèque J.H. Krchovsky propose Valse avec mon ombre. Il y a encore un Néerlandais, Bernlef (Phénix et autres poèmes), une Française connue, Gabrielle Althen (Crime), les premiers poèmes publiés d’un Français, Fabien Marquet (Comme un enfant la nuit), une courte prose d’un Italien, Giovanni Cattelli (Pankrac). Phœnix, qui a succédé à Autre Sud, a pour invité Boris Gamaleya, de La Réunion, avec des extraits de recueils inédits, des études, dont celles d’André Ughetto, le Corps du bonheur, et de Jacques Darras, Géographie du poème, un « entretien » de Patrick Quillier, qui a pris les réponses à ses questions dans les livres de Gamaleya. D’autres régions de la planètes ont présentes : les visions d’Amérique latine de Stéphen Bertrand, les États-Unis avec deux grands poèmes de Sam Hamill donnés en bilingue, tra- duction de Delia Morris et André Ughetto. En bilingue aussi, nous partageons l’Émerveillement du monde de l’Occitan Jean-Marie Petit. De nombreux autres poèmes enrichissent la livraison, que complètent une chronique théâtre et cinéma et des notes de lecture.

Françoise Han

Il pleut des étoiles dans notre lit. Cinq poètes du Grand Nord,
préface et choix d’André Velter. Poésie / Gallimard, 2012. 128 pages, 5 euros.
Tashuur. Un anneau de poussière, de Pascal Commère. Obsidiane, 2012. 110 pages, 14 euros, diffusion les Belles Lettres.
Europe n° 996, avril 2012. 380 pages, 18,50 euros. www.europe-revue.net.
Phœnix n° 5, 1er trimestre 2012. 158 pages, 16 euros. www.revuephoenix.com.
 
(Les Lettres Françaises du 3 mai 2012 – N°93)


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