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« Les forces de chaux et de sable » chez Mauriac (2/2)

Publié le 30 mai 2012 par Sheumas

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La réalité d’énonciation décrite ci-dessus vaut aussi comme métaphore. Au début de « Génitrix » la belle-fille Mathilde, délaissée dans la chambre où elle vient de faire une fausse couche regarde « un verre d’eau vert à filet d’or que la manœuvre d’une locomotive fit vibrer car la gare était voisine ». Mathilde n’est pas la belle-fille souhaitée par la belle-mère « l’énorme femme furieuse et piétinante », qui s’est isolée avec son fils dans un autre coin de la propriété. Le silence doit régner dans ces maisons où la sieste est sacrée. Pas un bruit ne doit troubler les dormeurs comme dans la demeure du « Baiser au lépreux », autre roman de Mauriac où le père impose un silence rituel.

   Mathilde est une « intruse » dans le huis-clos des propriétés. Entre deux parcs, celui des Lachassaigne et celui des Cazenaze, le fils est allé guetter la petite institutrice (cousine de la famille Lachassaigne) venue de l’extérieur donner ses cours à une « enfant étique et demeurée ». Elle arrive d’une maison basse de Bordeaux, « ce qui à Bordeaux s’appelle une échoppe » et, « accoutumée à cette gloutonnerie du regard, à cette attention goulue des hommes », elle remarque le manège de Fernand Cazenaze qui l’épie à travers la haie et vient fumer en cachette de sa mère.

   Ce flash-back pour indiquer, maintenant que Mathilde est morte et que la mère jubile de retrouver son fils, la charge de vie et d’évasion que contenait la jeune femme. Fernand est consterné et perçoit, auprès du corps immobile « cette odeur herbeuse, ces ténèbres bruissantes qui lui donnaient l’idée d’un bonheur qu’il aurait pu goûter ». Face au cadavre de cette épouse en quelque sorte mise à distance et « chlorophormisée » par la garde rapprochée de la mère, il se sent floué, dépossédé du courant d’eau qui aurait pu l’amener bien loin de la propriété : « sa vie était devant ses yeux, désert morne. Comment avait-il pu, sans mourir de soif, traverser tout ce sable ? Mais cette soif qu’il n’avait pas ressentie pendant des années, voici qu’il en découvrait la torture. Mathilde était morte avant de savoir qu’elle avait soif. Une source tarie songeait-il, des milliers de sources inconnues bouillonnent ».

   Après la mort de Mathilde, la tristesse se transforme en rancune contre la mère coupable qui finit elle aussi par disparaître. Fernand se retrouve alors désemparé, coupé de ses racines : « le soleil maternel à peine éteint, le fils tournait dans le vide, terre désorbitée. ». Il ne reste plus au fils qu’à reproduire en son corps et en son âme, au fond de sa grande propriété silencieuse, le corps sacré de la génitrice.


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