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Prometheus, l’Avatar-isation de Ridley Scott

Par Variae

Un film ne se résume certes pas à ses premières images, mais elles donnent incontestablement le la pour les suivantes. A cet égard, Prometheus, le nouveau film de Ridley Scott met les pieds dans le plat. Le spectateur est confronté, au bout de quelques minutes seulement, à un long plan sur un extra-terrestre, humanoïde albinos de grande taille, et pour tout dire assez ridicule – ou du moins bien éloigné de l’ambiance et du ton de la saga Alien.

Prometheus, l’Avatar-isation de Ridley Scott

C’est toute l’ambiguïté de Prometheus, film racontant la mission d’exploration interplanétaire d’un groupe de scientifiques recherchant les origines de la vie sur Terre. D’abord présenté comme un préquel d’Alien, expliquant l’origine des créatures du même nom et peut-être de leurs créateurs, le nouveau film de Ridley Scott a ensuite, dans la dernière ligne droite avant sa sortie, été  « vendu » comme un objet indépendant de son glorieux prédécesseur, même si situé dans le même univers. En vérité, le long métrage se situe de bout en bout dans le clin d’œil systématique à Alien, depuis l’identité de la multinationale finançant le voyage scientifique jusqu’aux gimmicks scénaristiques (les créatures parasites qui jaillissent du ventre de leur victime, les combats en huis clos, les héros décimés au cours de l’histoire, à part un personnage féminin central, etc.), sans parler d’une référence conclusive encore plus claire (que je n’expliciterai pas pour ne pas gâcher la surprise à de futurs spectateurs). Quoi qu’en dise Ridley Scott, Prometheus ne peut donc qu’être jugé à l’aune du premier Alien et de ses suites – et c’est là que le bât blesse.

Car il y a une identité « Alien », film qui a lancé un genre, et contribué à façonner la science-fiction contemporaine, du cinéma aux jeux vidéo. Œuvre se situant du côté de ce que l’on appelle la « hard science » (science-fiction réaliste) plutôt que du « space opera » (science-fiction épique à la Star Wars, Star Trek, avec rayons lasers et empires galactiques à foison), Alien a défini un style sombre et angoissant, construit sur quelques fondamentaux : l’esthétique dérangeante et « biomécanique » du plasticien Hans Ruedi Giger ; le huis clos étouffant et sans issue (« dans l’espace, on ne vous entend pas crier ») ; la futilité de la vie humaine et de l’héroïsme, les personnages étant confrontés à un ennemi sans nom, sans pitié, sans communication possible, et sans projet autre que les tuer et (à partir d’Aliens) de se reproduire. Ces éléments composent la signature Alien, reproduite, avec des variations, par James Cameron, David Fincher et Jean-Pierre Jeunet dans les épisodes suivants de la série.

C’est avec cet horizon d’attente que le spectateur fan de science-fiction, et fidèle des « Alien » successifs (encore une fois, tout est fait pour l’attirer), se cale dans son fauteuil de cinéma pour déguster Prometheus. Et autant le dire, il a de quoi être désarçonné. Car Ridley Scott semble osciller en permanence entre les codes distinctifs d’Alien, et des éléments relevant d’autres genres de science-fiction (voire du space opera). La gêne, en conséquence, est constante. Est-ce cette musique de fond envahissante et grandiloquente ? Est-ce l’entre-deux jamais tranché entre huis clos et exploration (les personnages sont confrontés à … plusieurs huis clos successifs, enfermés sans l’être tout en l’étant, la fuite n’étant jamais ultimement un problème) ? Est-ce ce fil rouge sur le thème de la scientifique qui décide, ou non, de « croire » à l’origine extra-terrestre de la vie terrestre (I want to believe, on est presque dans X Files) et qui à la fin tente de gagner la planète d’origine des Créateurs « pour avoir des réponses » ( !) ?

Curieux retournement. Il y a 30 ans, c’est James Cameron qui, avec Aliens, reprenait la saga lancée par Scott. Aujourd’hui, on a presque le sentiment inverse. Car il s’est passé entretemps un autre choc dans la science-fiction : la sortie d’Avatar, avec son gigantesque monde à explorer, ses humanoïdes géants, ses aventures à ciel ouvert et même sa Sigourney Weaver, emprunt pied-de-nez à Ridley Scott et au premier Alien. Il faut bien le dire, Prometheus a tout d’un film post-Avatar. Comment ne pas voir dans les albinos géants de Ridley Scott – apparaissant donc en ouverture de l’histoire, alors que l’alien « traditionnel » surgissait par surprise en cours de film – une sorte de réponse aux Na’vi de James Cameron, avec leur civilisation, leur langage hiéroglyphique, leurs objectifs étrangers à ceux des Humains ? Tout le problème est qu’on parle là d’univers fantastiques à peu près aussi compatibles que l’eau et l’huile, en termes de ressorts dramatiques comme de tonalité. Epopée écolo-geek contre lutte désespérée pour survivre. Et c’est bien le sentiment que donne Prometheus, film bancal, grandiose par moments mais beaucoup trop léger le reste du temps, balançant entre horreur spatiale et épopée fondatrice, hésitant sur la direction à prendre, jusque dans un scénario parfois lesté d’incohérences et de facilités. La suite – si suite il y a, mais les dernières images ne laissent pas beaucoup de place au doute – tranchera peut-être dans un sens. Il n’est pas sûr en revanche que les inconditionnels de Ridley Scott et de la « marque » Alien l’attendent avec autant d’engouement.

Romain Pigenel


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