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Back dans les bacs

Publié le 17 mars 2008 par Dje
Back dans les bacs

C'est étrange parfois comment les paroles d'un jour trouvent un parallèle étonnant dans l'actualité de la semaine suivante. Je peux pourtant vous jurer qu'en évoquant l'âge d'or du hip-hop français lundi dernier, je n'étais en aucun cas au courant de la reformation de NTM trois jours plus tard. Et puis, quelques minutes après avoir écrit ma chronique hebdomadaire, je zappe sur Canal+ et je tombe sur les têtes de Kool Shen et Joey Starr face à face, et l'annonce sèche de leur reformation sur le plateau du Grand Journal. Surprise, étonnement, circonspection. Dix ans que l'on attendait ça, ou plutôt que l'on ne l'attendait plus tant les deux compères avaient pris des chemins artistiques opposés. Dix ans après le superbe album "Suprême NTM" marquant l'apogée du rap français que fut l'année 1998, l'album de la maturité d'un groupe dont on sentait déjà pourtant que la fin était proche. Et l'on ne s'était pas trompé.

Pour beaucoup de gens, NTM se résume à un nom provocateur et aux frasques violentes de Joey Starr. Même si on ne peut pas nier le coté obscur du duo, cette vision est extrêmement réductrice. Le parallèle avec Noir Désir est tellement fort que je ne peux m'empêcher de le rappeler à chaque fois. Parallèle dans les actes, mais pas dans l'esprit des gens qui ne peuvent s'empêcher de juger NTM sans même s'intéresser à leur histoire et à leur musique. Alors pour ceux qui ne savent pas ou ne comprennent pas ce que ce groupe a de mythique, laissez-moi vous proposer un petit voyage dans le temps.

L'histoire nous ramène au début des années 1980. "1983 il y a plus de dix ans déjà" comme le raconte Kool Shen dans le titre Tout n'est pas si facile. Les débuts du mouvement hip-hop en France, tout juste importé des Etats-Unis où il s'est développé depuis le milieu des années 1970. Les gars de Saint-Denis ont alors à peine 18 ans, et ils usent leurs survêtements des heures durant à s'entraîner à cette danse bizarre nommée breakdance qui consiste à se rouler par terre dans les figures les plus extravagantes. Les vrais débuts de NTM, c'est dans le métro qu'ils ont lieu. Pas dans les couloirs à faire la manche en chantant, non, mais sur les rails, la nuit, à repeindre à la bombe les murs noirs et salis, dans la crasse, la pénombre et l'exaltation. Si vous prenez aujourd'hui la ligne 13, celle qui relie Saint-Denis, observez attentivement les murs dès que le métro quitte la lumière des stations. Vous remarquerez alors peut-être les graffitis maladroits qui marquent les débuts de la carrière de NTM, vestiges d'une époque révolue dont seuls subsistent aujourd'hui trois lettres provocatrices et le formidable hommage à la culture hip-hop underground qu'est le morceau Paris sous les bombes.

C'est peut-être ça le plus fascinant chez NTM : ils étaient là, dès le début. Ils ont vécu les premiers pas d'un mouvement qui a révolutionné à la fois la musique et les modes de pensée. Ils ont été à la base d'un phénomène qui a inspiré toute une génération et qui continue encore d'exister bien au-delà du simple phénomène de mode que la société bien-pensante stigmatisait dans les années 1980. Comme des dinosaures prompts à rappeler aux jeunes loups ce qu'était et que n'aurait jamais dû cesser d'être l'esprit hip-hop : parler de la merde qui nous entoure pour en ressortir un message positif et porteur d'espoir. N'en déplaise à ses détracteurs, le rap n'a jamais été une culture nihiliste, loin de là. Mais pour comprendre le mode de pensée d'un artiste, encore faut-il prendre le temps de l'écouter.

De fil en aiguille, le collectif NTM s'est essayé à toutes les facettes artistiques du hip-hop, et après le graff et le break il s'est tout naturellement attaqué au rap - bien lui en a pris. Quinze ans de carrière plus tard, les deux survivants du groupe de départ ont semé quelques-uns des morceaux les plus forts de l'histoire de cette musique. Des titres sensés et profonds qui puent l'essence même du hip-hop. Attaqués de multiples cotés, décrédibilisés par la mise en avant médiatique de morceaux un peu faciles comme le ridicule Ma Benz, et touchés au cœur par les polémiques justifiées autour de Joey Starr, NTM avait choisi de ne pas donner suite à leur quatrième album, qui marquait de toutes façons un certain essoufflement. Chacun avait alors poursuivi sa route. Pendant que Joey Starr s'éloignait progressivement de l'underground pour se "peopeliser" et se racheter une conduite, Kool Shen continuait son travail dans l'ombre en dénichant de nouveaux talents avant de nous servir un magnifique album solo ( Dernier Round) et de tirer sa révérence, dans un dernier geste de grande classe qui prouvait définitivement que c'était le grand bonhomme de l'histoire du rap français.

Voilà résumée en quelques lignes la vraie histoire de NTM, groupe pionnier et fondateur d'une mouvance qui a fait grandir beaucoup d'adolescents en manque de repères. Et on me dit maintenant que les deux frères ennemis veulent se reformer le temps de donner trois concerts à l'Olympia en septembre. Quelle utilité de faire ça ? N'ont-ils pas plus à perdre qu'à gagner dans cette histoire ? Eux qui ne se parlaient plus depuis des années suite à des divergences d'opinion, sont-ils prêts à mettre leur fierté et leurs différents de coté juste le temps d'un petit coup marketing ? Cette nouvelle me laisse relativement perplexe, et j'ai peur de n'y voir qu'une opération commerciale inutile qui aux yeux de beaucoup reviendrait à vendre l'âme du groupe au justificatif de pressions extra-musicales. Je ne remets pas en doute l'envie de remonter sur scène, car quand le contact du public a été une véritable raison de vivre c'est très difficile de s'en passer. Je ne cache pas non plus que voir les gens se souvenir subitement de NTM me fait plaisir d'une certaine façon, même si pour beaucoup ce n'est qu'un façade pour se donner du relief, car il est devenu de bon goût de dire que l'on apprécie le hip-hop. Mais je n'irai pas voir ces concerts, de la même manière que je n'aurais pas été jusqu'à Londres pour voir la reformation d'un soir de Led Zeppelin.

Vue l'évolution pathétique du rap français, la reformation d'un groupe aussi mythique - ne serait-ce que trois jours - est forcément une bonne nouvelle. Histoire de rappeler à tous ce qui fait le sens profond de cette musique. Pour autant, il y a certaines choses qui nécessitent qu'on ne revienne pas dessus, sous peine de déception face à une pâle copie de ce que l'on a tant apprécié. Non, certains sanctuaires ne méritent pas d'être réouverts. J'espère juste que la profanation ne sera pas trop préjudiciable.


(C'est donc ça nos vies... 17.03.2008)

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