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Claude Imbert: diagnostic de la France, impéritie des français

Publié le 21 juin 2012 par Thegap

L'insouciance et l'effroi
Editorial de Claude Imbert dans le Point du 14 juin...
Sur des millions de Français, la révélation, par la grande crise, de l'état pathétique de notre Nation est tombée comme un de ces bilans cliniques qui, tout à trac, découvrent une "maladie grave". L'homme de la rue savait la France patraque, il ne la savait pas rongée par le déficit, minée par la déchéance. Et le branle-bas des vérités ajoute au ressentiment populaire. Il nourrit cette abstention électorale de dimanche, la plus sévère de la Ve République. Comme les grenouilles de la fable, le bon peuple déblatère les soliveaux qui le laissèrent péricliter "peinard". En France, seul le désastre déchaîne les vérités captives.
En réalité, nos soliveaux politiques de gauche ou de droite, ni pires ni meilleurs que leurs électeurs, se laissent, depuis trente ans, glisser dans le déficit et le déclassement national avec ce mélange d'optimisme factice et d'évitements opportuns qui prépare, chez nous, les "étranges défaites". "Insouciance habituelle, effroi passager !" (1). "À ce rythme, disait de Gaulle désabusé, va l'histoire de France..."
Pour oser le vrai diagnostic, il eût fallu dénoncer l'enlisement insidieux de la Nation dans ce socialisme archaïque du modèle français, celui d'une assistance déréglée de l'État payée par l'emprunt. Aucun grand parti ne s'y risqua. Ni la gauche, qui croyait encore à ses chimères, ni la droite, dont le réformisme, velléitaire chez Chirac, ne fut pas chez Sarkozy à la hauteur d'un enjeu si colossal. De bout en bout, le mot même de rigueur fut, en France, banni. Et l'introuvable diagnostic n'aura fréquenté ni l'élection présidentielle ni les actuelles législatives, où l'on pelote le subalterne sans toucher à l'essentiel.
Ineffable, donc, ou inaudible à l'intérieur, le diagnostic pourtant rôde en Europe et dans le monde. Il assène cette évidence : la France rame à contre-courant dans la compétition mondiale. En Europe, à contre-courant des pays qui se portent mieux qu'elle. À contre-courant même du socialisme européen, qui, sauf chez nous, réforme ses fondations. Partout, il se "schröderise" et taille dans les dépenses publiques.
Observer autrui pour s'enseigner soi-même, la méthode date du néolithique. On admettra qu'elle se soit de nos jours raffinée. Et d'abord dans l'art du commerce et de l'entreprise. Les tests de qualité comparative prolifèrent dans ce que le management anglo-saxon appelle le benchmarking. Son systématisme n'a pas investi nos politiques européennes. On y résiste pour de bonnes et de mauvaises raisons.
Les bonnes raisons tiennent à la spécificité historique, démographique, culturelle de chaque pays : le génie de chaque peuple interdit de transposer chez l'un ce qui réussit à l'autre. Les Grecs ne sont pas des Allemands. Et, chez nous, la prétention d'invoquer les modèles de la Suède ou du Danemark reste comique, tant leur disposition culturelle au consensus, leur participation syndicale, leur faible addiction à la triche fiscale et sociale contrastent avec nos pétaudières latines. Il est, en outre, évident que les disparités de méthode limitent, ici ou là, la valeur des comparaisons.
Il en est pourtant de pertinentes. Se cramponner à la retraite à 60 ans quand toute l'Europe se met aux 65 ou 67, aligner parmi nos pairs le record de la dépense publique par rapport à la richesse nationale et le record fiscal qui l'assure, décrocher le record mondial du budget social : autant de données comparatives qui, depuis longtemps, devraient percer l'édredon officiel.
Cette semaine, encore, un classement nous place au 29e rang de la compétitivité. Il explique que les parts de marché de la France, dans les échanges internationaux, aient tellement chuté. Seule la Grèce a fait pire. On découvre - grande découverte ! - que le coût du travail a progressé, entre 1999 et 2007, de 2,3 % en France... et reculé de 10,8 % en Allemagne. Il a fallu vingt ans pour que la France "découvre" que son enseignement ne monte pas mais décline. En vérité, des enquêtes nationales le disaient aussi, mais cachées sous nos moquettes officielles.
On a raison de se méfier des comparaisons bancales. Mais le triste butoir où nous sommes acculés plébiscite plutôt les indicateurs contre l'"optimisme scélérat" de l'omerta publique. Que la France vive depuis trente ans au-dessus de ses moyens, quelques cassandres le criaient dans le désert. La panade, soudain, l'enseigne à tous.
À l'heure critique où nous sommes, les comparaisons éloquentes, les alarmes venues de partout devraient s'évader des journaux élitaires, gagner les grands médias populaires. Et, chez les politiques, baliser, en chiffres de feu, notre proche avenir. Pour quitter l'insouciance sans sombrer dans l'effroi. Pour conjurer la hantise de ce déclin historique que de Gaulle, à la fin de sa vie, ressassait à ses intimes : la "portugalisation de la France".
Par Claude Imbert 1. Benjamin Constant.

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