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[note de lecture] "Abalamour" de Paol Keineg, par Jean-Pascal Dubost

Par Florence Trocmé

KeinegCe n’est pas une agglutination de « à bas l’amour », qu’il faut ici lire, en titre, mais un bretonnisme, une tournure propre à la langue bretonne, un complémenteur1 qui sélectionne la préposition « da » ou « ma » : parce que, à cause de. Le choix de cette tournure pour titre, quoiqu’elle pourrait métaphoriser, si on retient l’ambiguïté néanmoins provoquée par la sonorité, un certain désenchantement propre au poète dans ce livre devant l’humanité sinon le fait de vivre, le choix de cette tournure est un essai de relier, dans cette jeune maison d’édition située à Brest, sous l’impulsion d’Alain Le Saux, les deux pseudonymes sous lesquels Paol Keineg a écrit et publié différents ensembles, assavoir Yves Danielou et Chann Lagatu ; sous son vrai nom, il les rassemble2, et signifie au lecteur cet autre désenchantement : c’est parce qu’il y a leur présence en lui qu’il poursuit cet acte d’écrire auquel il ne semble plus croire beaucoup ; ou bien à cause d’eux qu’il poursuit le désenchantement. Beaucoup des poèmes, ancrés profondément dans la matière bretonne et dans l’histoire personnelle de l’auteur, sont teintés largement de nostalgie et de regret (« affecté par l’inerte dans la langue/je parle sur fond de déploiement/du capitalisme »), on lit le constat d’un poète qui a perdu ses illusions, perte qu’il tente néanmoins de resserrer en poèmes un peu secs, parfois aphoristiques, afin de ne pas céder aux sirènes de la plainte. Un poète qui ne croit plus au monde s’attache alors aux détails de sa vie (« c’est un peu autobiographique/évidemment/les casseroles et la cafetière bien au chaud »), de celle même qui l’entoure (une paysanne, un verre de vin blanc, la cueillette des mûres…), parfois quelque réflexion surgit des gestes ordinaires, « ceci est la cassure d’un monde sans morale ».  
 
Désenchantement, à quoi nous ajouterons résignation, chez ce poète qui fut un ardent militant à ses débuts, un de ceux qui a peut-être cru que la langue du poème pouvait apporter quelque modification à la lourde marche capitaliste du monde. Au final de cette lecture, on a le sentiment d’une grande solitude, celle d’un poète qui délègue à des pseudonymes ses dernières volontés d’être vivant, « Il faut mourir, dit-on/pour faire de la place//aux vivants –/faisons beaucoup de place » ; on pressent presque le désir de toute cessation d’activité d’écriture. 
 
 
[Jean-Pascal Dubost] 
 
 
 
1
Est la tête fonctionnelle d’une proposition (comme les conjonctions de coordination ou les pronoms relatifs). 
2  Ensembles publiés à l’origine par les éditions Wigwam. 
 
 
Paol Keineg 
Abalamour 
Les Hauts-Fonds 
16,50€ 


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