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Echos d ’une époque lointaine…

Par Borokoff

A propos de Faust d ’Alexandr Sokourov ★★★★☆

Johannes Zeiler - Faust d'Alexandr Sokurov - Borokoff / Blog de critique cinéma

Johannes Zeiler

Au XIXème siècle, le Docteur Faust est un homme admiré et reconnu par tous pour son savoir immense. Pourtant, au fond de lui, Faust éprouve de l’amertume. La science et ses connaissances ne lui ont rien appris, rien qui puisse l’épanouir ni le rendre heureux sur cette Terre. C’est alors qu’apparait, sous les traits d’un usurier, Méphistophélès, le Diable en personne, qui lui propose, en échange de son âme, de le faire participer à tous les plaisirs charnels possibles sur Terre. Faust, qui n’a plus grand-chose à perdre ni une grande estime de lui-même, accepte et se vautre peu à peu dans la luxure. Mais lorsqu’il est sommé par Méphistophélès de le suivre en Enfer, Faust éprouve soudain des réticences…

Goethe (1749-1832) a écrit deux pièces intitulées Faust. La première a été publiée en 1808 et la seconde à titre posthume en 1832. Librement inspiré par la première pièce, le Faust de Sokourov est le dernier volet d’une tétralogie précédée de Moloch (1999), Taurus (2000) et Le soleil (2004).

Mais alors que Moloch, Taurus et Le soleil, dans leur entreprise, visaient à démythifier, en décrivant leur quotidien, les figures de dictateurs ayant été à la tête de quatre des régimes totalitaires les plus sanglants du XXème siècle (dans l’ordre respectif, Hitler, Lénine et Staline, et Hiro-Hito), Faust décrit quant à lui avant tout la trajectoire d’un homme plus lambda, certes médecin érudit mais un citoyen anonyme qui s ’est perdu en vendant, au sens propre, son âme au Diable.

Johannes Zeiler, Anton Adansinskiy - Faust de Alexandr Sokurov - Borokoff / Blog de critique cinéma

Johannes Zeiler, Anton Adansinskiy

Cet Homme du XIXème siècle, dont Goethe lui-même avait trouvé l’inspiration dans un conte du XVIème siècle, trouve un écho moins évident et plus lointain à notre époque. Brillant et ambitieux, mais perdu dans des chimères, Faust terminera dans un royaume des limbes comme dans Inception (scène finale sublime dans Faust dans sa dimension picturale et fantastique).

Alors par quoi commencer pour décrire ce nouveau chef d’œuvre de Sokourov, et peut-être son plus beau film ? Par le jeu de ses acteurs ? Par le travail exceptionnel sur l’image ?

Allons, commençons par là. Car la première chose marquante dans Faust, c’est l’incroyable fluidité de la mise en scène, et ces plans séquences qui rappellent L’arche russe (2003) au point qu’on a parfois l’impression que Faust est filmé en un seul plan et une prise unique. L’acteur (extraordinaire Anton Adansinskiy) qui joue l’usurier diabolique rappelle d’ailleurs, jusque dans sa ressemblance physique, le personnage cynique du diplomate français qui regardait la caméra de Sokourov et introduisait le spectateur dans chaque pièce du Musée de l’Ermitage de Saint-Pétersbourg dans L’arche russe.

Tout le film de Sokourov donne l’impression d’être construit comme une longue rêverie tourmentée, une plongée dans la psyché complexe et pour le moins agitée de Faust, personnage fascinant dans ses contradictions, capable à la fois des plus hautes aspirations spirituelles comme des pensées les plus viles et les plus abjectes. N’est-ce pas après la proposition de Méphisto, et grâce à son érudition, que Faust parviendra à séduire une jeune lavandière, symbole de l’innocence et d’une beauté que l’on pourrait qualifier d’originelles ?

Le traitement de l’image est très pictural et évoque notamment les peintures de Bosch (1453-1516). Pour donner l’impression de crasse (auberges, rues) et de masse grouillante (le peuple) dans la ville où s’ébroue Faust, la photographie a été confiée au Français Bruno Delbonnel, qui avait œuvré notamment pour l’Amélie Poulain de Jeunet. Delbonnel a bien réussi à créer une ambiance brumeuse (annonce des ténèbres qui attendent Faust) et une image au teint gris et verdâtre. A la délicatesse des tons et des couleurs roux d’automne, dans la scène où Faust se promène au bras de la lavandière dans un parc, s’oppose la grisaille boueuse des tripots où il traine avec l’usurier. Cet usurier au physique étrange, ingrat, au visage émacié mais au corps opulent, est affublé chez Sokourov d’un sexe minuscule qui pend à ses fesses, ce qui épouvante et fascine à la fois les jeunes lavandières quand Méphistophélès décide de se baigner nu devant elles. A la fin du film, il ressemble en tous points à Klaus Kinski dans Aguirre, la colère de Dieu (1972) d’Herzog.

Faust s’ouvre sur une scène dans laquelle apparaissent en gros plan les viscères d’un mort que le médecin (parfaitement interprété par Johannes Zeiler, aux faux-airs de Ralph Fiennes) dissèque. Cette première image est une allégorie. Elle annonce les paradoxes d’un homme que Méphisto décrit à la fois comme un scientifique très instruit mais aussi « un homme qui manque de confiance en lui », ce qui le perdra tout autant que sa cupidité.

L’image des corps est souvent distordue, par un jeu d’objectifs qu’affectionne Sokourov. Mais alors que ce traitement de l’image agaçait et passait pour de l’afféterie dans Père, fils, 2003 ou Mère et fils, 1997 par exemple, il parait beaucoup plus justifié dans Faust, Sokourov voulant montrer sans doute que la réalité pour Faust est de plus en plus mouvante et confuse, et qu ’elle lui échappe, comme sa lucidité, à mesure qu ’il s’avilit et se vautre dans toutes sortes de bassesses.

Faust, personnage romantique, annonciateur du chaos et des régimes totalitaires du XXème siècle ? Si le pas est un peu facile à franchir, il ne fallait pas moins comprendre que ce Faust là est bien la préquelle des Moloch, Taurus et Le soleil… Mais alors, le monde pour Sokourov se serait-il arrêté en 1950 ?…

http://www.youtube.com/watch?v=SQmfCzkSYSo

Film russe d ’Alexandre Sokourov, avec Johannes Zeiler, Anton Adansinsky, Isolda Dychauk (02 h 14).

Scénario de  Marina Koreneva et Alexandr Sokurov d ’après l ’œuvre de Goethe :

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Mise en scène :

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Acteurs : 

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Dialogues :

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Compositions d ’Andrey Sigle :

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