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"Accident de personne" d'Anne-Frédérique Rochat

Publié le 28 juin 2012 par Francisrichard @francisrichard

Bloqué dans un train, après l'annonce par haut-parleur d'un accident de personne, on est pris entre deux réactions, d'agacement d'être empêché de circuler à sa guise et d'effroi de penser que quelqu'un ou quelqu'une a choisi de mettre ainsi fin à ses jours.

Car, comme le chante Alain Souchon, la vie ne vaut peut-être rien, mais rien ne vaut la vie, surtout quand, dit-il, instant de bonheur tout simple, il tient là dans ses mains éblouies les deux jolis petits seins de son amie...

C'est dans cette situation ferroviaire que se trouve l'héroïne de ce premier roman.

Quand cet accident, qui n'en est pas un, se produit, la première réaction de Charline Perrault est d'effroi et celle du monsieur d'en face d'agacement, parce que le train s'est arrêté non loin de la gare où il descend.

Quand le bruit court qu'il s'agit d'une jeune femme, Charline visionne sa robe bleue tachée de sang et s'interroge:

"Accident de personne. Accident de personne. Pourquoi pas accident de quelqu'une?"

Charline se rend chez une vieille dame, Agathe, dont elle doit garder le chat, le temps pour cette dame d'un voyage en Turquie. Agathe habite la ville au bord du lac, où Charline a passé son enfance et d'où elle s'est enfuie. Très vite elle apprend que la quelqu'une qui s'est jetée sur la voie est une de ses camarades de classe à l'école primaire, Viviane Dubois. Sa mort ne lui en paraît que plus terrible et plus invraisemblable. 

Ne serait-ce qu'un jour, Charline aurait aimé avoir des parents tels que ceux de Viviane, aimants et attentionnés. De plus Jean et Elise Dubois sont beaux et s'aiment. Et ça se voit. Un mouchoir de coton blanc, brodé de fil bleu, formant les initiales VD, oublié sur un banc par Elise lors de l'enterrement de sa fille, recueilli pieusement par Charline, va servir à cette dernière de prétexte à se rendre chez les Dubois et à devenir leur consolation.

Les parents de Charline, eux, ne se sont jamais remis de la mort accidentelle de Charlotte, la soeur jumelle de Charline, qui était non seulement sa soeur mais sa compagne. Charlotte avait toutes les qualités. En se jetant du balcon de la maison pour, croyait-elle, s'envoler, elle a en fait emmené leurs parents dans sa tombe. Et Charline l'a perdue et peut donc désormais tout perdre.

Charline pense que le monde, lui, aurait moins perdu si c'était elle qui était morte, elle qui est "gauche et maladroite, pudique et renfermée". Jusqu'à il y a sept mois et trois semaines il restait encore à Charline la peinture et le dessin, mais elle n'arrive plus à créer. Viviane, la souffleuse de verre, a bien dû, elle aussi, connaître ce vide...

La vie de Charline est solitude. D'aucuns se rongent les ongles, elle tire sur les petites peaux de ses doigts jusqu'à saigner. Elle éprouve alors "une douleur comme un plaisir, quelque chose qui donne le sentiment d'exister". Pour ne pas exposer ces mains martyrisées, Charline porte des gants. 

Comme d'autres collectionnent les chaussures, Charline a des gants de toutes les couleurs, pour tous les circonstances, des verts, des noirs, des blancs, des violets, des bleus, des roses... De ne pouvoir se livrer à cause d'eux à des jeux de mains lui jouera un jour un mauvais tour...

Anne-Frédérique Rochat nous dresse au fil des pages le portrait d'une jeune femme,"émotionnellement contispée, verrouillée", qui souffre d'"un manque affectif et sensuel". Charline ne songe-t-elle pas un jour:

"Ce soir, j'aimerais bien dormir dans les bras de quelqu'un. Un autre corps enrobant le mien pour mieux le sentir. Devenir, sous les caresses, sous le frottement des peaux, devenir sous les baisers, sous une langue et des doigts, mon corps délimité et ouvert à la fois."

Comment cela finira-t-il, se demande-t-on? L'auteur, qui est comédienne et qui "a écrit plusieurs pièces de théâtre", selon la dernière de couverture, sait ménager le suspense jusqu'au bout.

Il n'est pas anodin qu'elle ponctue la progression de l'intrigue de réflexions du conducteur du train qui a écrasé Viviane, et qui reste traumatisé, et de processus d'élaboration d'oeuvres d'art par les souffleurs de verre.

L'acte de créer ne doit-il pas se faire dans la douleur?

Francis Richard

Accident de personne, Anne-Frédérique Rochat, 160 pages, Editions Luce Wilquin ici


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