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Sculpture numérique et impression 3D, matérialisation du virtuel: de l’art à la société de consommation

Publié le 12 juillet 2012 par Modandwa @modandwa

Art, artistes et sculpture numérique

Les entreprises ont contribué à stabiliser les produits de l’impression 3D, en encourageant à la création de prototypes « fonctionnels », ayant les mêmes propriétés mécaniques que le modèle usiné (cf. notre précédent article sur le prototypage rapide). Les nouvelles résines utilisées dans la photopolymérisation permettent de créer des objets à la rigidité et la résistance très proche d’un thermoplastique. Les travaux du chercheur français Thierry Chartier ont récemment abouti à la création d’une résine photosensible, capable de produire des objets en céramique dense. Ce rôle de lobbying, les entreprises ne sont pas les seuls à le jouer.

Artistes : un moteur de l’innovation

utilisation du procédé d'impression 3D dans l'art

Chant Cosmique (1994) par Christian Lavign

Si pour les entreprises, il s’agit surtout de produire rapidement des prototypes, qui sitôt utilisés tombent dans les oubliettes, il en va autrement pour les artistes et les designers. Il est primordial pour eux de réaliser des œuvres d’art pérennes et de pouvoir diversifier les matières utilisés (résine et plastique ça va deux secondes!). Jouant un rôle de lobbying et de soutien au développement de l’impression 3D, les premiers artistes numériques n’ont pas hésité à s’associer avec de prestigieux laboratoires de recherche. Christian Lavigne a ainsi réalisé la première sculpture en stéréolitographie en s’associant avec l’Ecole Centrale. Aujourd’hui, les ateliers de prototypage rapide développent des marques proposant des modèles « design ».

En somme, l’évolution de ces techniques vient de la confluence entre l’état de la recherche, le besoin des industriels et celui des artistes, soit le souci de créer des prototypes fonctionnels (donc en règle général stables…) et celui de créer des œuvres d’art pérennes.

Un nouveau processus de création

Dans le domaine du design et de l’art, les possibilités de forme se trouvent démultipliées par ce type de technique : volutes folles, transparences, l’utilisation de la stéréolithographie par les artistes aboutit à une nouvelle esthétique, directement issu de la culture numérique…

L’utilisation de ces techniques engendre inévitablement un nouveau processus de création. Le modèle numérique est malléable, modifiable : imaginez un sculpteur qui peut se tromper et revenir en arrière… ceci change complètement la méthode de création, l’approche du travail et sa technique.

De nouveaux artistes

Sculpture numérique et impression 3D, matérialisation du virtuel: de l’art à la société de consommation

Fractal Flowers, sculpture digitale de Miguel Chevalier en stéréolithographie

C’est bien une nouvelle forme d’art et d’expression, une nouvelle pratique artistique plus qu’une modification de la pratique préexistante… et cette nouvelle pratique a ses nouveaux maîtres, sculpteurs du virtuels.

Anciennement, ceux-ci étaient considérés comme de simples techniciens : sculpter numériquement n’était pas une forme d’expression artistique, les modèles sont reproductibles à l’infini.

Les mentalités tendent à changer pour faire de ces artisans du numérique, des artistes à part entière: expositions, lieux consacrés (Le Cube ou la Gaîté Lyrique), réflexions sur la place du numérique dans le monde de l’art contemporain. On peut penser à Miguel Chevalier, qui expose en ce moment à Colmar mais aussi à l’espace culturelle Louis Vuitton à Paris jusqu’au 16 septembre, dans le cadre de l’exposition (gratuite) Turbulences, consacrée à l’art contemporain, faisant la part belle à l’art numérique (à n’en pas douter, le sujet d’un prochain article).

Cet artiste complet, utilise toutes les formes d’expression numérique à sa disposition : installations interagissant avec les visiteurs, installations sonores et visuelles, vidéos, sérigraphies sur plexiglas ou stéréolithographies… Ses Fractal Flowers sont générées de façon variable au moyen d’un code de programmation, une sorte de jardin virtuel en mouvement : la stéréolithographie matérialise cette réalité virtuelle, autogénérée. D’une certaine façon, il met un terme au débat récurrent entre réel et virtuel, la stéréolithographie est un pont entre de multiples réalités; virtualisation du monde réel? naturalisme de la création virtuelle?

Utilisations actuelles et prospectives…

Revenons à un débat plus terre à terre, les champs d’application concrète de ces méthodes de production.

Sculpture numérique et patrimoine culturelle

La sculpture numérique est particulièrement utilisée dans le cadre de la reprographie de sculpture ou encore d’ornements décoratifs. Il n’est plus besoin de manipuler l’objet à reproduire ou encore de le mouler. Scanné, celui-ci est reproduit par impression ou encore taillé au laser.

Sculpture numérique et impression 3D, matérialisation du virtuel: de l’art à la société de consommation
Stéréolithographie de la structure interne de l’oreille d’un babouin fossilisé de 2,8 millions d’années

On peut à cet égard saluer l’initiative de l’atelier Lithias qui, installé au cœur de l’abbaye de Cluny, tend à participer à la sauvegarde du patrimoine (reproductions d’œuvres centenaires en pierre naturelle grâce à des robots « tailleurs de pierre », tout en assurant la préservation et le renouveau de l’art sculptural en faisant appel aux gestes traditionnels du sculpteur.

En paléontologie, la stéréolithographie associée avec la tomodensitométrie (navré…encore un terme barbare), a ouvert de nouveaux champs de recherche. La tomodensitométrie permet de scanner par coupe précisément l’intérieur des objets.

Les différentes coupes 2D sont assemblées à l’aide d’un logiciel, pour créer une représentation en 3D: cette technique est notamment développée pour réaliser des autopsies virtuelles. On peut dès lors reproduire précisément en stéréolithographie les structures internes. En paléontologie, on utilise ces techniques pour reproduire des structures internes, jusque là inaccessible sans abimer le fossile, ou encore trop petites.

Design & Co

Sculpture numérique et impression 3D, matérialisation du virtuel: de l’art à la société de consommation

Lampe imaginée par la finlandaise Janne Kyttänen et réalisée en stéréolithographie

Sculpture numérique et impression 3D, matérialisation du virtuel: de l’art à la société de consommation
Design de Matthias Bär pour cette table en stéréolithographie
Sculpture numérique et impression 3D, matérialisation du virtuel: de l’art à la société de consommation
Chaise designée par Patrick Jouin en stérélothographie

Le design s’est approprié cette nouvelle méthode de production, rapide, et de plus en plus stable. Celle-ci permet en outre d’innover : de nouvelles formes, plus complexes, apparaissent.

Tant dans l’art que le design, la stéréolithographie semble imposer une nouvelle esthétique. L’évolution des technologies permet en effet de repousser les limites techniques qui s’imposaient au designer. Cette esthétique fait souvent référence à la nature, avec des formes organiques, mettant ainsi en abîme le paradoxe virtuel/réel. En effet, ces objets adoptent des designs qui font référence à la nature: l’éponge pour Janne Kytannen, les arbres pour Matthias Bär…

Sculpture numérique et impression 3D, matérialisation du virtuel: de l’art à la société de consommation

Collier en stéréolithographie par Doug Bucci

On retrouve une approche esthétique analogue pour les créations de bijoux en stéréolithographie.

Sculpture numérique et impression 3D, matérialisation du virtuel: de l’art à la société de consommation

Collier en poudre de nylon frittée, par Miguel Chevalier

Les bijoux adoptent des formes complexes, inhabituelles dans la bijouterie, qui font référence à la nature ou alors à des réalités virtuelles pixelisées.

Et plus si affinités ?

La stéréolithographie entre progressivement dans notre quotidien.

En médecine, les méthodes de « prototypage rapide » sont utilisés pour créer des prothèses sur mesure. A l’heure actuelle, des équipes de recherche sont même entrain de travailler sur l’impression 3D… de nourriture.

La reprographie et la création de modèles fonctionnels ouvre également d’autres perspectives : aux Etats-Unis, une société fabrique des pièces de remplacement devenues introuvables, pour des modèles de voiture ancienne.

Une économie commence bien à se développer autour de la révolution de la sculpture numérique: avec ses commerces, ses objets de consommation et ses circuits de distribution.

Au Japon, une société propose de fabriquer des modèles de poupées personnalisées, grâce à la stéréolithographie. La customisation et le sur-mesure ne sont plus réservés au seul univers du luxe. Au Japon, des poupées personnalisables en stéréolithographieLes maker spaces proposent aux amateurs de s’initier aux pratiques de création numérique et d’imprimer leurs créations numériques, en mutualisant les machines de production: mouvement parti des Etats-Unis, FabLabs ou encore TechShops essaiment à travers le monde et contribuent ainsi à une démocratisation de ces procédés de fabrication…

Sur internet, des sites proposent d’échanger des modèles 3D ou encore de vendre vos productions. Sculpteo, spécialisé dans l’impression 3D, rassemble ces services : galeries communautaires de création en open source, achat de modèles, possibilité de créer des modèles en ligne avec des outils simples, d’ouvrir une boutique et enfin d’imprimer les objets. Ce site contribue à populariser la stéréolithographie, en l’intégrant pleinement aux circuits de consommation de masse.

La sculpture numérique, opportunités et symptômes ?

L’impression 3D (et ses dérivés) et son développement très rapide atteste d’une emprise du numérique sur notre société. Industries, arts, sciences et enfin habitudes de consommation sont tous progressivement touchés par le phénomène. Dans l’art, il sert l’imaginaire humain : jadis outil de visualisation de l’imaginaire, la technologie numérique permet désormais de matérialiser univers et formes virtuels fantasmés.

Prospectivons : On peut imaginer qu’à l’avenir, le nombre d’objets créés par procédé numériques soit exponentielle alors que les technologies se stabilisent. Allons plus loin : si l’imprimante 3D pénétrait dans tous les foyer, cela changerait complètement nos méthodes de consommation, voir signerait la fin du consumérisme. Fantasme absurde et prématuré selon Christopher Mims, éditorialiste à la Technology Review ; ça peut laisser néanmoins songeur notamment lorsqu’on voit les initiatives des TechShops et des FabLabs qui proposent bien la fabrication d’objets physiques en Open Source.

La sculpture numérique n’en est, à l’échelle des innovations, qu’à ses balbutiements. Il faudra encore de nombreuses années, d’un part, pour que le coût des machines diminuent (devenant plus accessibles) et ensuite que le grand public adopte la technologie et se l’approprie. En outre, les matières doivent encore se diversifier. A l’heure du développement durable, du recyclable, peut-on véritablement imaginer construire un modèle économique basé sur une industrie plastique?

En quelques années, la sculpture numérique a déjà su se renouveler considérablement, elle offre encore de nombreuses opportunités de développement.


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