Magazine Culture

Vingt-six ans de FLE (Français Langue Etrangère) à l’UCL, par Luc Collès

Par Alaindependant

[Ce texte fait suite à « Itinéraire d’un professeur de français »]

L’idée de créer un nouveau secteur en Romane m’est venue à la suite de cours de français que j’ai dû donner en 1984, pendant les vacances, à des Belges néerlandophones et à des Hollandais. Je remplaçais ainsi au pied levé un collègue. A un moment, un des étudiants m’a posé la question : « Pourquoi dit-on ‘en Hollande’ et ‘au Brésil’ ? Pourquoi « en » dans un cas et « au » dans l’autre ? Je vous avoue que je ne m’étais jamais posé la question. Malgré 14 ans d’enseignement dans le secondaire, il m’était impossible de répondre à cette question. Et la consultation d’ouvrages de référence comme Le bon usage de Maurice Grevisse ou Le dictionnaire des difficultés de la langue française de Joseph Hanse ne m’aida pasdavantage. C’est qu’en effet, des francophones natifs ne se posent jamais ce genre de question.

J’ai alors éprouvé le besoin de me former en FLE et je suis allé faire deux stages à Paris, au Centre international d’études pédagogiques (CIEP) de Sèvres et à l’Alliance française de Paris. A mon retour, ma décision était prise : je devais convaincre mon patron, Pierre Yerlès, d’introduire ce genre de didactique à Louvain-la-Neuve.

1.Structures d’accueil

Pour faire comprendre ce qui a été progressivement mis en place à l’UCL dans le domaine du Français Langue Etrangère (FLE), il me faut remonter quelques décennies en arrière.

Dès les premières vagues migratoires des années soixante, des structures d’accueil furent progressivement créées en Belgique : parmi elles, l’Alliance française et quelques écoles privées. L’enseignement officiel ou subventionnable offrait, quant à lui, des cours de promotion sociale de niveaux et de rythmes différents. Mais cet enseignement du français langue étrangère était généralement dispensé par des professeurs de français langue maternelle, car aucune formation n’était adaptée à cet enseignement nouveau en Belgique. Seule l’Université de Mons organisait de courts stages pendant les vacances d’été.

Avec l’afflux croissant d’étrangers et les demandes d’apprentissage de plus en plus précises (français de survie ou, au contraire, de spécialité : langue des services, des affaires, du secrétariat commercial…), apparut de plus en plus contraignante la nécessité de promouvoir une didactique du FLE. Pendant longtemps, l’Université de Mons et l’Alliance française (de Bruxelles et de Mons) furent les seules à organiser des formations pour les futurs professeurs de FLE. La première, en proposant une « Maîtrise en didactique des langues » aux porteurs d’un titre de licencié-agrégé et en organisant un stage d’été, et ce dans le sens d’une méthodologie bien précise (SGAV : structuro-globale audiovisuelle). La seconde, en permettant à des bacheliers l’obtention d’un « Brevet d’aptitude à l’enseignement du FLE », délivré par l’Alliance française de Paris, au terme d’une année de cours du soir. J’ai moi-même donné, pendant 10 ans, le cours de didactique du FLE et de méthodologie de la culture à l’Alliance française de Bruxelles.

D’autres institutions ou associations (le CIAVER de Saint-Ghislain et le CLL de Louvain-la-Neuve) mettaient également sur pied des stages de formation au professorat. Mais ce sont les Universités de Liège et de Louvain qui ont, les premières  en Belgique francophone, créé, presque simultanément, en 1988 et en 1989, soit une « licence complémentaire en français langue seconde » (à Liège) soit un « diplôme d’enseignement supérieur en  français langue étrangère » (DES en FLE à l’UCL que j’ai proposé). Le licencié en philologie romane ou ès lettres pouvait ainsi, en un an, acquérir une formation supplémentaire qui s’articulait autour de trois axes : linguistique, culturel et didactique. Sous la présidence de Pierre Yerlès (1995-1998), une filière « français langue étrangère » apparaîtra dans la licence en philologie romane (à côté de la filière en études italiennes ou espagnoles, à côté  de la filière en linguistique ou  en littérature). C’est un point important sur lequel je reviendrai. Avec le décret de Bologne, nous avons abandonné pendant quelques années cette filière pour réserver le FLE à un master à orientation spécialisée.

2. Un séminaire thématique

La création du master FLE de Louvain-la-Neuve se situe dans la ligne de recherches menées depuis un certain temps au sein du département d’études romanes.

Depuis décembre 1986 (je dis bien 1986, c’est-à-dire il y a 26 ans !) j’ai suggéré à Pierre Yerlès,  qui dirigeait l’Unité de Didactique du Français, la création d’un séminaire thématique de troisième cycle, groupe de réflexion et d’animation auquel participeront des enseignants de FLE et de FLS (français langue seconde[1]) venant des quatre coins de la Communauté française. Venant d’horizons diversifiés (promotion sociale, écoles à forte densité d’enfants de migrants, écoles étrangères et internationales, organismes publics et privés divers), ceux-ci se réuniront  un mercredi après-midi par mois pour réaliser un partage de leurs expériences à la lumière des récents travaux dans les domaines de l’enseignement/apprentissage des langues et cultures étrangères. Ces réunions sont représentatives d’une recherche-action qui articule le travail de l’Université sur celui des enseignants, se veut à l’écoute des besoins et des urgences de la pratique et cherche à systématiser les acquis des gens de terrain. Ce séminaire est à présent entré dans le cursus du Master en langues et littératures romanes à orientation FLE sous l’intitulé « Réflexion sur des pratiques d’enseignement des langues », mais il reste ouvert aux participants de l’extérieur.

Les séances de ce séminaire sont reliées entre elles par une thématique commune annuelle. A titre d’exemples, citons, depuis 1998, l’interculturel en classe de FLE,  pratiques de l’oral, pratiques de l’écrit, les nouvelles technologies, l’enseignement du français aux primo-arrivants, l’humour en classe de FLE et autres ficelles du métier, le français sur objectifs spécifiques, pratiques innovantes en FLE, les premiers pas de l’apprenant en FLE, argumenter, débattre et convaincre en classe de FLE, et si l’on parlait des aspects linguistiques en FLE ? En 2010-2011, le thème a été la francophonie en classe de FLE : pistes linguistiques, littéraires et culturelles. En 2011-2012, le séminaire a été  consacré à la phonétique et à l’intonation : quelles ressources pour l’enseignement du FLE ? En 2012-2013, il sera consacré à l’évaluation.

 Le succès de ce séminaire n’a cessé d’être croissant. En 1986, il réunissait une quinzaine d’enseignants ; aujourd’hui, il en réunit près d’une centaine. Les enseignants des Hautes Ecoles y participent volontiers avec leurs étudiants.

3. Un stage d’été

Parallèlement à ce séminaire, j’ai créé il y a 18 ans (en été 1994) un stage d’été en didactique du FLE. Nous étions deux à l’organiser : Stéphane Ostyn, assistant du Professeur Jean Klein et moi-même.  Le programme de ces formations destinées au perfectionnement méthodologique des (futurs) enseignants de FLE est passé, au fil des ans, de quatre à vingt modules au choix. Le stage a été reconnu par l’IUFC (l’Institut universitaire de formation continue de l’UCL) comme activité de formation continuée. Une équipe d’une vingtaine de formateurs anime aujourd’hui les différents ateliers. L’oral, l’écrit, l’audiovisuel, les nouvelles technologies se retrouvent chaque année au sein d’une formation dynamique qui n’a de cesse de se renouveler.

Ainsi, en 2010, les participants au stage étaient près d’une centaine, venus des quatre coins de l’Europe de l’Ouest (Irlande, Espagne, France, Italie, Pays-Bas, Portugal) et des Pays d’Europe Centrale et Orientale (Hongrie, Pologne, Roumanie, Serbie, République de Macédoine, Slovénie, Bulgarie et Russie) ainsi que des pays baltes (Estonie) et du Maghreb (Maroc, Algérie et Tunisie). Mais, cette année-là, nous avons aussi accueilli des enseignants d’Azerbaidjan, d’Ouzbekistan, d’Israël, du Vietnam, d’Acadie, du Gabon et de Turquie. En outre s’inscrivent chaque année à notre stage une cinquantaine de Belges, tous professeurs expérimentés en FLE ou désireux d’infléchir dans ce sens leur carrière professionnelle.

4. Un Certificat universitaire

Il y a six ans, l’Institut Universitaire de Formation Continue (IUFC) nous a demandé de créer un Certificat universitaire qui tablerait en grande partie sur des ressources existantes. Elle voyait là une manière de valoriser nos activités et de les certifier. Ce programme de formation continue s’adresse aux détenteurs d’un diplôme de l’enseignement supérieur (de type long ou court) ou universitaire, qui souhaitent acquérir une formation complémentaire en didactique du FLE ou aux professionnels du domaine qui souhaitent valoriser les acquis de leur expérience professionnelle et mener une réflexion sur leur pratique.

La pédagogie mise en œuvre repose sur des ateliers-séminaires et sur des stages d’observation et d’enseignement. Dans ces séminaires, les formateurs veillent à assurer un bon équilibre entre l’apport théorique et les activités pratiques, entre le travail individuel et le travail en groupe. Le Certificat s’appuie aussi sur les modules du stage d’été (dont deux semaines sont valorisées) et sur la présence au séminaire thématique. Il aboutit à la réalisation d’un mémoire (avec défense orale) qui allie des analyses et des expérimentations de stratégies ou de pratiques d’enseignement du FLE. Par ailleurs, un stage d’observation (6h) et un stage d’enseignement (24h) font partie intégrante de ce programme.

Le programme donne lieu à la délivrance d’un certificat pour les participants qui suivent l’ensemble du cursus et réussissent les épreuves d’évaluation. En cas de réussite, ce certificat est assorti de 17 ECTS qui peuvent être valorisés lors de la poursuite d’une formation académique,  pour autant qu’ils soient validés par le jury du programme auquel le participant souhaiterait s’inscrire par la suite. Nous avons actuellement 25  personnes inscrites au Certificat.

Toutes ces activités (la présence d’une centaine de personnes lors du stage et d’une centaine lors des séminaires thématiques) qui font partie de la gestion du certificat demandent du temps  et beaucoup d’énergie.

L’activité qui nous prend le plus de temps, c’est la supervision des stages. Un membre de la cedefles (cellule de français langue étrangère ou seconde) va au moins une fois sur le lieu du stage de chacun. Donc, aussi bien à Arlon, Luxembourg ou Bruxelles. Nous assistons au cours puis nous faisons un debriefing avec le stagiaire.

Nous sommes, aujourd’hui, après 26 ans de FLE à l’UCL, reconnus internationalement. Le WBI (ex-CGRI) nous octroie chaque année une quarantaine de bourses. Le CECAFOC nous en octroie 5.

Ce qu’il me paraît important à souligner, ce sont les synergies entre toutes ces activités. Après le stage d’été, plusieurs participants s’inscrivent au Certificat. Celui-ci attire à la fois les romanistes et les non-romanistes qui veulent s’ouvrir au FLE. Il y a eu d’autant plus de demandes pour le Certificat qu’il n’y a plus eu de filière FLE dans le Master ROM pendant de nombreuses années.

Aujourd’hui, un romaniste qui a pris la filière didactique, peut enseigner le FL1 (français langue première ou maternelle) mais n’est pas nécessairement capable d’enseigner le FLE, alors qu’un régent sort de ses trois années de formation  avec une double qualification : en FL1 et en FLE. Un romaniste  pouvait tout au plus prendre, dans le cadre de la finalité didactique, 3 cours de FLE en option. C’est la raison pour laquelle des romanistes à peine diplômés s’inscrivaient au Certificat, programme plus important que les trois options prises, mais programme plus léger aussi qu’un Master FLE en un an. De toute façon, ce Certificat est aussi convoité par beaucoup de gens qui enseignent déjà mais qui ont besoin d’une légitimation universitaire, ou qui veulent opérer une réorientation dans leur carrière (des germanistes et des instituteurs par exemple). Le Certificat répond donc à une nécessité sociale.

A cette rentrée 2012-2013, un rééquilibrage a été opéré. Une filière FLE a été rétablie dans le master ROM à orientation générale (6 options) et le programme du master FLE a été revu. Il est davantage conçu pour les étudiants qui se destinent à l’enseignement du français à l’étranger.

Ainsi, vous le voyez, cette ouverture vers le FLE a été de pair avec mon ouverture à l’interculturel et au caractère anthropologique (existentiel) de la littérature. Elle participe de mon souci de contribuer à construire un monde de rencontres, de compréhension, de tolérance et de paix.

IMG_6897

   Luc Collès

  Professeur ordinaire à l’UCL  



[1] On parle de français langue seconde lorsque l’apprenant, une fois sorti de la classe de langue, reste exposé à la langue française (publicités, medias). On vise aussi par cette dénomination le français de scolarisation (véhicule d’autres disciplines : sciences, maths…)


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Alaindependant 70792 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte