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Nouveau testament

Par Deathpoe

Je ne voulais plus dormir pour ne plus rêver. Mes rêves étaient incompréhensibles à moi-même. Il s'agissait toujours de rechercher quelqu'un, quelqu'un de mauvais, de dangereux. Tout ce que je vivais, lisais ou même regardais se retrouvait dans mes rêves. Autre réalité où s'entremêlaient la technologie et un environnement plus proche de celui que je connaissais.
Je retrouvais certains lieux, certaines personnes. L'autre nuit en me réveillant avant l'aube je ne comprenais pourquoi je tentais dans mon rêve de récupérer cette fille que j'avais perdu par ma faute. Tout ça me liait encore à ce que je considérai seulement comme une ancienne vie. Je ne voulais plus rien qui me rappelle cette période, même si j'en gardais des souvenirs aigres-doux d'amour, de liberté, d'insouciance. Mais ce que je gardais surtout, c'était l'auto-destruction, l'avenir impossible, l'auto-médication par l'alcool et j'en passe. Je ne voulais plus de tout ça. Certainement pas. J'en étais sorti, en grande partie seul, sans l'aide de quiconque, et je m'étais créé, avec le temps, un quotidien où il n'y avait qu'un minimum de routine, qu'un minimum de gens, ceux qui étaient présents et m'apporteraient volontiers leur aide sans que je demande quoi que ce soit, et l'inverse.
Il y a une dizaine de jours je reprenais le boulot après un mois d'arrêt. Tout ça avait des allures de rentrée des classes. En passant le poste de sécurité je saluais comme à mon habitude les agents et les personnes du stock que je croisais du regard. Arrivé à mon casier, je remarquai une inscription à mon intention, ça m'avait fait sourire. J'ouvrai la porte métallique, récupérai mon badge avec mon prénom pour le remettre sur le gilet, une paire de stylos et un carnet. Une tonne de paperasse encombrait l'étagère du casier: principalement des rapports de résultats des mois derniers, tableaux d'objectifs généraux avec pour chaque personne du rouge ou du vert suivant les différentes catégories.
Rescapée d'entre les papiers, une boîte verte et blanche. Je n'y pensais même plus mais c'est vrai qu'un camé a toujours plusieurs planques, dissociées les unes des autres. Je suis resté une trentaine de secondes à faire tourner la boîte entre mes mains. J'avais parfaitement le choix, une fois de plus. Bah, j'avais tenu plus d'un mois et ce n'était qu'histoire de me détendre un peu.
Le vendredi mon responsable avait eu du mal à me reconnaître. Depuis deux mois que je ne l'avais pas vu, j'avais maintenant les cheveux courts, un meilleur teint sur le visage, une nouvelle flamme dans les yeux. Je donnais tout ce que j'avais pour faire exactement ce qu'on me demandait.
Le lundi je me rendais compte que j'avais, durant ce mois où j'avais été éloigné du travail, oublié qu'il n'y avait pas d'illusions à se faire, encore moins de principes à avoir quant à se boulot. Il ne s'agissait pas de seulement conseiller, avec le sourire et en en prenant plaisir. Et, même s'il ne s'agissait pas, mot pour mot, de saigner à blanc chaque client qui passait entre mes mains, c'était ma seule chance d'éviter la pression inutile. J'avais oublié les "Mike je peux te voir deux minutes?" juste pour faire un point régulier sur mes résultats. Et en cette période, ce serait à chaque jour de travail plutôt qu'un fois toutes les deux semaines.
Le mardi je me détestais. Je me foutais moi-même une intolérable pression, mais c'était ce qu'ils voulaient. Là, on n'était que des pions qu'on plaçait au mieux. Il fallait juste se taire et agir au mieux.
J'ai cru l'espace de deux jours que je ne serai plus jamais compétent pour ce boulot, quoi que ça veuille dire.
Deux jours plus tard j'allais à la pharmacie. Est-ce que je tirai quelconque avantage à bouffer à nouveau de la codéine? Je ne voulais pas le savoir. Tout ce que je me disais c'était "Fais gaffe, entre ça et la morphine, si tu merdes tu peux crever." Peut-être que ça arriverait malgré moi et que c'est ce qui, finalement, m'arrangerait le plus.
Aucune décision à prendre. Simplement obéir. Sauf que là, j'obéissais à mon instinct, et je reprenais le dessus. J'étais en forme, je retrouvai mon calme, ma pensée stable et mes aptitudes.
Autour de moi, on m'invitait à quitter la ville, me disant ce que je savais déjà: je n'en pouvais plus de Metz, son ennui, ses têtes que l'on croise tout le temps, ses travaux, et tout ce qui m'y rattachait encore, c'es-à-dire rien.
Le samedi soir j'étais largement satisfait. J'avais plus que réussi ma journée de travail et rattrapé mes objectifs. En m'étirant, je remarquais la présence de certains muscles, notamment en-dessous des omoplates et le long des côtes. Les quelques exercices auxquels je m'astreignais tous les jours me donnaient une nouvelle vigueur et, petit à petit, une nouvelle apparence. J'avais à nouveau la démarche d'un chat de gouttière, les pieds moulés dans mes Fryes et les jambes moulées par le 504. Je retrouvais une certaine maigreur, non plus celle que j'aimais à voir dans le miroir il y a quelques années, plutôt due au whisky qu'à un régime équilibré et une vie saine. Encore un semestre ou deux de ce rythme et je pourrai partir, au plus vite.
Cette ville ne m'appartenait plus et je n'appartenais à plus rien qui puisse m'y rattacher. Plus aucune envie de la croiser dans le bus alors que chacun ferait semblant de ne pas voir l'autre; plus envie de ces engagements qui me saignaient de mon temps libre et de mon énergie. Ma chambre était dépouillée de tous souvenirs, de toutes traces d'une existence antérieure, quelle qu'elle soit.
C'était satisfaisant. Mentalement, j'étais prêt à partir. Une autre ville m'appelait, même si je ne l'avais pas encore tout à fait choisie. Toutes les pages précédentes étaient maintenant arrachées, brûlées, oubliées. J'étais enfin devenue une entité entière. C'était le seul espoir qu'il me restait, tout le reste serait dû au hasard.


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