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La bonne enseigne

Publié le 29 août 2012 par Corboland78

Août peut-être, à moins que ce ne soit juillet, en tout cas c’est un été de la fin des années cinquante. Papa, maman, ma sœur et moi, dans la voiture familiale, une Peugeot 203 noire, ma préférée des voitures dans lesquelles mon père nous faisait traverser la France quand j’étais gamin.

Il fait beau et chaud, dans mes souvenirs d’enfance tous les étés sont beaux. Nous sommes partis vers une plage quelconque, nous sommes tous gais à l’idée de ces vacances et de ces paysages merveilleux que nous allons découvrir grâce aux routes nationales et aux départementales qui s’enfoncent dans le pays. Midi vient de sonner au clocher d’un village, mes parents envisagent le moment du déjeuner et ma mère, penchée sur la carte routière Michelin pliée sur ses genoux, cherche une ville proche où nous pourrions trouver un restaurant, mais ce ne sont que hameaux et villages par ici. Mon père accélère et à l’approche d’une bourgade, un panneau puis une enseigne familière nous signalent la présence d’un Routier.    

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Les restaurants Routiers, tout un monde, une époque et une ambiance. Point de rendez-vous des camionneurs, nous étions certains d’y manger correctement à un prix d’ami, aujourd’hui nous dirions que le rapport qualité/prix était avantageux.

A côté de l’auberge, un grand parking où les camions et autres véhicules prenaient leurs aises, surface de terre gravillonnée le plus souvent sans ombre. Les semi-remorques s’y engouffraient dans la poussière et les gaz d’échappement, grincements des boites de vitesses et coups de klaxons – comme des barrissements d’éléphants - pour signaler aux copains déjà attablés qu’ils arrivaient. Parfois, un petit atelier attenant avec une pompe à essence Fina ou Motul, un peu craspec mais décoré des beaux géraniums rouges plantés dans un gros pneu de camion en guise de cache-pot.

Nous entrons dans la salle du restaurant où nous sommes accueillis par un brouhaha de voix, d’odeurs de cuisine, de dessous d’aisselles et de fumée de cigarettes. Nappes à carreaux sur les tables, assorties aux rideaux des fenêtres donnant sur la route. Nous dénichons une table dans un coin de la salle. Les miettes de pain sur la toile cirée témoignent du passage récent d’un client. Une serveuse passe en coup de vent, un coup d’éponge sur la table d’une main, tandis que l’autre nous tend le menu, et elle file vers d’autres clients.

Chaque tablée la hèle, « Du pain ! », « Un autre carafon de vin ! », la pauvre fille court à droite et à gauche mais dans la bonne humeur générale et sans oublier de lâcher une vanne ou deux aux habitués qui la charrient de plus belle, encouragés par ses répliques spontanées. En cuisine, on devine quand la porte s’ouvre à la volée, un gros moustachu qui sue devant ses fourneaux, le patron qui jongle avec ses poêles et la bassine à frites qui empeste le graillon dans tout l’établissement.  

La serveuse, des assiettes réparties en équilibre précaire sur les avant-bras, distribue des steaks-frites et des harengs pommes à l’huile aux routiers pressés d’en finir pour reprendre la route. Les hommes en marcel pas bien net engloutissent leurs repas, certains s’épongent le front d’un large mouchoir en tissu à carreaux avant d’allumer des Gitanes, signe pour la patronne qui tient la caisse de leur préparer l’adition.

Nous ne sommes pas pressés, nous sommes en vacances. La salle est devenue plus silencieuse, les chauffeurs la désertent un par un ou par petits groupes, les bruit des moteurs qui ronflent sur le parking, les pneus qui crissent sur les graviers. Le soleil tape dur, lentement le silence se fait et ce sont les grillons et criquets qui prennent le relai.

Le moustachu est sorti de sa cambuse, il boit un café avec un vieil habitué de la maison, la serveuse débarrasse les tables sous l’œil de la patronne qui consent à abandonner sa caisse pour lui prêter main forte. Je termine ma part de tarte aux pommes, ma mère sort des francs de son porte-monnaie et les tend à mon père pour qu’il règle la note. Quand nous remontons dans la voiture, les sièges nous brûlent le cul et le volant est à peine touchable. Qu’importe, la vie est belle, nous partons en vacances. 


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