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Un livre, ça va, 650, bonjour les dégâts… humeur !

Publié le 05 septembre 2012 par Dominique_lin

livres.jpgOn ne cesse de parler de la course de la rentrée, non pas celle des enfants en âge de scolarité, mais de la sortie des 650 et quelques romans en lice pour les tables et les devantures des librairies.

Qui sera le roi de la rentrée, qui franchira le seuil des 1 000, 3 000, 5 000… 10 ou 100 000 exemplaires ?

C'est la guerre sauvage de la communication depuis plus d'un mois. Les colonnes des revues spécialisées ne sont pas extensibles, il n'y aura pas de place pour tout le monde! Certains auteurs se sentent obligés de s'affubler d'un chapeau ridicule ou de tenir de drôles de propos, et on en parle comme de la femme à barbe, celle qu'il faut aller voir — attention, ne venez pas avec vos enfants de moins de 12 ans —, interviewer, lire, entendre… On lui pose toutes les questions, sur elle, elle, elle, mais jamais sur le fond. Elle pleure en écoutant Shubert en direct sur Radio classique, elle parle de ses envies de meurtre endiguées par l'écriture sur France Culture… ouf, nous sommes sauvés, un tueur en série de moins dans la rue. C'est une bonne cliente, elle fait de l'audimat, alors, on l'invite partout. Qui ne l'a pas invitée, ne l'a pas chroniquée, n'a pas prononcé son nom dans une soirée branchée n'est pas un professionnel du livre !

Dans trois semaines, 80 % des romans parus s'en retourneront chez l'éditeur, direction le pilon. L'édition est la seule industrie qui jette sa production en une telle quantité alors qu'elle est encore consommable.

Les revues, les blogs, les émissions de télévision ou de radio nous imposent le même choix, nous faisant croire que nous décidons, mais, en vérité, pas de choix, juste une liste qui ressort, générée par les budgets publicitaires injectés par les éditeurs dans le circuit du livre.

Le monde du livre se meurt, dit-on, mais tous ceux qui ont les moyens de le sauver ne font qu'accélérer sa chute. On se croirait au cinéma, à la télévision ou au football, on nous sert la soupe. Le livre n'est plus qu'un marché sans âme. Les gestionnaires au service des actionnaires. Concentration des marques, optimisations des dépenses, compression du personnel improductif, gestions des flux, combat avec la concurrence, rachat de joueurs/auteurs, prise de pouvoir dans les médias, contrôle du système de diffusion, distribution et de vente au consommateur, transport.

Vampiriser le marché, s'imposer comme le maître du secteur, racheter les challengers, faire des coups d'éclat et noyer le circuit en envoyant chaque semaine une nouvelle vague de produits.

Demain, nous trouverons les livres au rayon frais, entre le beurre et les yaourts. En dessous du code-barre, nous aurons une date de péremption. Une fois ouvert, vous aurez 8 jours pour le consommer en le gardant au frais. Vous aurez le droit d'appeler le service consommateur en cas de déception. On vous offrira un livre de recettes pour mieux avaler le contenu en y ajoutant des ingrédients épicés, tels qu'un bord de piscine, une plage exotique, une chaise longue sous un tilleul. Vous trouverez alors que le roman a tellement de gout !
Les chroniqueurs vous enverront des ordonnances que vous suivrez à la lettre, la liste à lire, ou tout du moins à acheter. Car peu leur importe que vous lisiez ou non, là n'est pas l'essentiel ! Vous demande-t-on si vous avez mangé votre yaourt ?

L'enjeu est de taille, la rentrée, c'est la grande répétition, le sas donnant sur la cour des Prix. À peine sortis, on nous dit qui est Goncourable, Renaudotable, féminisable… Ce ne sont plus les auteurs qui touchent vraiment les Prix, mais les éditeurs. Deux ou trois Prix dans la même saison, c'est le jackpot !

Pendant ce temps, des centaines d'éditeurs indépendants laissent passer cette vague, continuent à travailler avec leurs auteurs, construisent, titre après titre, un catalogue qui a du sens, du goût, de la tenue. Quand vous ouvrirez ces livres, peu vous importera leur date de « mise sur le marché », car ils auront le gout de l'intemporalité. Vous achèterez un roman pour son auteur, mais aussi pour son éditeur, garant de la patte, du style de la maison, comme on achetait un tailleur Channel ou un cru du Bordelais.

Cela ne veut pas dire que les éditeurs industriels ne sortent pas de bons romans, loin de là, il y en a d'excellents. Le problème, c'est qu'ils sont, eux aussi, noyés dans la masse. Car derrière les grands discours sur la littérature, ce qu'il faut décrypter, ce sont les vraies motivations de chacun. Un industriel se doit de progresser de 5 à 10 % par an. C'est la loi des marchés, la loi des actionnaires. Sinon, le PDG, fils de la famille ou énarque fraîchement recruté, sera viré, sa date de péremption sera atteinte, il n'est plus rentable !

Alors, je demande à tous ceux, et ils sont légion, qui œuvrent dans le monde du livre, de réfléchir à deux fois avant d'écrire leurs prochaines lignes. Êtes-vous en train de vous inféoder au système, êtes-vous, vous aussi, en train de broyer la diversité littéraire au profit de gens pour qui vous n'êtes rien, si ce n'est des marionnettes à leur service. Croyez-vous que votre sens littéraire, votre appétit de mot, votre amour du style seront reconnus parce que vous aurez aboyé avec la meute?

Il ne s'agit pas d'ignorer cette production, mais de laisser plus de place aux autres, aux petits qui se battent pour que le mot culture ait un sens, que l'équilibre soit retrouvé et que les lecteurs aient droit à un vrai choix. Littérature et argent sont deux valeurs différentes voire opposées. Le lecteur n'en a que faire de savoir si le livre sort de chez un industriel ou un artisan.

Dominique Lin
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