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Les droits d’auteur vus par Nicolas Ancion

Par Poesiemuziketc @poesiemuziketc

Source : Les lettres numériques 07/072012


Nicolas Ancion est un des auteurs belges les plus prolifiques. Très attentif à la gestion de ses droits d’auteur, il a accepté de partager son point de vue sur les conséquences du numérique sur cette problématique. Les droits d’auteur vus par Nicolas Ancion

(c) Dominique Houcmant

Pour commencer quel est l’impact du numérique pour les auteurs et notamment l’exploitation de leurs œuvres ?
Dans un contrat d’édition, auteur et éditeur s’accordent sur les modalités de gestion totale des droits patrimoniaux d’une œuvre qui concerne aussi bien les droits de traduction, de merchandising ou d’adaptation cinématographique. S’ils disposent de ces droits, les éditeurs ne les exploitent que très peu. Avant le numérique, l’éditeur était contractuellement tenu d’assurer la mise en vente des ouvrages. Aujourd’hui, non seulement, les contrats incluent une clause sur l’exploitation numérique des ouvrages, mais les formulations ont été revues et l’éditeur se doit d’assurer une diffusion commerciale en continu des œuvres de l’auteur. Autrement dit, et c’est comme ça que je le perçois, la seule possibilité qu’avait un auteur pour résilier un contrat d’édition en évoquant le fait que le livre papier était épuisé, est à présent caduque.

C’est une conséquence directe de l’arrivée du numérique : les clauses juridiques se complexifient et engagent les auteurs et les éditeurs sur un partenariat quasiment à vie. Les auteurs ne peuvent plus se séparer d’un éditeur dont ils ne sont pas satisfaits et les éditeurs souhaitent disposer de l’ensemble des droits d’exploitation d’une œuvre même s’ils dorment dessus. J’en ai fait l’expérience. Un éditeur a par exemple refusé de me racheter les droits d’un de mes titres parce qu’il avait fait l’objet d’une adaptation sous la forme d’une application pour iPhone. Le contrat n’a pu être signé que lorsque l’application a été retirée du catalogue d’Apple.

Selon vous, quelle devrait être la durée d’un contrat d’édition ?

Je ne me prononce pas en faveur d’un contrat d’auteur qui s’applique 70 ans après la mort de l’écrivain, c’est une première chose. Ensuite, je pense qu’un contrat d’édition qui couvrirait une période entre 7 et 10 ans serait préférable. Tout d’abord, il obligerait l’éditeur à bien faire son travail et à envisager toutes les exploitations possibles de l’œuvre. Ce contrat serait, qui plus est, reconductible et permettrait une meilleure relation entre les deux parties. Je m’explique : tous les 7 ans, l’auteur et l’éditeur se reverraient, feraient le bilan et décideraient ensemble de la suite des évènements. Pourquoi les auteurs délaissent-ils leurs premiers éditeurs, me demanderez-vous ? Parce que d’autres leur promettent ce que les premiers n’ont pas pu faire. Sept ans me parait idéal pour évaluer la qualité de l’œuvre et le travail fourni.

Quels conseils prodigueriez-vous à d’autres auteurs en matière juridique ?
Avant toute chose, les auteurs doivent se considérer comme des professionnels. Avant de signer un contrat, un auteur doit se renseigner et avoir un minimum de notions juridiques. Il faut bien entendu négocier la durée, mais tous les points sont essentiels. Lire le contrat dans son ensemble est primordial et surtout il ne faut jamais rien signer sans avoir négocié un minimum. Un éditeur sera prêt à faire des efforts s’il est intéressé par votre œuvre.

Vous estimez-vous suffisamment encadré dans cette transition numérique par des organismes comme la maison des auteurs ?
La Sacd, la Scam, la maison des auteurs etc. font très bien ce qu’ils savent faire c’est-à-dire percevoir des droits d’auteurs. En revanche, pour certains dossiers, on manque cruellement d’un syndicat d’auteurs qui représenterait les intérêts des écrivains, parfois bien différents de ceux des sociétés de gestion de droits.

Prenons un exemple d’actualité : la loi sur l’exploitation numérique des livres indisponibles du XXe siècle. Je suis choqué qu’on récompense un éditeur qui n’a pas respecté son contrat envers son auteur (puisque le texte est devenu indisponible) mais qu’il perçoive 50% de la vente d’un titre numérique par la suite, surtout dans le cas où il a reçu des subsides pour le faire. A mes yeux, cette loi n’encouragera pas les éditeurs à aller au bout de leurs engagements. Ils auront intérêt, financièrement, à laisser les textes du siècle dernier devenir indisponibles.

Dans ce débat, personne n’a défendu la position des auteurs en tant que personnes vivant de l’exploitation de leurs textes. Par exemple, beaucoup d’auteurs sont partisans de l’exploitation gratuite d’une partie de leurs ouvrages pour booster les ventes des autres titres et faire parler d’eux. Le numérique représente le meilleur moyen de le faire, et pourtant les éditeurs traditionnels s’y refusent dans la plupart des cas. Si on leur propose d’insérer gratuitement un roman dans grand quotidien, ils signent des deux mains, s’il s’agit de les diffuser sur Internet, ils voient ça comme une source de piratage ou un manque à gagner. L’enjeu, c’est tout de même de faire lire les textes !

Il ne faut pas se leurrer, l’exploitation des livres indisponibles est une loi qui vise d’une part à contrecarrer les initiatives de Google en matière de diffusion gratuite des textes et d’autre part à protéger les éditeurs papier historiques de l’arrivée de nouveaux éditeurs numériques plus réactifs et dynamiques. Seuls les premiers bénéficieront des aides à la numérisation. Depuis la fin des années 90′, ils ont attendu que l’État vole à leur secours au lieu d’explorer les nouveaux supports de lecture. Personnellement, je trouve qu’après quinze ans, certains de mes textes seraient mieux diffusés en version gratuite sur le web et sur les liseuses qu’en version payante où je toucherais 50% de quelques ventes annuelles, après déduction de tous les frais de gestion perçus au passage par les multiples intermédiaires.

Plus globalement, quels sont selon vous les enjeux pour les auteurs à l’ère numérique ?

Finalement, il y a très peu de changements au niveau de l’écriture. La révolution a eu lieu dans les années 90′ lorsqu’on a cessé d’envoyer des manuscrits à son éditeur en faveur des fichiers informatiques. Ce qui est certain, en revanche, c’est que les revenus vont changer, les lecteurs également. Certains genres littéraires, en revanche, vont être désacralisés, d’autres vont redevenir populaires. Certains sont encore à inventer. On peut déjà observer qu’Internet renverse certaines valeurs. Je le vois bien lorsque je fais des animations dans les classes. Les bons élèves sont ceux qui ont acheté les livres imposé par l’enseignant, les mauvais vont chercher un résumé sur internet et se retrouvent à lire des contenus gratuits. Au final, ce sont eux les plus intéressés parce qu’ils ont fait leur propre découverte de lecture. On voit parfois les enseignants décontenancés parce que ces mauvais élèves parlent de textes en ligne que les profs n’ont pas lus !

Découvrez l’ensemble de l’oeuvre de Nicolas Ancion sur le site de l’auteur.

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