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Rien en se passe comme prévu, récit de Laurent Binet

Publié le 10 septembre 2012 par Mpbernet

A propos du roman de Laurent Binet « HHhH » qui reçut en 2010 le Goncourt du premier roman, je notais déjà : « L'auteur s'implique totalement dans "l'investissement" de ses personnages, il vit avec eux, en eux, et nous fait part de ses doutes : "a-t-il prononcé cette phase, à vrai dire, je n'en sais rien....Mais il a dû le dire comme ça...." »

binet

L'auteur adopte la même technique pour cette chronique au jour le jour d’une victoire annoncée, celle de François Hollande. Binet connait Valérie Trierweiler (ça aide !) et il a envie de s’attacher aux pas du candidat lors de l’élection majeure de la République, pour en tirer un livre, comme jadis le fit Yasmina Reza avec Nicolas Sarkozy. DSK s’est déjà fait exploser en vol, la voie est libre pour tenter de décrypter  un homme que personne, finalement, ne connaît vraiment.  Nous voilà embarqués, avec Laurent Binet, dans la troupe de journalistes qui forment le « Hollande Tour », recueillant ici et là des bribes de confidences des « Hollande Boys ». Il y a les fidèles de toujours, et les ralliés de la dernière heure. A vrai dire, l’auteur affiche ouvertement des idées de gauche – professeur ayant enseigné en ZEP pendant dix ans, parents enseignants – mais son cœur pencherait plutôt pour Mélenchon. Mais il est, lui aussi, touché par le « syndrôme de Stockholm » et ne tarde pas à devenir groupie de Hollande comme tous ceux qu’il cotoye.

C’est donc un témoignage à la fois hagiographique, lucide, subjectif, étonné, rarement enthousiaste sur une geste politique où le héros central est le futur président de la République. Le connaîtra-t-on mieux après cet ouvrage ? Pas sûr … Car le personnage est décrit comme impénétrable, stratège, ayant une énorme capacité d’absorption des informations que ses collaborateurs lui moulinent (donc il convient de s’inscrire en faux contre ceux qui prétendent qu’il ne travaille pas : il pige bien plus vite que les autres, c’est évident), imperturbable, et pétri d’humour caustique et froid. En revanche, l’auteur n’ayant rien à obtenir de l’ « entourage » du futur Chef de l’Etat – le phénomène de Cour est en train de changer de camp – il ne se prive pas de vanner certains hommes et femmes politiques. Martine Aubry, Manuel Valls - omniprésent mais pas vraiment à gauche – Laurent Fabius, Jean-Christophe Cambadélis, Arnaud Montebourg en prennent pour leur grade.

Une découverte : la manie qu’ont les journalistes de débriefer en commun leurs impressions après une intervention, un meeting, une conférence de Presse, comme si chacun voulait vérifier qu’il ne va pas dire de bêtises par rapport au sentiment général. Cela aboutit à une réduction du contenu du message, avec des voltes-faces ridicules, dues à de micro-événements sans rapport avec la réalité et surtout sans intérêt pour l’électeur.

La peinture de ce monde de requins qui commencent surtout par se frayer un passage à la machette au milieu de leurs amis politiques est intéressante. La langue transcrite est celle de tous les jours, pas celle d’un agrégé de lettres. C’est rapide, enjoué, actuel, fluide et naturel  … J’ai noté tout de même que la causticité de Laurent Binet épargne le plus souvent l’ex-compagne comme la compagne actuelle du Président (il n’évoque pas l’affaire du tweet assassin en faveur d’Olivier Falorni), et, paradoxalement,  Nicolas Sarkozy … Préparerait-il subliminalement l’avenir ?

Un ouvrage à lire vite, comme on regarde, en faisant autre chose, un reportage de Serge Moati à la télévision ;  mais franchement, j’aurais préféré lire un autre roman, un vrai, de Laurent Binet.

Rien ne se passe comme prévu, de Laurent Binet, édité chez Grasset, 309 p. 17€


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