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Élections US : faire payer les riches ou réduire les dépenses de l’État

Publié le 16 septembre 2012 par Copeau @Contrepoints

Dans ce pays où les débats idéologiques étaient réputés dépassés, s'affrontent deux conceptions de la place de l’État dans les affaires de la Cité, du domaine socioéconomique aux questions dites sociétales.

Par Jean-Claude Gruffat, depuis New York, États-Unis.
Publié en collaboration avec l'Institut des libertés.

Élections US : faire payer les riches ou réduire les dépenses de l’État

Un des consultants politiques les plus réputés à Washington D.C., Charlie Cook, résume ainsi la problématique présidentielle, « soit Obama sera réélu en dépit de l’économie, grâce à sa campagne, soit Romney l’emportera au finish, en dépit de sa campagne, et principalement du fait de la situation de l’emploi. »

Les commentateurs de presse, pour la plupart avec un biais « liberal », c’est-à-dire plutôt à gauche, donnent à Obama un pourcentage de probabilité de réélection entre 70 et 75%. Ces chiffres nationaux sont toutefois sans grande signification, car l’élection se joue en fait dans quelques États dits « swing », Ohio, Floride, Caroline du Nord, Colorado, Iowa, Nevada, New Hampshire, Virginie et Wisconsin. Ce dernier grâce à Paul Ryan, originaire de cet État.

Dans ces États, sauf en Caroline du Nord, Obama aurait depuis la Convention démocrate de Charlotte, N.C., un léger avantage non déterminant et réversible de 2 à 4%, selon les cas. Et cette élection se fait au suffrage universel indirect comme on l’oublie parfois hors des États-Unis. En d’autres termes, tout est encore possible, et les trois débats qui auront lieu en Octobre, les 3, 16 et 22, plus celui entre Biden et Ryan le 11/10, peuvent faire évoluer les intentions de vote, ou faire basculer ceux qui sont encore indécis. Le Président sortant peut mettre à son actif d’avoir géré dans l’urgence une crise sans précédent depuis la Grande dépression des années 30. Et puis il a éliminé l’ennemi public numéro 1, et sauvé General Motors.

Mais son argument principal pour sa réélection est comparatif, il est malgré son « track record » minimal,  plus crédible que son adversaire, présenté comme un indécis qui a soutenu tout et son contraire, de surcroît un  ploutocrate étranger aux problèmes confrontés par les plus défavorisés et les classes moyennes. Selon les « spécialistes », les intentions de vote ne seraient en majorité favorables à Romney que chez les hommes de race blanche ; les jeunes, les femmes notamment diplômées, et les minorités, noires et hispaniques, étant largement acquis à Obama. La catégorie « homme de race blanche » est en régression constante, en %, du moins en termes d’électeurs potentiels. Il peut en aller différemment au titre de la participation électorale, les motivations des électeurs du premier Président de race noire s’étant émoussées depuis 2008. En revanche la perspective de son élimination est susceptible de galvaniser un électorat qui ne s’était pas mobilisé après 8 ans de Présidence Bush, pour un ticket McCain/Palin. L’argument principal de l’équipe démocrate est d’éviter le retour aux années républicaines qui sont présentées comme ayant largement contribué à la crise financière par un excès de déréglementation et des baisses d’impôt sans justification économique pour le bénéfice exclusif des contribuables très aisés.

En bref, il est trop tôt pour prévoir l’issue du scrutin et l’équilibre futur des pouvoirs entre un Congrès divisé et une Présidence encore incertaine.

La meilleure analyse des enjeux et probabilités se trouvait dans l’avant dernière livraison de The Economist qui posait en couverture cette question : « Réélire le Président Obama, pour faire quoi au juste ? » Et le corps de l’éditorial de rappeler que les Présidents ayant déçu et pourtant réélus pour un second terme de 4 ans s’avèrent à l’usage encore plus « lame duck ».

Pour un observateur européen et notamment après notre propre campagne présidentielle de 2012, cette élection est pourtant fascinante, car effectivement s’affrontent, dans un pays où les débats idéologiques étaient réputés dépassés, et avec un consensus mou centre tantôt gauche, tantôt droite, deux conceptions de la place de l’État dans les affaires de la Cité, du domaine socioéconomique, aux questions dîtes sociétales. Ceci résulte au premier chef d’une radicalisation des deux partis dominants, au profit de la gauche des minorités ethniques et sociétales chez les Démocrates – une motion sur la mention de Dieu dans la plate forme a été mise 3 fois aux voix par acclamation à Charlotte, sans majorité claire pour son adoption.

En revanche le parti républicain est désormais sous influence forte d’une conjonction d’évangélistes anti avortement et mariage homosexuel, de supporters du Tea party anti fiscalité, et de libertariens économiques et sociétaux anti intervention militaire à l’étranger et pour la légalisation des drogues « douces » et l’abolition, ou a tout le moins la mise sous tutelle, de la Réserve Fédérale. Plus fondamentalement, la contribution de l’État dans le produit intérieur brut pour les uns est susceptible de continuer à croître pour atteindre un pourcentage de 26% (nous sommes autour de 23) et pour les autres doit impérativement être capée a 20%. Ces chiffres doivent être rapprochés des 56% auxquels sont confrontés nos propres dirigeants. Le % américain a été augmenté par les mesures interventionnistes dites de stimulus, à résultat médiocre et non significatif, aggravées par l’activisme de la Réserve Fédérale investie d’un double mandat de lutte contre l’inflation mais aussi de défense de l’emploi a l’aide de QE2, depuis aujourd’hui 3, et autres artifices non convaincants et peut-être plus nocifs que positifs.

Comment se ventile cette dépense publique fédérale ? 22% pour la Sécurité Sociale, c’est-à-dire les pensions de retraite ; 19% pour Medicare (dépenses de santé des plus de 65 ans) ; santé autres, largement Medicaid pour les plus défavorisés, 17% ; service de la dette fédérale, 16% ; défense, 13% ; autres 13%. Soit 58% dits « mandatory spending », et 42% de « discrétionnaire ». Et la tendance continue avec une diminution proportionnelle du discrétionnaire anticipée dans le futur du fait des dépenses de retraite et santé. L’explication de cette dérive des dépenses de santé réside dans la démographie – allongement de la durée de vie – et dans la hausse mécanique du coût par bénéficiaire, entrainant une progression de ces débours plus rapide que la croissance anticipée du PIB. Sans réforme majeure, les dépenses fédérales de santé passeraient d’ici à 2040 de 5% à 10% du PIB.

Une progression jugée insoutenable par tous. Les républicains refusent toute hausse des prélèvements fiscaux et ont signé des engagements en ce sens, les démocrates rejettent toute remise en cause de ce que l’on appelle ici les « entitlements », principalement les pensions de retraite et dépenses de santé. Le système est bloqué et il n’est pas évident que l’élection dégage une majorité suffisante au Congrès pour des choix clairs et tranchés.

Dans ces conditions se manifestent désormais avec plus ou moins de force ou de crédibilité des initiatives non partisanes de rupture des blocages pour une réforme en profondeur des déséquilibres au niveau fédéral, des États et des systèmes de protection.

Financée au départ par Pete Peterson, ancien ministre républicain du Commerce, devenu banquier d’affaires, créateur du Fonds de Private Equity Blackstone, une fondation a contribué au lancement d’une initiative dite « Come back America », sous la direction de David Walker, ancien Contrôleur Général et responsable pendant 10 ans du General Accountibility Office. Un véritable expert de ces questions de finances publiques. Une campagne de sensibilisation des élites, des médias, un projet de film documentaire de vulgarisation par HBO ont pour vocation de promouvoir quelques principes simples mais de bon sens :

  • des mesures qui soutiennent la croissance,
  • un agenda socialement équitable,
  • des dispositifs culturellement acceptables,
  • un objectif réaliste non pas de réduction drastique des déficits mais plutôt de stabilisation de la dette à un % du PIB, inférieur au niveau atteint,
  • des réformes politiquement envisageables, et notamment un soutien bipartisan suffisant avec une participation de l’opposition au moins à hauteur de 15% des voix.

Est-ce crédible ? Des pays tels que la Nouvelle Zélande, l’Australie, mais aussi la Suède et surtout le Canada y sont parvenus. Pourquoi pas les États-Unis ?

Une commission bipartisane dite Simpson Bowles avait élaboré un plan ambitieux de réduction des déficits sur une période de 10 ans, hélas ses conclusions prévoyaient des coupes dans les programmes sociaux repoussées par les Démocrates, et quelques hausses d’impôts que les républicains n’acceptaient que cumulées avec la remise en cause d’Obamacare… Bref l’impasse.

Le projet présidentiel Romney/Ryan prévoit certes des baisses de taux d’imposition qui seraient compensées en termes de revenus par des éliminations radicales de la plupart des niches fiscales. Mais les critiques soutiennent que le refus de l’équipe Romney de détailler ces mesures les rend peu crédibles, alors que la campagne Obama se fait sur l’air connu de faire payer les riches dans un État où près de 50% des  citoyens échappent à l’impôt direct, et que la taxation indirecte est uniquement au niveau des États Fédérés, avec des exceptions, en toute hypothèse à un taux maximum de 8,5% très inférieur à ce qui est pratiqué au titre de la TVA en Europe.

Des échéances proches pousseront peut-être le Président et le Congrès dans la période du 7/11 au 31/12/2012 à conclure un accord bipartisan de résorption des déficits dans le futur, sinon les réductions d’impôts dites Bush expireront au 31/12, et dès le 1er Janvier des coupes importantes, y compris dans les budgets de défense et les dépenses de santé seront automatiquement mises en œuvre avec un effet négatif majeur sur la croissance.

Tout ceci dépendra largement du résultat des élections du 6 Novembre, d’où leur importance historique.

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