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Avenue des Géants - Marc Dugain

Par Woland

Avenue des Géants - Marc Dugain

ISBN : 9782070132355

Extraits Personnages

"Avenue des Géants", tel est le nom de l'endroit où Al Kenner a l'accident de moto qui, en l'immobilisant pour quelques semaines, va lui faire perdre son travail de mécanicien et le rendre par conséquent à nouveau dépendant de sa mère. Entre Al et sa mère, c'est l'horreur et ce, depuis l'enfance, une relation où l'amour et la haine s'imbriquent de façons si complexe qu'il faudrait presque transformer ces deux mots en un mot valise, non pas dans le style "amourhaine" - ce serait trop simple :evil: - mais quelque chose comme "hamoainure." Une relation telle qu'elle ne peut s'achever que par la mort violente de l'un des protagonistes et, de fait, c'est bien ce qui attend celle qui, dans ce roman, porte le titre de mère sans le mériter.

Nul ne l'ignore : Marc Dugain s'est inspiré pour ce livre de la vie d'Edmund Kemper, le tueur en série le plus atypique et probablement le plus intelligent qu'ont jamais connu les Etats-Unis. C'est en pensant au QI de Kemper que Thomas Harris aurait, dit-on, imaginé celui d'Hannibal Lecter. Outre cette intelligence exceptionnelle, Kemper reste l'un des très rares tueurs en série de la planète à s'être volontairement livré à la police - et ceci par deux fois, la première après l'assassinat de ses grands-parents paternels, alors qu'il n'avait que quatorze ans, la seconde après le meurtre de sa mère. Enfin, loin des véritables carnages auxquels se sont livrés un Ted Bundy ou un Gary Ridgeway (alias le Tueur de la Green River), Kemper ne compte à son actif que dix assassinats et estime lui-même que la mort de sa mère constitue le point final logique de la série.

Par son enfance massacrée, entre un père trop faible et une mère qui aurait pu poser pour la mère-phallique monstrueuse si chère à certains freudiens, par la lucidité dont il ne se départissait que sous le choc d'un affrontement avec sa mère ou près d'une femme lui rappelant sa mère ou le comportement de celle-ci, par son charisme indéniable, par son refus d'évoquer ce qu'il fit au cadavre de sa mère et qui révèle chez lui la survivance d'une conscience bien réelle, malgré tous les dégâts subis et infligés, par son physique également (2, 20 m pour 160 kg), par ses choix en prison (il retranscrit des livres en braille, langage qu'il a voulu apprendre) , Edmund Kemper reste un "cas" dans le paysage on ne peut plus tourmenté des tueurs en série américains - et même mondiaux.

Mettre en scène un tel personnage, dont les actes horrifient mais qui n'en conserve pas moins, par on ne sait quelle étrangeté de la Nature, un côté attachant absolument unique, relève de la gageure. Marc Dugain n'a pas triché. Il a choisi de faire alterner des chapitres où il fait penser, parler, s'expliquer (mais jamais se justifier) Al Kenner/Edmund Kemper et d'autres où on le voit de l'extérieur, dans le parloir où il rencontre la personne qui lui apporte les livres à retranscrire. Evidemment, privilège de l'écrivain, Dugain a romancé certains aspects pour les besoins de son livre - la visiteuse d'Al par exemple n'est autre qu'une ex-étudiante qu'il avait prise en stop mais qu'il n'avait pas agressée - mais il ne tombe jamais dans la caricature ni, pour ceux qui l'en soupçonneraient, dans l'apitoiement. On le sent bien un peu hésitant quand arrive le moment d'aborder les meurtres des étudiantes et celui de Cornell Kenner mais cela se comprend : c'est là que l'empathie inconstestable développée par le lecteur envers le héros risque de se dissoudre dans le néant, et ce n'est pas le but recherché par l'auteur.

Marc Dugain cherche en fait à faire partager au lecteur le sentiment qu'il a éprouvé en assistant à la diffusion d'un documentaire consacré par Stéphane Bourgoin à quelques tueurs en série, dont Edmund Kemper. Quand on le visionne, on ne peut rester indifférent, on est forcé de réfléchir. D'autant que, si mes souvenirs sont bons, la partie qui concerne Kemper est suivie de l'interview de Gerard Schaefer, tueur froid, sans remords, débordant de fierté, antithèse parfaite de Kemper. Le contraste n'est pas seulement saisissant : il dérange. Même s'il a tué sa mère et neuf personnes, Kemper n'a rien à voir avec Schaefer.

Comme vous le voyez, "Avenue des Géants" est donc un roman spécial, sur un homme très spécial. Je vous rassure : ni gore, ni excès et beaucoup de pudeur, somme toute. Un livre à lire et je suis tentée d'écrire : surtout si vous aussi, vous avez eu une caricature de mère. Mais attention : "Avenue des Géants" est un livre lourd de chagrin.

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