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Les seins de Kate et les fesses du Prophète

Publié le 20 septembre 2012 par Legraoully @LeGraoullyOff

Les seins de Kate et les fesses du Prophète

Claude Guéant doit avoir une petite érection: la « guerre des civilisations » à l’air de bien vouloir commencer. A ma gauche, la très supérieure civilisation occidentale, représentée par Manuel Valls, par d’obscurs réalisateurs de navets racistes, et par les seins de Kate Middleton. A ma droite, les obscurantistes musulmans, avec à leur tête le fantôme de Ben Laden, les manifestants salafistes et les fesses du Prophète caricaturées dans Charlie Hebdo. Ça, c’est la vision simpliste alimentée par ceux, de chaque côté du ring, qui aimeraient bien que ça pète. C’est rudimentaire et con comme une publicité, ça ne risque pas la sortie de piste dans un cerveau étroit.

La flambée de violence qui agite le monde musulman est bien sûr le fait de l’instrumentalisation par les extrémistes, qui n’ont rien d’autre à vendre que la guerre et la promesse d’un arrière-monde où tout est joie, barbes fleuries, houris soumises par paquet de soixante-dix (ou raisin frais selon les traductions), d’un film que quasiment personne n’a vu. La foi monothéiste est en effet un remarquable combustible dans un estomac vide. On peut également penser que la colère née de la parution des caricatures de Charlie Hebdo est largement teintée d’opportunisme, attendu que le journal satirique en publie de similaires quasiment tous les mercredi depuis vingt ans, et que les gribouillages ouvertement racistes de Minute ou de Rivarol n’éveillent jamais la moindre protestation.

De l’autre côté du ring, les opportunistes ne manquent pas non plus: l’UMP en a ainsi profité pour lancer une pétition contre le vote des étrangers. Bravo, les copains, on est content de savoir qu’on a désormais deux partis fascistes en France. De même, consultez n’importe quel article sur le sujet sur un site d’information et vous verrez fleurir les commentaires racistes, réclamant la fermeture des frontières et l’expulsion manu militari du moindre quidam qui ne peut justifier d’une ascendance française sur vingt-trois générations. Bref, jusque là, rien que de très classique.

Sauf que, et vous l’aurez peut-être oublié après des années de sarkozysme, nous avons l’heur de vivre dans la patrie des Droits de l’Homme, dans le pays des Lumières: on a pas bouté les curés hors de l’espace public pour se faire emmerder par les barbus, et il faut bien défendre le journal satirique même si l’on craint pour notre belle tour Montparnasse. Mais l’époque a changé, et l’électricité provenant essentiellement du nucléaire, les Lumières sont blafardes. Par exemple, François Hollande, tout à son rôle de gardien des institutions, affirme t-il garantir la liberté d’expression, en précisant que la laïcité doit aussi assurer le respect des religions. En ce qui me concerne, j’incline plutôt à penser que la loi protège le libre exercice du culte, et prémunit le croyant de la discrimination en raison de sa superstition, mais que rien n’empêche de mettre un nez rouge à Mahomet ou une plume dans le fondement du petit Jésus. On respecte le citoyen croyant, mais on a parfaitement le droit de rigoler du conte de fées auquel il adhère. La preuve: à part en Alsace-Moselle (où il n’a pratiquement jamais été appliqué), il n’y a pas de délit de blasphème. Et même le papophile Sarkozy n’a pas réussi à l’imposer avec sa « laïcité positive ».

Comme Hollande, le premier ministre Jean-Marc Ayrault a joué l’apaisement en invitant les quelques manifestants salafistes parisiens à saisir les tribunaux s’ils se sentaient insultés. C’est un louable rappel à la pratique républicaine, même s’il sait que la plainte a autant de chance d’aboutir que la croissance de revenir. L’union des organisations islamiques de France ne s’est pas fait prier (ce qui serait un blasphème puisqu’il n’y a de dieu qu’Allah) et assigne Charlie en justice pour « incitation à la haine raciale ». Là encore, à moins d’un extraordinaire retournement de jurisprudence, la requête sera vaine vu la tradition d’anti-racisme de Charlie Hebdo, mais on est quand même surpris d’apprendre que l’UOIF considère l’Islam comme une « race ». C’est bien la peine qu’on s’use la santé à démonter des amalgames aussi débiles quand c’est Hortefeux ou Le Pen qui les entretiennent.

Parmi les adversaires de Charlie, une autre secte a décidé d’encombrer les tribunaux, mais là je ne m’y attendais pas. En effet, le NPA, oui le même nouveau parti anticapitaliste des sympathiques Besancenot et Poutou, porte plainte contre le canard, en l’accusant de participer à « l’imbécillité réactionnaire  du choc des civilisations ». Et ben mazette! Se faire traiter de réactionnaire par un parti qui a voulu présenter une femme voilée à des élections locales, voilà qui doit faire friser les moustaches de Cavanna! Le NPA a t-il porté plainte contre Guéant quand il a ressorti cette vieille antienne colonialiste? Et c’est fini, la lutte conte l’ »opium du peuple » qui entrave la lutte des classes? Les zélateurs du prophète Trotski communieraient-ils avec les intégristes salafistes dans une morale du ressentiment, dans ce que Nietzsche appelle, en visant le christianisme, une « religion d’esclaves »?

Il est peu probable que Charlie perde ses procès, mais il risque quand même d’y laisser des plumes. Il fut un temps où l’AGRIF, association catho d’extrême-droite, assignait Charlie tous les quatre matins parce qu’un procès coûte cher, et qu’un journal qui fonctionne sans publicité peut très bien y rester. Ce qui est vraiment inquiétant, c’est que pendant que les intégristes jouent les gros bras, les garants de la liberté d’expression sont pour le moins timides.

Pour faire plaisir aux curés du NPA, il faut le dire: il n’y a pas de choc des civilisations. Il y juste beaucoup de personnes intéressées à entretenir la peur, dans un camp comme dans l’autre. Et le pire, c’est quand les institutions commencent à péter de trouille.

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