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Quelques heures de printemps, ou La vie en France en 2012

Par Wtfru @romain_wtfru

Quelques heures de printemps, ou La vie en France en 2012

Réalisé par Stéphane Brizé
Écrit par Stéphane Brizé et Florence Vignon
Avec Vincent Lindon, Hélène Vincent, Olivier Perrier, Emmanuelle Seigner, Ludovic Berthillot, …

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Résumé 

Alain vient de sortir de prison après avoir purgé une peine de 18 mois. Sans emploi et en pleine réinsertion, il est contraint d’habiter chez sa mère durant un certain temps. Cette dernière est malade. Elle est atteinte d’un cancer qui ne lui laisse que quelques mois de « liberté ». Elle a choisit de partir en Suisse pour mettre fin à ses jours…

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Avis 

Quelques heures de printemps pourrait être résumé très grossièrement comme étant une histoire d’amour et de non-dits.
Cette histoire, c’est celle d’un fils et d’une mère qui n’ont jamais réussi à se parler, à se comprendre, à se « lire », et qui n’ont donc jamais pu se dire qu’ils s’aimaient.
Cette histoire, c’est également celle de deux êtres qui ont connu les méandres de la vie. L’un a vécu la prison et la galère qui en résulte. L’autre a du supporter un mari rugueux pendant toute sa vie avant d’être à son tour rongée par la maladie et la solitude.
Ces deux êtres sont en somme les deux personnes les plus banales possibles, mais également les plus extraordinaires.
Banales parce qu’ils sont des milliers à vivre ainsi. Et extraordinaires car chaque combat qu’ils mènent vaut plus qu’une moisson d’or.

Pour camper ses personnages, deux acteurs d’exception : Vincent Lindon et Hélène Vincent.
Qu’on aime ou qu’on déteste Lindon, on ne peut nier le fait que le comédien fasse preuve d’un réel engagement dans le choix de ses films.
Que ce soit dans Welcome, qui traite de l’immigration, dans Toutes nos envies, qui traite du surendettement, ou bien encore dans Pater, film kamikaze à la forme unique, on sent chez lui une vraie volonté d’aborder les sujets de front.
Toujours à son aise dans les rôles de bourrus et de solitaires, il campe ici un personnage fort, plausible et extrêmement touchant.

Hélène Vincent, quant à elle, est un peu moins connu du grand public, et du monde du cinéma en général.
Interprète culte de La vie est un long fleuve tranquille (pour lequel elle a reçu un César) ou bien encore de Bernie, elle demeure surtout une comédienne de théâtre qui n’a jamais réussi à percer dans le 7ème art en dépit d’un talent indéniable.
Elle trouve ici sans conteste le plus beau rôle de sa carrière. Littéralement bouleversante et d’un naturel confondant, elle illumine constamment l’écran de tout son art.

Il faut absolument voir ces scènes où les deux comédiens se retrouvent face à face : on atteint ici des sommets dans l’art du non-dit et des sentiments dissimulés.
Il ne faut d’ailleurs pas chercher la perfection dans les dialogues ou dans la mise en scène : ce serait passer à côté de l’essentiel. Nul besoin de dialogues ici, seuls les silences, les changements de ton (virant invariablement vers l’engueulade) et les jeux de regards comptent.

Quant à la mise en scène de Stéphane Brizé, elle est d’une efficacité redoutable, non par la qualité de ses mouvements, mais plutôt par le brio de son statisme.
Composé d’une grande partie de plans séquences fixes, Quelques heures de printemps préfèrent s’attarder sur le personnage qui subit, plutôt que sur celui qui agit. Ainsi, lorsque Alain s’acharne contre sa mère, ou lorsque que Monsieur Lalouette, le voisin, prépare du café, on reste en face à face avec un personnage qui attend, qui semble subir la vie, quitte à paraître quelque peu résigné.
Mais si la vie d’Alain et d’Yvette est essentiellement faite de silences et d’engueulades, c’est parce qu’ils n’ont pas trouvé d’autre façon de communiquer. Seule la mort, étape ultime et suprême, parvient au final à les rapprocher.
Il faut attendre les dernières instants, les dernières minutes de la vie d’Yvette (lorsqu’elle vient d’absorber le produit qui va la faire partir) pour voir toutes ces émotions, tout cet amour contenu durant des années éclater dans un final totalement déchirant et magistral, moment de perfection absolu qui magnifie pleinement notre perception du film.

Un film, d’ailleurs, qui s’avère finalement assez symptomatique de la France de 2012.
Outre le fait qu’il s’agisse d’une œuvre qui traite d’un sujet global plus que polémique et actuel dans l’hexagone (l’euthanasie), nous avons également affaire ici à un portrait du monde populaire, provincial, en un sens villageois (le terme campagnard ne convenant en effet pas tellement à ces personnages). Bref, une France normale pour paraphraser notre chef d’Etat, une France actuelle, qui ne s’intéresse plus aux petites histoires parisiennes (le gros problème du cinéma hexagonal) pour se préoccuper plutôt de son propre sort.
Cela se retrouve d’ailleurs dans les thèmes qui sont abordés dans le film. Tous les thèmes qui apparaissent dans le film, que ce soit le chômage, la réinsertion, la solitude, le vieillissement de la population, ou bien encore les problèmes de communication de notre siècle, sont des thèmes qui touchent pleinement les français (et dans une mesure plus large, le monde en général).
Plus qu’un simple film sur les difficultés de compréhension entre une mère et son fils, et plus qu’un film polémique sur l’euthanasie (ce à quoi certains voudraient le réduire), l’œuvre se transforme dès lors en quelque chose de plus grand, de plus fort.
Quelques heures de printemps n’est plus une simple histoire, il devient un portrait du monde, de la France de 2012.

Si l’on considère les deux options primaires du cinéma (et de l’art en général), qui sont soit de montrer la vie, soit au contraire de la magnifier, on note que le film parvient avec brio à rassembler ces deux options. A la fois œuvre sociale, moderne, d’un réalisme prodigieux, et film de fiction qui joue avec nos perceptions, nos émotions pour mieux faire passer son message, quitte à accentuer certaines scènes, et à magnifier les rapports humains, Quelques heures de printemps est un film d’une grande beauté et d’une merveilleuse intelligence.

Le film le plus bouleversant de l’année.

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