Magazine Journal intime

Iago 1985

Par Emia

Il était une fois

né de l’île de Nève, d’au millieu du lac Glacé,

un pêcheur, Iago, pêcheur d’anguilles

rencontré il y a longtemps temps sur le Quai

- l’air humait doucement (le souffle doux de bise) -

l’on flânait et

Nève se fânait

sous le soleil ardent.

(Mes sentiments pour Iago sont irréels maintenant. Quel univers ! Qui n’est aujourd’hui plus que par l’exigence d’une illustration complète, de et par l’intérieur composée.)

Cependant il eut un commencement :

CE QU’ON VOIT DES INDISPENSABLES A L’AMOUR BLESSE

1 fourchette

1 coq empaillé

1 montre-bracelet

1 anguille

1 sacrilège

1 farce

1 pirate

1 lanterne chinoise

1 sauna

des raisins secs

1 grenier

1 orage

1 petite bête

5 épingles

1 dose de cyanure

1 four

12 chaises

1 hêtre

1 chêne

1 mouchoir

1 herbe

1 pot

1 volt-mètre

1 bière

1 amant/e

1 transformateur

1 mercedes

1 flamme

1 chiffon

3 billets de cinéma

1 encyclopédie

des poils

des feuilles

1 métronome

1 fil à la patte

30’000’000 de protozoaires

1 aigrette

1 cousin

du chocolat

1 jeu de cartes

1 clou

1 i-truc

1 chrysanthème

1 orange sanguine bien rouge

1 bible

1 porte cochère

1 tigre

1 élégie

1 savon

1 pneu

1 ange

1 tapis volant

1 metteur en scène

1 anachronisme

1 paradoxe

1 oeuf

Tout ça chaque soir va se saoûler au PARADISO avec Iago, qui porte un pull bleu-marine tricoté par sa mère, une veste, un jean et des basket.

Il connaît beaucoup de monde, à qui il raconte sa vie, toujours la même, toujours une autre, vite et fort :

« L’installation est constituée d’assemblages… équarries très… de fins rubans métal… et d’appareils électromagnétiques. Dans l’une … des trois… travées… deux poutres sont… pour les surélever du sol. Chacune est surplombée d’un gros piston… qui percute… dans son cylindre et retomber indé… le fil passe… féminis, … écartées. Sur une… boule… dans laquelle est gravée un s… Contre les parois et les poutres faisant séparation, sont fixés… d’autres… par de puissants… aimants… défiant la pesanteur. Se mettent à vibrer… à emplir l’air de BRUISSEMENTS QUE MARTELENT LES COUPS SONORES… »

(Journal de Nève, exposition TAKIS)

Obsessions et croisères

Quel convoi

Dans la foule des clients, la sœur d’Iago –

la bêtise n’est pas moins mystérieuse que le génie. La candeur d’Ocarina est miraculeuse : chaque énoncé un édifice si fragile qu’on n’ose à peine s’y aventurer. De mot en mot une relâche de l’entendement ! Désespoir (moulinets) lâché à la ronde – un sens s’agrippe d’hésitation : l’opération ardue (collier de bourgeonnements perplexes) accomplie, Ocarina a parlé.

Ocarina cultive son initelligence : ce précieux physique qu’elle est, demande (par souci d’esthétique) qu’un autre effort de stylisation soit fourni au niveau de – euh – la conversation, ce très insupportable ralenti. Ainsi provoqué dans la stupeur, (l’effort) se libère parfois, malheureusement, dans la rage hystérique. Alors Ocarina miaule et sent la citronnelle.

Florale stupidité oréolée d’hébétude ! Voilà, cette fille diffuse la même pâleur qu’un sorbet (odoramment figé dans une coupe de cristal, disposé en fin de repas sur la table de la terrasse, celle-là même qui donne sur le jardin, en été), expression végétante d’une chose (dans le sorbet, l’ex-citron), sa mélancolique patine : reflets d’avant l’état de stase (au toucher, les pétales d’une fleur se donnent comme des doigts morts) qui remplissent Ocarina à ras la coupe et m’extasient, moi.

Ma foi, cette fille est faite à l’image d’une beauté. Ne suffit-il pas qu’elle m’apparaisse comme une réplique féminine d’Iago – pis : comprise par moi seulement en référence à lui, elle l’augmente en s’y ajoutant, et l’étend en un genre de complexe, en éventail, re-multiplié par la première (image de beauté), je suppose, homoérotique, je suppose, provocant la jalousie de toutes les parties concernées par effet de réfléchissement psychique : Beauté de sœur d’Iago, beauté d’Iago qu’elle se met à couver de ses yeux fiers devant moi et j’en…

Tandis qu’elle complètement hors-jeu joyeusement fausse l’élan incestueux.

Ces filles ! Dans ces milieus d’objets admirées : bijoux : précieuses sans chair ni corps, réduites à l’appellation du genre. Iago nous présente (aux autres et mutuellement) et nous re-présente telles des ob-jettes (vases, potiches, conteneurs) précieuses. Iago nous manie sans déclicatesse, mais avec la distance respéctueuse qu’observe celui qui craint de se blesser avec les éclats des cassures qu’il pourrait – aurait pu – provoquer. Ocarina se laisse faire (à moins qu’elle n’exige d’être traitée ainsi), et moi aussi.

ADMIRURES

 Je reconnais en l’impersonnelle Ocarina l’empreinte d’une volonté Iagesque, que je cherche à séduire – réduire – détourner. Tous, sauf Ocarina, saisissent mes efforts et s’en offusquent. Enfin je suis ivre –

Ces filles ! Plus parfum que chair, que corps ou pesanteur, plus poétiques que vivaces, plus imagées que réelles : beautés de salon – calme, luxe et volupté – sœurs du poète d’Epinal. Allure française, impériale : Watteau, rondeau, Verlaine, bohème. Charme de la Belle. Visages en cœur, pommettes pointées, yeux richement cillés, etc., corps de grâce sèche (Degas). D’expression générale langoustineuse, vague, féline.

Fatalité du genre

 Un regard qui de tout son corps glisssssssssse comme un chat – c’est ennuyeux tout ça –

SŒUR

La foule entend :

le genre d’un mot, son genre et

sa genèse

gêner

fatal et déterminant

dans cette sœur ou ce frère s’épuise en languinolantes parallèles toute autre relation. Privilèges de la fraternité : de la même génération : du le frère à la sœur s’abolit le désir à son propre souvenir. L’amour s’en trouve gêné, mais suggéré à très grande intensité. Porté à incandescence ailleurs.

d’une génération, d’un âge

Mon enfant, ma sœur

(l’amour métamorphose l’un en l’autre, hermaphroditisme de ce passage-là)

Il est ici quelque chose dont je me doutais un peu, mais que je n’avais pas encore pu énoncer :

L’ANGE

Iago hurle de rire. Ca le jette contre le dossier de la chaise, l’y plaque, lève haut le menton, encore plus, grimasse, c’est une dégoûtante charcuterie. Il se penche, se frotte les fesses d’une main, soufflant, pleurant presque, c’est effrayant. Nous oublions de rire, qu’est-ce qui a donc pu provoquer ça ? J’ai dit (alors qu’Iago l’avait déjà raconté)

que je porte deux montres

l’une perdue

par lui-même sous mon

sous

mon lit

l’autre

emploi du temps

celle

qu’il m’avait offerte

« Mais (dit Cassio, amant d’Ocarina), mais c’est ma montre ! »

Ocarina est la meilleure amie d’Emilia, maîtresse déchue d’Iago. « Maintenant, c’est elle que je n’aime plus » m’avait-il confié un soir.

Montrez-moi la vraie vérité des âmes, et je vous montrerai

Iago crie de rire

Sa sœur pousse un doigt effrayé entre ses lèvres

Attributs : l’Amour a un nom et des attributs.

L’attribut d’Iago : un attouché-case qui ne le quitte jamais, sa veste trop large déployée comme un rideau d’avant-scène. Tout cela est assez vivant. Vrillant. Ils ne cessent de s’émouvoir, ses attributs, sur lui. Il est également pris dedans. Sans eux, le corps même de l’amour surprend.

Sa sacro-sainte disponibilité

Il ne vit que de femmes invisibles, « je ne présente pas mes maîtresses, elles ne regardent personne ». Iago s’entoure de femmes gentilles, généreuses, dont la présence doit nourrir un autre désir.

Lui, qu’on dit sale : son visage et tout son corps comme assombris psr une pellicule (Dans l’ombre – j’insiste – en-dessous d’une première peau, vivotte une autre, assoiffée). On appelle ça un teint brouillé. Savoir ce qui brouille le teint d’Iago, ce qui l’écaille. La peau d’Iago sécrète.

Il avale une bière.

« Je vais pisser »

Les absents ont toujours tort.

MUSEAL

Tout en dedans du musée d’Art et d’Histoire de Nève sont exposés-supendus 6 anges, des fresques de finition douteuse.

La vivacité de l’Ange dans Iago pétrifié (ensablé) – oh les beaux jours ! La vie éternelle, divine, religieusement menée : ces caractéristiques qui, de vie à vie, ne changent pas (l’ultime caractéristique : le vivant. Tautologique). Le toujours vivant se fige dans une éternité de signes, symboles, effigies, idoles (répétition de l’identique. Les signes se superposent. Ils ne font plus qu’un, le poids du vivant, et creusent sa forme). C’est ainsi que les 6 anges du musée n’en font qu’un.

Serait-ce (l’Ange) ? Moins de chances encore que l’amour, mais quelques chances. Il est dans les choses possibles que ce soit lui. Du moment que c’est (moi). Il est dans les choses possibles qu’il soit justement tombé sur (moi), et ce soir. La preuve n’est est-elle pas, là, sous mes yeux ? La preuve en est pressante. (Duras).

Les attributs de l’Ange : aériens. halo de sainteté, couronne, ailes (oiseau), robes vaporeuse (rappel de l’habit, appel du voile – mais guère plus : transparaît la révélation), l’Ange est du coup révélé, découverture spirituelle où le sexe d’ailleurs se consume, somme. Et l’Ange du musée est peint de couleurs pâlissantes au temps : verts, rouille, or, gris, marine.

Il est vieux, l’Ange.

Stèles

COMMENT FAIRE ET QUE FAIRE. QUE DIRE ET POURQUOI. Il y a ce désir de… molles époques.

Il est là.

Là partout.

En ces instants, une folle encore plus folle qu’Ocarina, faite comme un lys & radieuses d’odeurs fortes, passe. Grande et maigre, elle gesticule… plie et déplie avec détachement des R, des S, des M, doigts secs, c’est un IL, c’est un mec. Iago, revenu et transformé, fait les yeux doux, les laisse monter lentement en lunes suaves, brûlantes et chaudes dans la nuit festivale. Ils se sont vus. Elle, elle double, triple, quadruple ses ardeurs expressives mieux qu’un automate. L’excitation est une accélération.

Je connaissais Iago. Tout humilié – le cœur connaît ses raisons – sous sa veste couleur mousse, il approche. Il tend la pointe des pieds. Du coin de l’œil, le mec le regarde vite, lèvres au verre, penché.

Ils parlent de choses et d’autres, indifféremment : mais qui suit cette conversation

en chansons bizarres

les chimères s’attrappent

Quel dommage irréparable

ET LE LENDEMAIN

Ce matin-là j’allais à pied par le pont : il faisait encore nuit pluvieuse, seulement au-dessus de la montagne un peu de lumière séparait ce qui alors devint nuage. J’ai croisé un homme qui promenait son chien ; des oiseaux blans flottaient sur l’eau comme des fleurs de papier.

Ce n’était pas la première fois

je crois, mais

à présent j’en suis sûre

De quelle couleur est le pelage du renard qui vit dans la forêt fabuleuse ? De celle qu’on aime.

Il y a ceux qu’on aime de ne pas en être aimé en retour, et il y a ceux qui s’aiment. Lorsqu’on aime seulement, le monde ne répond pas : on se lance constamment à lui. C’est un chant, oui. Lorsqu’on aime seul, aussi, la mélodie s’effondre d’en nous au-dehors. Une sorte d’affaissement dynamiqe, un écroulement perpétuel, mais pas une chute : nous ne tombons pas, mais quelque chose de nous tombe dans le monde, en rade. Le désir, c’est ça. On s’applique immuable au monde – il diffère de nous, le salaud, et nous lui en voulons pour ça lorsqu’un peu de force nous revient. Je suis au monde, mais le monde est indifférent : d’où alors vient ma volonté, moi qui suis de ce même monde. On se donne, ou du moins donne-t-on quelque chose aveuglément : le vouloir.

Voulez-vous ?

Non : refus.

Pourquoi a-t-il suivi (…) jusque là ? En raison, sans doute, d’une amabilité, d’une politesse dernière. (Duras)

C’EST LA ROUTE DE MADRID, LA PLUS GRANDE DE L ‘ESPAGNE

Aucun – chaque – amour ne se ressemble jamais, et aucun amour n’est différent – de genre et d’expression aussi variés que les personnes qui l’animent. J’invente pour chaque amour le nom qui convient. J’opte : soit : le nom de celui/celle qu’on aime… Ainsi, par les petits noms qu’ils se donnent, les amants nomment leur façon d’aimer. J’appelle Iago l’Ange : l‘animal dérobe la majuscule de son nom ! (Je cherchais le nom de mon amour : alors que je l’avais oublié, mes anges étaient bien là avant que je ne commence de l’aimer, et, oui, j’aime depuis que j’ai visité ces anges)

J’eus alors idée qu’il existe un désir qui est semblable à une douleur aigüe (Phèdre). Levant les yeux vers ce jeune (Ange), je me sentis suffoqué par le désir en pensant : « Je veux me changer en lui, je veux être lui. » (Yukio Mishima)

Cette nuit est violette d’angoisse. J’ai mal partout, aux articulations, grenades, vinaigre, pépins. Me font souffrir : des gueules de chien grand ouvertes, fermées, ouvertes –

entrouvertes – timides.

Oh pourquoi tous les temps se passent-ils toujours ainsi ?

Corpus delicti

Corpus Christi, corpus chu,

délice. Piments et chocolat.

Être désespéré de quelqu’un, désespérée d’hommes bruns, brou-de-noix, le brun c’est physique – Je disais à ma mère : Iago, Iago au yeux couleur de merde (j’en aimais un autre l’année passée qui avait les yeux cognac, mais je l’aimais moins)

Foutez-moi tout ce monde dehors

En moi quelque chose se passe. Si inconscient il y a, le mien est occupé par une foule en liesse. On s’amuse. Je crois que c’est le bar, le PARADISO ivre, qui m’a pénétrée. Je distingue mal en-dedans : voyons… un groupe de gens… des lianes, des serpentins, une table, limonade. Lampions, tapis, et au fond la porte qui donne sur le paradis nocturne.

Non mais vous l’avez vuuuuuu

ouiahhh

SENTIMENT DES RONDS DANS L ‘EAU

oui-da ma chère, et qu’on…

dit-il,

Georges Bataille a raison : La nudité de l’œuf dur et pelé est exemplaire. Lisse, humide, elastique.

L’œuf cru contient, dans sa coquille, toutes les sécretions : en filets nonchalants, après la cassure, vient le liquide, lentement, gelatine animée, quasi-vivante.

L’œuf tient dans le creux de la main : tout un corps parfaitement tiède et un.

L’œuf, c’est ce corps-là qui me plaît : alors que le corps humain s’arborise et se ramifie, tout membré qu’il est, complet seulement dans la jouissance.

Enraciné dans l’incomplétude.

L’œuf tient seul

du dos aux fesses, des fesses au dos : voilà l’enraciné-dans-l’incomplétude. Et le désir, qui de par sa dynamique chasse et s’éloigne toujours de son assouvissement, est paradoxal. L’œuf qui casse dans la main, l’œuf cru, libère du paradoxe.

la vicieuse circularité du désir qui ne se rattrappe jamais – est l’œuf, fermeture enclose – l’œuf de l’œuf : illustre comment, de désir, on est pris.

Des fesses au dos, du dôme à l’étendue, on glisse et on revient. Fuir le désir comme l’œuf cassé qui sécrète : par quelle coupure, accident ?

(Ce silence dramatique. Lorsqu’un accident se produit, ce silence posthume qui « abat » tout ce qui passe. Figé. Attention. Intérieurs.)

L’accident de la réalité : l’incident qui s’impose en faisant irruption. Lorsque tout à coup l’évidence se rend avec son regard de bête morte – objectif – jeté de nous à nous-même : on se voit alors comme vu par l’autre qui ne nous aime pas. Cette impression d’enlisement. Absurde, puisque ressenti de soi-même à soi-même, péniblement ! Puis cède à la sensation de paradoxe : glaciale et totalement prenante.

Solitude, ma solitude. De moi, le sentiment ne s’adresse plus à rien. Ne reste plus que par rapport à rien moi seule.

Solide cassure

tranchée

de regards

Sentiment des ronds dans l’eau :

Sa circonférence diminue. De tous bords, il se ferme.

Je lui ai tant dit que je l’aimais que j’ai fini par le croire : j’ai fini.



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