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Barbie à l’Assemblée Nationale

Publié le 13 octobre 2012 par Everobert @eve_robert

Jean Député porte bien ses 42 ans, dont dix passés sur les bancs de l’Assemblée. Crinière abondante et très brune (il avoue se teindre pour masquer les cheveux blancs), silhouette fine et sportive, il porte ce matin un costume bleu marine à fines rayures crème, bien taillé, une cravate de couleur vive, des mocassins discrets. Un style classique mais d’un bon goût certain. Père de deux enfants, de 13 et 16 ans, il raconte les appeler tous les jours : “ils sont ma force, mon énergie, ma fierté”, confie-t-il. Il reste très proche d’eux, malgré son divorce et les tensions incessantes avec le nouveau mari de Laetitia, son ancienne compagne.

Sur les marchés de sa circonscription, dans sa permanence, en réunion de section socialiste ou en commission des lois à l’Assemblée, Jean demeure fidèle à lui-même : discret, doux, chaleureux. A l’écoute de chacun, électeurs, collègues, attachés parlementaires. Toujours prêt au compromis, il ne se départit jamais de son grand sourire lumineux et plein de fossettes, qui parvient toujours à réchauffer l’atmosphère.

Entré en politique à l’âge de 30 ans dans le sillage de la Ministre des Finances de l’époque, dont il est le jeune protégé, il a depuis mené une carrière parlementaire ambitieuse; navigant avec sérieux et application de réunion de groupe en séance plénière, de rapport en commission.

photo d’illustration : Jean Député portant la chemise offerte par sa femme pour marquer ses dix ans de vie parlementaire.

Quelque chose vous choque ? Oui, oui, c’est normal. Je parie que ça vous choquerait moins si on parlait de Marie Députée ?

Les femmes politiques, ces hommes politiques étranges (on murmure qu’elles seraient dotées d’un vagin) font l’objet d’un traitement médiatique spécifique. On utilise à leur égard des expressions langagières et des procédés stylistiques que l’on n’aurait jamais idée d’employer si elles avaient le bon goût d’être dûment équipées de testicules. Petit tour d’horizon par Eve et Antoine.

1) L’infériorisation : “vous êtes bien mignonnes” !

Dans tout portrait de femme politique, une idée sous-jacente: c’est très charmant cette lubie qu’ont les femmes de vouloir faire de la politique. Vraiment très mignon. Adorable ! Mais ne nous y trompons pas, une femme politique demeure avant tout une femme, rien de plus. Les médias le rappellent à chaque fois qu’ils en ont l’occasion :

  • L’infantilisation par l’usage du prénom

Comme l’a constaté le rapport Grésy, les médias, lorsqu’ils parlent des femmes politiques, utilisent très souvent leur seul prénom (et quasiment jamais leur nom de famille seul): on nous parle de “Najat”, “Ségolène”, “Angela” et “Rachida” (mais jamais de “François”, “Arnaud” ou “Vincent”). Peut importe qu’il s’agisse d’une Ministre ou d’une Députée ou Sénatrice de la République.

On peut remarquer que :

- le prénom contrairement au nom de famille, marque l’appartenance au sexe faible (à de rares exceptions les prénoms sont sexués)

- l’usage du prénom, surtout seul, est la marque d’un respect moindre et infantilise la personne ainsi désignée

  • Les gossips avant tout

Les journalistes donnent, dès que possible, la primauté au fait divers romancé, à l’émotion, à l’intrigue sentimentale sur la parole politique. Nulle n’a davantage subi ce travers que Ségolène Royal, ancienne candidate à la présidence de la République, présidente de Région, ancienne Ministre, dont on a analysé la récente campagne législative quasiment exclusivement sous le prisme de sa prétendue rivalité personnelle avec Valérie Trierweiler : dès fois que vous ayez un doute, les femmes politiques sont comme toutes les femmes : des harpies sentimentales, jalouses et possessives.

Autre exemple, on trouvera dans les pages “Politique” du très austère quotidien Le Monde la mention d’une action en requête de paternité intentée par Rachida Dati : Peut-être une façon aisée et détournée d’introduire dans des journaux “sérieux”, dans les pages “sérieuses” de ces mêmes journaux, des ragots, cancans et autres médiocrités qui vont vendre du papier auprès d’un lectorat voyeur/moqueur malgré lui… et de rappeller aux femmes que si elles sont admises dans la sphère politique, elles ne le sont qu’en tant que femmes, que femelles légères.

Barbie à l’Assemblée Nationale

  • Sois belle…

« En toutes circonstances, même les plus officielles, les hommes on les écoute; les femmes, on les regarde ». Ce constat amer de Brigitte Grésy se vérifie à longueur de page dans nos quotidiens grands publics, qui ne peuvent pas s’empêcher d’insister sur l’apparence physique des femmes politiques, agrémentant leurs articles de nombreux détails sur leur style vestimentaire (Ségolène portait un tailleur bleu et Martine une veste grise blablabla), leur coiffure, leur sourire… le tout fréquemment agrémenté d’allusions vaguement sexuelles, façon clin d’oeil complice “quand même, unetelle, on se la ferait bien”. La femme se voit ainsi représentée dans sa singularité de femme, constamment renvoyée à l’altérité de son corps.

A titre d’exemple, une rapide lecture des “Portraits” de la dernière page de Libération, nous apprend, à propos des Ministres du Gouvernement Ayrault :

- que Najat Vallaud – Belkacem, Ministre, baptisée la “gazelle”, “est jolie, accroche la lumière, éveille des jalousies chez les militants.”

- que Fleur Pellerin, Ministre, “est brune aux cheveux lâches, traits jeunes et asiatiques, robe de soie légère sur longues bottes de cuir noir, talons acérés”.

- à propos de Marisol Touraine : “Dans ses habits, tout est rouge ou presque, dont une bague en forme de gros pétale. «J’aime bien cette couleur.»” On y convoque même “sa meilleure amie” pour décortiquer son style : “ «C’est sa façon cocasse de s’habiller, raconte sa meilleure amie, Françoise Benhamou, une économiste. Un mélange de rétro et de moderne, mais avec toujours une foule de couleurs. ».

Les photographies retenues pour accompagner ces articles n’échappent pas à cette tendance,  comme l’ont encore récemment fait remarquer Les nouvelles news et David Abiker à propos du choix tout particulier d’illustration du portrait de la députée Barbara Pompili dans Libération, tout autant d’ailleurs que son titre : “Soeur sourire d’EE-LV”. La députée est-elle “bonnasse ou bonne soeur” ? A la vue de la photo, on peut se le demander. Dans tous les cas, pas une personne légitime pour exister politiquement de façon autonome. Bonnasse, bonne soeur : une fois de plus, la femme politique est renvoyée à une activité retirée du monde, hors de la sphère publique.

Barbie à l’Assemblée Nationale

Quant au Figaro Magazine, il choisit à côté du moteur et des objectifs des femmes politiques qu’il interroge, de s’intéresser au dress code de celles-ci. Connaissez vous les choix de cravates et de chaussettes de François Hollande ?  Jean-François Copé a-t-il un faible pour les chemisettes ?

  • … et tais toi !

En plus d’insister si lourdement sur leur apparence physique, les médias tendent à mettre en avant les qualités proprement “féminines” des femmes politiques: douceur, grâce, sourire, réserve, capacité d’écoute et d’empathie…

Dans un récent portrait d’Anne Hidalgo paru dans Rue89, on nous dépeint une femme qui “parle avec douceur”, “sourit”, “produit une jolie musique avec sa voix”, et dont les mots “suintent de bons sentiments”. Libération en rajoute une couche quelques semaines plus tard, en évoquant “sa douceur soyeuse et sa langueur incertaine”. Et s’exclame à propos de Fleur Pellerin : “Et mignonne en plus, pas empêtrée dans le discours froid de l’«énarchie».” !

A l’inverse, faire preuve de qualités considérées comme masculines (fermeté, intransigeance, colère, exigence, franchise, combativité, autorité…) est impardonnable : mais pour qui se prennent-elles ?  On n’a pas oublié à quel point au cours de la dernière campagne présidentielle Eva Joly ou Martine Aubry étaient vilipendiées de toute part comme excessivement “dures”, “rigides”… Leurs conseillers en communication les ont d’ailleurs toutes les deux contraintes à se montrer plus girly, “souriantes”, “moins tranchantes”, “moins péremptoires”, “plus féminines”, “plus douces”, bref “ d’allier “la grand mère protectrice au juge intraitable”...

Si ces caractéristiques stéréotypées – beauté, séduction, douceur, etc – sont généralement évoquées comme des qualités, elles n’en constituent pas moins des “armes à double tranchant” pour les femmes politiques, comme l’analyse Cécile Sourd : “Contre-pouvoirs typiquement féminins dans les esprits, ils les desservent dans la pratique en les rendant suspectes d’user de moyens détournés et non autorisés pour atteindre leurs buts”

Ces procédés divers convergent dans un même sens : rappeler à tous que les femmes politiques sont avant tout des femmes, alors qu’en politique sans doute encore plus qu’ailleurs, le neutre est masculin. “La femme, écrivait Simone de Beauvoir, se détermine et se différencie par rapport à l’homme et non celui-ci par rapport à elle (…); être une femme, c’est sinon une tare, du moins une singularité. La femme doit sans cesse conquérir une confiance qui ne lui est pas d’abord accordée”.

2) Les stéréotypes : assignation symbolique aux rôles féminins traditionnels

Il y a ensuite la tendance à présenter la femme politique comme sous la tutelle d’un homme – son mari, son père, son mentor… Un phénomène hautement révélateur de notre inconscient collectif selon lequel le statut social de la femme, même lorsqu’elle possède une carrière propre, dépend largement de celui de son mari.

Marisol Touraine demeure ainsi la “fille du sociologue”, Sophie Dessus (députée de Corrèze) la “Blonde de Chirac”, Anne Hidalgo la “potiche de Delanoë”, Barbara Pompili la fille spirituelle d’Yves Cochet dont elle vit “dans l’ombre protectrice” ! Même sur la ministre Cécile Duflot,  “la bonne copine pèse l’ombre du sénateur Jean-Vincent Placé le florentin. Les femmes sont rattachées à l’espace public par la médiation des hommes et enfermées dans des figures féminines stéréotypées d’épouses et de mères.

  • Au dessus du niveau de la mère ?

Dans n’importe quel portrait de femme politique, le journaliste ne manquera pas de vous informer consciencieusement sur le nombre et l’âge de ses enfants. Vous serez par exemple, je n’en doute pas, ravis d’apprendre dès la 3e ligne de ce Portrait que Libération consacre à Nathalie Kosciuzco-Moriset, que celle-ci est une “madone tout juste relevée de couches”. Ou encore dans ce portrait de Paris Match de Cécile Duflot, que celle-ci est “mère de quatre enfants de deux conjoints différents”. On vous met au défi de relever autant d’allusions aux bavoirs et aux biberons dans un portrait de François Bayrou ou d’Alain Juppé…

Pour Cécile Sourd, ce renvoi systématique de la femme politique à ses fonctions dans la sphère privée “a pour principale conséquence de la représenter comme en décalage par rapport à ses devoirs principaux et donc intruse dans un domaine qui ne lui est pas socialement destiné. (…) La femme qui veut réussir en politique se doit donc d’être à la fois épouse, mère, et seulement ensuite actrice politique. Ne réussira à s’imposer que la femme qui remplira correctement les rôles féminins, faute de quoi elle risque de paraître irresponsable ou indigne”. En effet, le Figaro Magazine précise que les nouvelles venues dans la politique ont travaillé et, parfois, “sont devenues mères dans la foulée”. Ouf : voilà décerné un brevet d’équilibre et de réussite. On ne va tout de même pas faire confiance à une femme qui ferait passer sa passion pour la politique avant son destin naturel de mère? Son intérêt pour les Lois de la République au dessus des Lois de la biologie ? Une mauvaise mère, voire même une femme qui n’aurait pas d’enfants, autant dire : un monstre.

Il est significatif à cet égard que la quasi-totalité des “Portraits” consacrés par la presse généraliste à des femmes politiques les décrivent comme “ambitieuses”; ce qui n’est que beaucoup plus rarement le cas pour les hommes; comme si le simple fait d’entreprendre une carrière politique constituait pour elles un pari ou un exploit remarquable, par contraste avec leur destinée naturelle de gardienne du foyer.

Peuvent-elles faire de leur maternité un atout politique plutôt qu’un handicap ? On voit de plus en plus de femmes politiques, de Sarah Palin (la “hockey mom”) à Ségolène Royal (“c’est une mère qui vous parle gnagnagna”) ou encore Marine Le Pen, tenter de mettre en avant leur statut de mères de famille sur la scène publique. L’intérêt étant de pouvoir ainsi se présenter comme pragmatiques, proches des problèmes de la vie quotidienne. Signe d’un progrès dans les mentalités  ? Pas vraiment, analysent Les Martiennes :

“ Dire:  je suis une mère et sous-entendre “une bonne mère”, c’est un peu comme si ces femmes politiques justifiaient leur présence dans un camp, la politique, où on les attend moins. Elles semblent nous dire: “j’ai fait ce qu’on attendait de moi, j’ai désormais toute ma place sur l’échiquier politique”. Comme si une femme devait cocher d’abord cette case, avant d’être candidate à toute fonction électorale. “

Barbie à l’Assemblée Nationale

  • L’effet première dame

Les médias, y compris les grands quotidiens nationaux généralistes, feignent de prêter aux compagnes des hommes d’Etat  un rôle politique. Il en va ainsi de Valérie Trierweiler, qui s’est arrogé, avec la complicité des journalistes, des prérogatives proprement politiques dans la campagne législative. “Ni militante, ni élue, sans engagement partisan connu, elle n’a aucun titre pour le faire, sinon d’être la compagne de François Hollande” avait fort justement commenté Edwy Plenel. En posant une équivalence médiatique entre elle et Ségolène Royal, on met sur le même plan l’accompagnement conjugal et privé d’un homme d’Etat avec une carrière politique sanctionnée à de nombreuses reprises par le suffrage universel.

Pourtant, institutionnellement la question ne fait plus débat. Dans notre République, il n’y a pas de “Première Dame”: ce n’est ni un statut, ni une fonction ; même si des traçes subsistent de cette tradition monarchique, comme le relève le blog Régine (jusqu’à l’arrêté du 27 octobre 2011, l’art. A. 40, III du Code de procédure pénale qui prévoyait que pouvait être assimilée « à la liste des autorités administratives et judiciaires avec lesquelles les détenus peuvent correspondre sous pli fermé », « l’épouse du Président de la République », version aujourd’hui expurgée de cette mention). On notera avec le blog Régine que cette mention impliquait que le président de la République soit marié, à une femme.

Dans la séparation entre « gouvernement domestique » et « gouvernement politique », le rôle des femmes est pensé essentiellement comme celui de gardiennes des moeurs dans la sphère privée, leur rôle politique devant se limiter à l’exercice d’une “influence morale et politique” sur leur concubin/conjoint.

3) La disqualification implicite

La sociologue Marie-Joseph Bertini a montré combien, alors que “le champ sématique qualifiant l’activité des hommes est médiatiquement très riche, celui concernant les femmes se rétrécit comme une peau de chagrin à quelques formules-clefs”. En procédant à une analyse lexicographique d’un important corpus journalistique, elle a repéré cinq figures principales du “Féminin” dans les médias, qui constituent autant d’expressions toutes faites à disposition de journalistes politiques en manque de créativité ou d’imagination : la pasionaria, l’égérie, la muse, la madone, et la mère. On notera que toutes possèdent une connotation ironique, et que toutes à l’exception de la “pasionaria”, font implicitement référence à un homme (le mari de la mère et de la madone, l’artiste de la muse ou de l’égérie…).

L’expression “pasionaria” a particulièrement retenu notre attention tant son utilisation est fréquente à propos des femmes politiques. Un petit tour rapide sur Google nous apprendra ainsi que : Christiane Taubira est la pasionaria guyanaise, Geneviève Fioraso la pasionaria de l’innovation, Nathalie Arthaud la pasionaria des travailleurs, Marine Le Pen la pasionaria du FN, Christine Boutin la pasionaria des anti-Pacs, Ségolène Royal la pasionaria de la démocratie participative, ou encore Michèle Sabban la pasionaria pro-DSK.

L’expression n’est pourtant pas neutre. Elle connote l’excès, la démesure un peu ridicule, la dévotion à une cause unique. Elle fait référence à une action politique irréfléchie, moque le ridicule d’une femme passionnée qui, la naïve !, croit à ce qu’elle dit.  Elle fonctionne ainsi comme un mécanisme puissant et implicite de disqualification.

Le traitement médiatique réservé aux femmes politiques est prescripteur, autant que révélateur, d’un cantonnement symbolique des femmes à leur place immémoriale, le foyer. Aujourd’hui comme hier, l’irruption des femmes dans le saint des saints de la sphère publique, la politique, est difficile à accepter pour beaucoup. Comment donc, les femmes, non contentes de dicter la politique à la maison, non contentes d’affirmer que la politique se joue d’abord au quotidien et à domicile (“le privé est politique”, crient-elles), se piquent également de déserter cette sphère qui leur était, naturellement, destinée ?



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