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Jeunes sportives : quand l’emprise du coach vire à l’agression sexuelle (Rue 89)

Publié le 15 octobre 2012 par Sportpsy @sportpsy
by psysport on octobre 15, 2012 Jeunes sportives : quand l’emprise du coach vire à l’agression sexuelle (Rue 89)
Le mois dernier, Farshid S., un entraîneur de l’équipe allemande de natation, officiait encore au bord des bassins olympiques de Londres, pour préparer et encadrer les nageurs sélectionnés. Au retour de la délégation, il a disparu sans laisser de traces. Parti en vacances, officiellement.

Alors, quand il est apparu sur le banc des accusés du tribunal de Kiel, le 14 août, la Fédération allemande de natation (DSV) a eu peine à y croire. Leur technicien est assigné en justice par une ancienne nageuse.

La jeune femme affirme qu’il lui aurait extorqué des relations sexuelles à dix-huit reprises, entre 2004 et 2006. Elle était mineure à l’époque des faits.

La sportive, aujourd’hui majeure, reconnaît des rapports sexuels consentis, mais elle poursuit son ancien entraîneur pour agression sexuelle sur mineure par une personne ayant autorité sur la victime (punissable même si la victime est consentante).

Elle accuse le technicien, âgé de 40 ans, d’avoir abusé de son autorité et trahi la relation de confiance athlète-entraîneur pour parvenir à ses fins. Tout l’enjeu du procès repose sur cette question : un entraîneur exerce-t-il réellement une autorité sur ses athlètes ? Les sportifs sont-ils sous sa responsabilité ?

L’entraîneur devient confident

Une affaire similaire a récemment frappé les Etats-Unis. Kelley Currin (championne pan-pacifique 1987 sur 200 mètres brasse) n’avait que 13 ans quand son entraîneur, Rick Curl, lui a fait des avances. Leur relation a duré quatre ans, jusqu’à ce que les parents de la jeune fille découvrent son journal intime.

Le dénominateur commun, dans ces deux affaires ? Les deux femmes admettent volontiers avoir consenti à ces relations, les avoir entretenues et même chéries. C’est une fois adultes, éloignées de leur entraîneur et de la pratique sportive, qu’elles ont ressenti le malaise et analysé, avec plus de recul et de maturité, la nature de ces liens.

Dans la recherche de la performance sportive, l’entente entre l’entraîneur et l’athlète est essentielle. Avant tout, c’est une rencontre entre deux ou plusieurs acteurs tendus vers un même objectif.

La stabilité, la confiance mutuelle et le respect sont des conditions indissociables des résultats. Les liens qui se nouent peuvent être très forts, selon Sophie Huguet, psychologue du sport et Françoise Labridy, psychanalyste, dans un article consultable sur Cairn :

« Les sportifs peinent à trouver les mots justes pour qualifier les liens affectifs qui les unissent à leur entraîneur. »

Elles expliquent que le temps passé ensemble, l’intimité qui se crée et la relation de confiance qui se développe vont réveiller des souvenirs d’enfance chez l’athlète, pour qui l’entraîneur devient confident ou parent de substitution.

Comme dans de nombreuses situations (entraîneurs, mais aussi enseignants, éducateurs…), le jeune enfant ou l’adolescent effectue donc un transfert : il projette des sentiments vers son entraîneur. Il va admirer sa personnalité, sa compétence, apprécier sa pédagogie, aimer son look…

Une triple domination est à l’œuvre

Cette affection se développe au sein d’une relation plus ou moins déséquilibrée, dominant-dominé. L’entraîneur détient le savoir et l’expérience tandis que le sportif est un « corps », malléable et jeune. L’entraîneur « sait » ; le sportif « exécute ». Cette domination, si elle est exercée avec pour objectif l’épanouissement de l’athlète, n’est pas néfaste.

Mais en de rares occasions, l’influence du technicien devient telle que cette domination évolue vers un mécanisme d’emprise. C’est le cas des jeunes nageuses présentées plus haut. Comme l’explique Philippe Liotard, sociologue et enseignant-chercheur à l’université Lyon 1, les victimes de violences sont souvent soumises à une triple domination :

  • l’adulte sur l’adolescent ;
  • l’homme sur la femme ;
  • l’entraîneur sur l’athlète.

L’emprise est problématique, car elle implique un glissement de la relation de domination du cadre sportif vers le cadre privé. Selon Philippe Liotard, le contrôle exercé par l’entraîneur n’a plus seulement lieu sur le stade :

« La personne soumise à l’emprise n’a plus vraiment d’initiative. On la contrôle de manière plus ou moins importante : on décide de ce qu’elle mange, de son emploi du temps, de ses relations à l’extérieur.

L’athlète va se sentir dans l’impossibilité de résister aux injonctions de l’entraîneur. Et parfois, elle n’y pense même pas, ne le remarque pas. »

En effet : les deux nageuses évoquées plus haut n’avaient pas conscience du caractère déplacé de leur relation. Elle confient qu’elles ressentaient une affection sincère pour leur entraîneur, un aveu qui n’étonne pas le sociologue :

« Mais elles étaient sans doute amoureuses ! Simplement, la grosse différence ici, c’est que ce désir amoureux passe par l’admiration éprouvée envers l’adulte, qui est une référence. Il ne s’agit pas d’une relation construite et équilibrée entre deux adultes consentants. »

« Il leur faut l’éventualité d’être “aimée” »

Parfois malgré elles, les jeunes filles vont donc encourager, par leurs actes et leurs attitudes, une réponse déplacée de la part de leur entraîneur. Selon Sophie Huguet et Françoise Labridy :

« Il leur faut cette “éventualité” d’être l’exclusivité pour l’entraîneur, d’être “unique” auprès de lui et donc une éventualité d’être “aimée”. »

Une analyse corroborée par Philippe Liotard :

« J’ai en mémoire le témoignage d’un cadre du tennis, fréquemment en déplacement dans des hôtels avec des jeunes sportives. Les adolescentes étaient dans un processus de séduction : elles voulaient être remarquées par l’entraîneur. Ce n’est pas uniquement physique. Si l’entraîneur porte le regard sur vous, il vous valorise. »

C’est alors aux adultes de se distancier et de se montrer lucides face à ces avances, effectuées de manière consciente ou non. Le « désir » de ces jeunes filles est dirigé vers « le statut de l’entraîneur », pas vers « l’identité de l’homme ».

Comme l’explique Gérard Pestre, formateur et fondateur de l’organisme Trans-Faire, dans une note de blog :

  • « Le premier piège serait de croire que cet élan n’est dirigé que vers soi-même, personne privée ; 
  • le deuxième piège serait de se laisser prendre à une telle relation, c’est-à-dire d’y répondre, soit verbalement, soit d’une manière non verbale, par exemple à travers des sourires complices, des mots ou des gestes ambigus ; 
  • le troisième piège, bien entendu, serait d’y répondre complètement et de passer à l’acte. »

« Etre sous emprise, c’est perdre sa liberté »

« On ne peut pas tout associer », prévient Philippe Liotard. Le chercheur tient à préciser qu’en cas d’emprise, les violences ne sont pas forcément sexuelles :

« Etre sous emprise, cela signifie qu’on perd sa liberté, mais cette perte de liberté ne va pas forcément se traduire par des violences sexuelles.

Ce peuvent être des violences psychologiques. On va développer une mauvaise image de soi, avoir l’impression d’être complètement nul… »

Et ces violences ne sont pas l’apanage des entraîneurs hommes. Cette semaine, l’équipe espagnole de natation synchronisée a exprimé, dans une lettre, les souffrances psychologiques dont les nageuses avaient été victimes, jeunes puis adultes, de la part de leur ancienne coach.

Pour le sociologue de l’université lyonnaise, c’est aussi le statut spécial du sport et la recherche de la performance qui sont à l’origine de certains comportements :

« C’est assez remarquable : on accepte certaines façons de se comporter avec les enfants ou les jeunes adolescents qu’on n’accepterait nulle part ailleurs. Cette capacité à faire accepter les mauvais traitements au nom de la performance, c’est une des spécificités du sport. »

Sans tomber dans une généralisation malsaine, les parents doivent rester vigilants et s’interroger sur la pratique sportive de leurs enfants.

Une enquête menée en 2008 en Aquitaine révélait qu’environ un jeune sportif sur trois pense avoir subi des violences sexuelles dans le cadre de sa pratique sportive : regards insistants, remarques déplacées, insultes, exhibitionnisme, mains baladeuses, violences physiques…

Une étude nationale, réalisée en 2009 par l’université Bordeaux Segalen, estimait à 11% le nombre de jeunes victimes de violences sexuelles. Ces résultats incitaient l’Equipe à publier, en juin 2011, ses dix conseils aux parents. Parmi les recommandations :

  • Montrer que votre enfant est sous surveillance ;
  • interdire les nuits chez l’entraîneur ou dans la même chambre en déplacement ;
  • s’inquiéter si votre enfant se renferme ;
  • dissuader l’enfant d’entretenir des relations de « copain » avec l’entraîneur.

« Le meilleur entraîneur que j’ai jamais eu »

En France, les affaires de violences psychologiques ou sexuelles dans le sport sont prises très au sérieux. La parution, en mai 2007, du livre autobiographique d’Isabelle Demongeot fait réagir. Dans « Service volé », l’ancienne championne de tennis rapporte les viols dont elle aurait été victime de la part de son entraîneur, Régis de Camaret. Plusieurs plaintes ont depuis été déposées contre lui.

Dans une interview accordée au Monde en juillet 2007, la joueuse décrit le phénomène d’emprise auquel elle a été soumise pendant dix ans :

« J’étais dans un système de peur terrible, de honte et de saleté, et je me sentais très seule… C’était un corps d’enfant face à un corps d’adulte. Je me mettais dans une sorte de bulle. J’étais entrée dans son système de manipulation mentale.

Il avait la mainmise totale sur mon emploi du temps. Dès 1981, je suivais des cours par correspondance. Il n’était pas question de sorties ou de boums, pas question d’avoir un copain. »

Des témoignages similaires, Philippe Liotard et Frédéric Baillette en ont récolté des dizaines pour leur livre « Sport et virilisme ». Ce qui surprend, à la lecture de ces récits ? Des années après les faits, malgré les violences subies, certaines athlètes disent encore :

« C’est le meilleur entraîneur que j’aie jamais eu. »

Lien vers l’article original RUE 89


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