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30 mars 1844/Naissance de Paul Verlaine

Par Angèle Paoli
Éphéméride culturelle à rebours




III


  Metz, le 30 mars 1844. Celui qui vient de rouler dans son berceau, au 2 de la rue Haute-Pierre, ne sait pas encore qu’il est entré dans l’Histoire.
   Il y a une route qui commence devant lui, toute droite, avec du soleil en poudre et des flaques de musique où il fait bon s’endormir. Il y a ce concert de voix où l’oreille petit à petit fait son chemin. C’est le premier bain dans l’air. Les sons font des bulles qu’on ne voit pas encore, mais qui éclatent doucement sous la pupille. On les distingue peu à peu, l’une après l’autre, on les accorde avec le bruit du cœur. Il y a celle qui ondule comme une vague, avec des pointes de pluie, mais douce comme un ventre de femme, et puis une autre qui répond plus bas comme un ciel d’orage roulant dans les cailloux. Le mélange se fait dans les hauteurs, comme à l’étouffée. On marche sur du velours. On ne s’en remettra jamais tout à fait.

IV


   S’il les a regardés longuement, l’enfant du miracle, ces trois fœtus roses sur l’étagère de bois ― et de quel regard noir au fond des orbites qui brûlent, quand, sur le tapis du salon, jouant seul parmi les soldats de plomb ou rêvassant à Dieu sait quelle figure sur les reflets du meuble, il s’arrêtait soudain sur eux, plein de malaise et d’effroi !
   S’il a dû lui en poser des questions, à sa mère, des questions naïves comme en posent les petits de l’homme devant les évidences- le bleu du ciel, dis, maman, pourquoi ? et la neige, et les nuages ? Et jamais une réponse claire, nette, n’aurait franchi les lèvres blessées d’Eliza-Stéphanie Dehée ? Jamais une réponse à couper le cou pour toujours à cette route désordonnée du rêve là-bas dans la brume où la vie de Paul va se perdre ?
   Jamais en tout cas, ni dans ses vers ni dans sa prose, Paul n’évoquera les trois fœtus.
   Peut-être les beaux yeux bridés de sa mère tout à coup qui s’embuent, ses beaux yeux chinois et noyés de larmes ont-ils suffi, avec le doigt posé sur les lèvres, religieusement, pour que l’enfant devienne complice à son tour du grand secret et soudainement grandisse dans le silence et l’effroi du silence. Peut-être.

   Il y a tellement de choses que les enfants ne peuvent comprendre, sous peine de souffrir beaucoup, et qu’ils comprennent sans rien dire ; tellement de choses qu’il convient de préserver dans leur enveloppe de gaze, de brouillard, de mystère et qu’ils enfouissent en eux, quitte à porter jusqu’au bout le poids écrasant du secret inviolé, et le désir de sa révélation.

   Il y a des noms, mon petit Paul, qui n’ont pas eu le temps d’être prononcés, et qui demeurent à jamais dans l’air alentour, terriblement, comme ceux des aimés que la Vie exila, ces fantômes pour les jours à venir, et qui déjà s’acharnent sur tes rêves.

Guy Goffette, Verlaine d’ardoise et de pluie [1996], Éditions Gallimard, Collection folio, 1998, pp.39-40.


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Voir aussi :
- (sur Terres de femmes) 7 janvier 1896/Mort de Paul Verlaine ;
- (sur Terres de femmes) Paul Verlaine/Mon rêve familier ;
- (sur Terres de femmes) 10 octobre 1684/Naissance d’Antoine Watteau (Verlaine, Clair de lune, Fêtes galantes).



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