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Fashion! Le documentaire culte

Publié le 26 octobre 2012 par Darkplanneur @darkplanneur

Je vous présente l’objet de mode à absolument avoir cet hiver dans sa vidéothèque, Fashion! par le talentueux mr Nicklaus, qui nous revient avec ce double DVD retraçant en 2:30  les 30 dernières années de la Mode. J’ai eu la chance de pouvoir le voir en exclu, un seul mot:EXHAUSTIF! Tout y est (ou presque), pour les jeunes générations, ceci est une superbe rétrospective de l’évolution de la Mode. Olivier Nicklaus vous dévoile en avant-première chers  lecteurs de Darkplanneur, l’ambition derrière ce masterpiece.

Darkplanneur: Dans votre documentaire vous faites le pari d’éluder toute la dimension patrimoniale de la haute-couture parisienne (Christian Dior, Coco Chanel, ni vraiment de Yves Saint-Laurent), pourquoi ?

Olivier Nicklaus:  Le documentaire commence dans les 80′s, donc Coco Chanel est morte, Dior aussi. Saint-Laurent est encore vivant mais la première exposition Yves Saint-Laurent dans un musée va avoir lieu en 1982, organisé par Pierre Bergé donc de toute façon on considérait que le présent au début des années 80, ce qui était pertinent dans la mode c’était la jeune garde,  ses jeunes créateurs de prêt à porter, à savoir ceux qu’on a choisi à savoir : Alaïa, Montana, Mugler et Jean-Paul Gaultier.  Pour ce qui est des marques patrimoniales, Dior réapparaît quand même au 3ème épisode avec en particulier John Galliano. YSL reste aujourd’hui dans l’ombre. Et Chanel revient très fort avec Lagerfeld : c’est une des grandes histoires de la mode de ces trente dernières années. Le coeur des trois documentaires c’était 1980-2010 et j’ai trouvé que sur cette période là, les plus importants sont ceux qu’on va voir, mais pour être tout à fait complet, le DVD sortira chez INA Editions et dans les deux heures de bonus il y aura un grand entretien de Jacques Chazot avec Coco Chanel à la fin de sa vie, très drôle car elle est très méchante. Elle attaque Yves Saint-Laurent, et bien évidemment sa réponse va suivre dans un entretien très émouvant… donc vous voyez, ils sont quand même tous là. 

D: Les Golden 80′s, point culminant de la prédominance française de la Mode. Comment et Pourquoi ?

ON: Bien sûr, il y a eu d’autres époques de l’apogée de la France dans la mode, ce n’est pas la première fois. Il y a eu effectivement Coco Chanel mais il y a très longtemps maintenant,  Dior et le New-Look date d’après la guerre. Et Yves Saint-Laurent,  son grand moment sont les années 60-70. A partir des 80′s, certes il continue à travailler et à faire ponctuellement de très belles choses mais je le trouve moins pertinent. Et il était étonnant de voir que Paris avec du prêt-à-porter qui était très méprisé (malgré YSL et sa collection Rive Gauche)  détonnait et rencontrait  un tel succès mondial, puisque ces jeunes créateurs se vendaient partout, aux US, au Japon… ces quatre  mousquetaires, étaient une vraie bonne surprise. 

D:Comment expliquer la disparition si brutale de Mugler, Montana ?

ON: Elle n’est pas brutale. Le succès est arrivé très vite. C’est presque le succès qui a été plus brutal que la fin. Les quatre dont on parle, Gaultier, Montana, Mugler, Alaïa ont en commun d’avoir une vision de mode très forte et comme on était dans les années 80, ce qui était beau à l’époque, c’est qu’on pouvait à partir d’une vision de mode très forte, créer une maison dans un espèce d’insouciance, voire d’inconscience pour certains. Jean-Paul Gaultier raconte dans l’épisode que s’il n’y avait pas eu Francis Menuge son ami de l’époque pour le pousser à créer sa maison, il se serait peut-être contenté d’être petite main chez Chanel ou chez Dior. L’obsession de créer sa maison n’était pas forcément la sienne. Ils se retrouvent tous les quatre avec des maisons de mode qui marchent très fort et pas seulement médiatiquement, ça vendait vraiment beaucoup: Montana et Mugler, on l’a oublié,  mais c’était des grosses ventes. Si on prend année par année, on voit bien que le temps passant, quand on a été très à la mode, l’étape d’après c’est être has been…c’est malheureusement le cycle infernal de la Fashion industrie:  Ce qui a fait la différence, c’est le parfum! Certaines maisons ont su se diversifier et trouver des sources de revenus complémentaires grâce à cela,  l’exemple éclatant est Jean-Paul Gaultier. Aujourd’hui chez Jean-Paul Gaultier, et ce n’est pas un secret, c’est le parfum qui tire la locomotive, ce n’est certainement pas le prêt à porter, ni la haute couture. Si le Mâle n’existait pas, l’on ne parlerait peut-être même plus de Jean-Paul Gaultier. 

Le cas de Mugler est encore plus caricatural car les parfums ont été un succès phénoménal, en particulier Angel qui a été une bombe et qui se vend encore très bien aujourd’hui. La fin a été de son propre chef, il a arrêté la mode mais il a gardé la direction artistique des parfums. Aujourd’hui, aussi bizarre que cela puisse paraître il garde la main sur toute l’image de ses parfums alors que  le prêt-à-porter Mugler ne le concerne absolument plus..cherchez l’erreur. Quant à Montana, le pauvre, les parfums n’ont jamais pris: Il y en a d’autres d’ailleurs, Christian  Lacroix aussi dans le troisième épisode.

D: Et l’influence du Palace ?

 ON:Le Palace allait avec le côté insouciant des choses, c’est l’époque où on sort de manière joyeuse. C’est un contexte global, les années 80 ne connaissent presque pas le chômage, ou si vous perdez votre boulot le vendredi, vous en trouvez un autre le lundi. Aujourd’hui ça ne se passe pas comme ça. Donc forcément le rapport à la fête, à la nuit est différent. Faire une nuit blanche dans les années 80, ce n’est pas grave, ça ne menace rien. Aujourd’hui c’est plus dur, il faut donc faire des choix. On a un rapport plus dur à la fête.  En plus, le Palace était un endroit très particulier. Il y avait un mélange de population, il y avait une prime au look surtout lorsque l’on était inconnu, il permettait de se faire repérer par un physionomiste, souvent Jenny Bel’Air. Cela provoquait du coup un afflux des gens de la mode qui avait ce talent de s’habiller. Légitimement et très logiquement, en plus Fabrice Emaer le patron du Palace à l’époque côtoyait beaucoup les gens de la mode, le monde de la mode se retrouvait là. Des chefs d’atelier, des muses, des assistantes se sont faits embaucher au Palace. C’était un endroit où il y avait une espèce de marché des gens de la mode, dans l’amusement et la gaité. 

D: Parlez-nous de l’influence des drogues, ce qu’on appelait « les remontants ». 

ON: Les remontants, les stupéfiants, il y avait plein de mots pudiques…On touche à un domaine tabou, j’ai essayé d’être délicat pour qu’on ne stigmatise pas les gens. Mon but n’est pas de pointer du doigt untel ou untel en disant qu’il a pris trop de drogues comme pour dire « c’est de sa faute ce qui s’est passé ». Evidemment on engage sa responsabilité personnelle quand on prend des drogues. Chacun idéalement devrait pouvoir juger à quel point il menace à la fois son propre destin et celui de sa maison. Je ne suis pas médecin, ce n’est pas moi qui vais donner des bons points ou dire qu’un tel en a trop pris ou pas. Mais il y a quand même une chose qu’on voit, je parle du métier dans sa globalité, c’est qu’il s’agit d’un métier de grande pression, avec des deadlines très particulières liées aux présentations, aux défilés. D’où le choix d’Alaïa de refuser de se plier à ce calendrier qui est peut-être une forme de force et de salut aussi, éviter les angoisses, les nuits blanches de veille de défilé. Ce monde est aussi une aristocratie, c’est-à-dire que ces gens appartiennent à une élite de mode qui se croit protégée, qui pense qu’elle a une impunité et qui peut prendre certaines drogues. On pense à la cocaïne d’abord, qui est celle qui permet de tenir si on doit faire dix nuits blanches pour finir une collection et donc il y a une espèce d’ivresse, de force, d’invulnérabilité qu’apporte cette drogue. Certains en ont pris, ils l’ont payé assez cher quand il n’avait pas la constitution. Une précision : à l’époque, il y a trente ans, il n’y avait que deux collections par an, on ne défilait que deux fois par an, Printemps-Été et Automne-Hiver. Depuis on a ajouté les collections capsules, les collections croisières, les éditions limitées, et au final ces gens-là, on pense bien sûr à John Galliano, se retrouve à faire 4, 6, 8, 12 collections. C’est autant de pression, autant de délais et autant d’urgences permanentes. 

Fashion! Le documentaire culte

D:Comment expliquez-vous le succès de ce que vous avez appelé l’Antifashion ? 

ON: C’est complètement historique, c’est pourquoi il était pertinent de le replacer dans le contexte des trente ans. On a commencé à parler de ces créateurs de prêt-à-porter dans les années 80, un prêt-à-porter joyeux, coloré, hollywoodien, qui sublimait les formes du corps des femmes dans un côté très premier degré. Montana et Mugler ont été des gens très nourri par de grands costumiers du cinéma hollywoodien, Adrian, Travis Banton. Ils avaient en tête Marlène Dietrich dans tel film, Marilyn Monroe dans tel autre, dans une conception très classique d’un corps féminin voluptueux, avec des hanches, des gros seins, une taille très serrée. Et vient L’Antifashion qui commence au Japon. Pour les Japonais, Yamamoto l’explique, cette idée de la féminité, c’est la prostituée dans toute sa vulgarité. 

D: Mais n’est-ce pas en rapport avec l’archétype féminin japonais ? 

 ON:Absolument. D’où l’intérêt de dire que c’est né au Japon. Ils voient ces images, ces styles de mode, ces silhouettes qui viennent de Paris et triomphent dans le monde entier, y compris au Japon. Ils disent : « Moi, mon idée de la femme, ce n’est pas ça. Pour moi, cette femme est une prostituée, c’est-à-dire qu’elle s’habille comme ça pour plaire aux hommes’ ». Yamamoto a contesté cette idée de la femme. Il n’était pas le seul puisque Rei Kawakubo l’a fait en allant tellement plus loin dans la conceptualisation qu’elle a donné à sa marque le nom Comme des garçons qui sous-entendait que les femmes pouvaient s’habiller comme des garçons c’est-à-dire en ne se soumettant pas aux désirs des hommes et en se présentant comme des personnes à part entière qui ont une personnalité propre qui ne consiste pas uniquement à se fondre dans le moule de la petite poupée avec des gros seins et une taille serrée. Ça va assez loin puisque ça part d’une critique d’une image stéréotypée de la femme pour offrir une contreproposition. Rei Kawakubo est allée jusqu’à créer des vêtements qui déformaient le corps, qui ajoutaient des excroissances sur le corps. On n’est plus alors dans le premier degré qui simplement sublimait une féminité (ce que je ne critique pas). C’est un contrepoint qui part de l’excès inverse. Cela n’exclut pas la sensualité. Pour Yamamoto, la sensualité réside plus dans les choses cachées. C’est l’espace entre le corps et le vêtement, lorsqu’on peut imaginer le corps et la peau sous le vêtement sans qu’il soit offert par le vêtement. C’est quelque chose de plus raffiné, de plus cérébral, une note plus compliquée. C’est vrai que Yamamoto n’a jamais autant vendu que les gens de ces années 80. Mais il a vendu beaucoup compte tenu de la difficulté de leur mode. Ça a plu à un certain public mais ça n’a pas plu à tout le monde. 

D: Raf Simons chez Dior, n’est-ce pas la négation de son idéologie ?  Sans langue de bois hein..rires

 ON: Je vais répondre absolument sans langue de bois. D’abord il faut savoir que j’ai fait l’entretien avec Raf Simons alors qu’il était encore chez Jil Sander, Jil Sander ayant été racheté par Prada. Ce qui m’a permis de lui poser la question de ce que cela voulait dire pour quelqu’un qui avait commencé en indépendant de se retrouver dans un groupe de luxe. Il m’a répondu  ce qu’on a monté dans le film : « lorsque vous êtes marié à Prada  vous devez faire des stilettos, et quand vous êtes marié à LVMH vous devez faire des sacs. » Et l’ironie de la vie, en effet, c’est  que quelques mois après cet entretien, il a rejoint LVMH puisqu’il a remplacé Galliano chez Dior. Je pense qu’il ne faut pas seulement voir la question sous l’angle « qu’est-ce que ça abîmerait  qu’on ait Raf Simons chez Dior », on peut aussi se poser la question « qu’est ce que ça peut apporter à Dior que quelqu’un qui a la vision de mode de Raf Simons y soit ? » 

D: Et quelle vision pour Dior post  Galliano ?

ON:  Galliano, au moment où je monte le troisième épisode, tout le monde lui tirait à boulets rouges dessus suite à ce qu’il avait dit. J’ai tenu absolument à remontrer le talent de Galliano et la beauté de ce qu’il avait fait, y compris avant d’être chez Dior puisque les premières collections qu’on montre, c’est vraiment des choses qui sont faites sans la structure d’un groupe de luxe derrière. On voit le talent évident, stupéfiant du bonhomme. Quand il arrive chez Dior, certes il fait une mode très baroque (moi je trouve ça très beau, les défilés à l’Opéra Garnier par exemple, je trouve qu’on en prend plein les yeux) mais tout se démode. Peut-être que 2012, avec la crise, n’est pas le moment d’une mode baroque qui t’en fout plein les yeux, qui est une forme de bling bling finalement. Autant les défilés Galliano étaient sublimes dans les années 90 et au début des années 2000, autant aujourd’hui ce n’est peut-être pas ça dont on a envie. Je trouve ça juste par rapport à l’air du temps puisque toute mon idée dans ce projet c’est de dire que la mode n’est pas coupée de l’air du temps, qu’au contraire, il  y’a un dialogue permanent entre l’air du temps et la mode. Et que ça parait hyper intéressant de voir qu’une marque comme Dior, aussi luxe soit sa maison, ils aient envie de minimalisme avec le choix d’un raffinement. Et c’est super intéressant ça. Là au moins on comprend qu’on évolue, qu’on change d’époque. 

D: « L’arte povera » de Martin Margiela, n’est-ce pas finalement ce dont on se souviendra de cette période ? 

 ON: C’est ce qu’on disait sur l’ère du temps : est-ce que l’air du temps précède ou est-ce que c’est la mode qui précède ? En tout cas, il y a une coïncidence des deux. Ce qui est sûr, c’est que le début de Martin Margiela correspond à un phénomène qui se passe dans l’art à ce moment là. Et lui, -est-ce délibéré ou est-ce intuitif ? il en a trouvé le sens et l’équivalent pour la mode. 

D: Question vérité : où est Martin Margiela ? (Rires)

ON: J’ai des petites idées puisque j’ai rencontré beaucoup de gens qui le connaissent et qui le fréquentent encore pour certains. Mais moi, et ce n’est pas de la langue de bois, je trouve ça tellement génial ce qu’a fait ce mec, le fait que le marketing de cette marque se fasse sur un anti marketing devenu plus marketing que le marketing. Personne n’enlève son étiquette Margiela alors que c’était fait pour. C’est intellectuellement super bluffant. Ce cas est imparable. Soit on est Karl Lagerfeld, l’icône médiatique totale, wahrolienne en puissance, soit on est le contraire absolu qu’est Martin Margiela. Les deux sont intéressant mais Margiela, c’est hyper spectaculaire. Autant Karl Lagerfeld avec Andy Warhol et tout ça, la question de la célébrité, on avait eu le temps de se la poser. Mais le contrepied de Margiela, pour moi, ça dépasse le cadre de la mode. En cela, c’est presqu’ une expérience artistique en effet. Je trouve que c’est super fort. En même temps moi je dis ça mais je joue sur tous les tableaux puisque je montre son visage alors qu’il l’a soigneusement caché pendant toutes ces années. On le voit car il était alors assistant de Jean-Paul Gaultier, qu’il a été filmé à ce moment-là et que du coup je peux montrer son visage. Bon  Il y a prescription puisqu’il s’agit de son visage d’il y a trente ans et il a sans doute du perdre un peu de cheveux…rires..

D: Quelle est la différence entre mode et luxe ?

 ON: Pour moi, la différence est énorme. Tout ce qui est mode n’est pas luxe et tout ce qui est luxe n’est pas mode. Et dans le cadre du projet, on observe une sorte de mutation où un cas va remplacer l’autre. Avec la prédominance des groupes PPR et LVMH. Eux, ce qui les intéresse, c’est de médiatiser le luxe, de vendre le luxe. Ça en dit long qu’on ne parle plus de mode. Je ne suis pas en train de critiquer le luxe. La mode telle que je la présente, il y a une vision créatrice de ces personnages là: c’est justement de la création, de l’inventivité, une vision, du talent, un geste, qu’on trouve artistique ou pas, mais en tout cas c’est un geste. Il y a un questionnement de la beauté, comment habiller la femme, quel message on véhicule… Plus féminine dans le premier épisode, plus froide et cérébrale pour le deuxième. Et ce qui est un peu raide pour les gens de mode dans le troisième, c’est qu’à un moment donné, on ne se pose même plus la question en terme de mode, on oublie, on abandonne presque le terme de mode, et on parle de luxe. 

D: Qu’ont apporté les grands groupes tels que  PPR/LVMH au secteur du luxe ?

ON:  En termes de groupe PPR/ LVMH, de quoi parle-t-on ? D’entreprise ou de créativité de mode ? Si on parle d’entreprise, c’est bien évident que le fait que ces maisons soient rachetées par ces groupes donnent une pérennité à ces maisons. Après, ce ne sont pas des anges…Si Pinault revend la FNAC, c’est que ce n’est pas assez rentable pour lui. Et à l’inverse, quand il prend Heidi Slimane chez Saint Laurent, ce n’est pas uniquement pour ces beaux yeux, c’est avec la demande expresse de gagner un milliard en dix ans. Il y a des objectifs. Ceux qui s’étonnent qu’Heidi Slimane trouve qu’il ait fait une collection trop commerciale….S’il veut vendre autant que cela, il a intérêt à faire des trucs que les femmes ont envie d’acheter et de ne pas faire une proposition trop radicale. En terme d’entreprise, d’export du made in France, c’est plutôt une bonne chose. Tant mieux qu’on ait des maisons en France de luxe, on ne va pas s’en plaindre. Après, si je devais, moi, dans ma vie, avoir été créateur de mode, c’est vrai que j’aurai préféré être Jean-Paul Gaultier qui monte sa maison au début des années 80 que Heidi Slimane ou Raf Simons qui bossent aujourd’hui pour un groupe de luxe. 

D: Qu’a apporté à la Mode la figure du Directeur Artistique ?

ON: Le Directeur Artistique est aussi le fruit d’une mutation. C’est qu’on appelle le Directeur Artistique, c’est le créateur comme il est définit dans les années 80, c’est-à-dire avec une vision de créateur de mode et seulement de mode, et un créateur qui ne se concentre pas seulement sur les vêtements qu’il fait mais aussi sur le choix des mannequins, sur le décor des défilés, sur le décor des boutiques, sur le choix de la publicité. C’est quelqu’un qui donne son avis, intervient et contrôle tout ce qui vient de la maison, à 360°. Nicolas Ghesquière en est le porte-parole au troisième épisode, un créateur qui a une grande sensibilité. S’il avait été un créateur dans les années 80 comme Gaultier et les autres, il n’aurait été qu’un créateur de mode. Comme il est né plus tard et qu’il est en pleine bourre maintenant, il a ce discours calme et très intelligent sur la question d’être directeur artistique, sans en avoir honte. Il y a trente ans, cela aurait été vulgaire ou hors-sujet si on s’occupait de la publicité ou de ce genre de choses alors que lui le revendique

D: Et La figure wahrolienne de Karl  Lagerfeld ?

 ON: Ce que l’histoire retiendra de Lagerfeld n’est pas tant l’invention d’une silhouette que le côté marionnette médiatique, un terme qu’il revendique. C’est un trublion wahrolien qui est dans toutes les télévisions capable de parler de tout, de vendre tout. Karl Lagerfeld est associé à un nombre d’objets fous. Cela aussi est comme de l’art contemporain. C’est une façon de tendre un miroir sur le monde dans lequel on vit, sur l’argent, sur le marketing, sur la célébrité. Il a su se transformer en logo. Il a maigri, avec son grand col, son catogan, ses lunettes, ses gants, etc. Il a créé son propre logo. Il est évident que dans trois siècles, il incarnera notre époque. En bien ou en mal.  Karl Lagarfeld est très excitant à fréquenter, il est très vif, très drôle. Je trouverais absurde de vouloir simplement le caricaturer;  c’est un des grands plaisirs de ce documentaire d’avoir pu rencontrer tous ces gens et lui en particulier. Ce n’est plus la question de savoir si on aime telle ou telle robe. On est face à quelqu’un qui va incarner l’époque durablement.

Karl est comme une antenne de télévision, il capte les choses. On dit toujours qu’il y a le style et la mode. Yves Saint-Laurent par exemple était pour le style et contre la mode. Le style reste. Une femme qui va trouver son style, le déploiera tout au long de sa vie sans devoir changer de collections en collections. Karl Lagerfeld dit exactement le contraire. Il adore que la mode change, de faire page nette toutes les saisons, de jeter ce qu’il a adoré, de recommencer à zéro, de s’enthousiasmer pour de nouvelles choses. Il est vrai que la formulation de Saint-Laurent est très séduisante. Elle est parlante. On voit très bien l’idée d’un sillon qu’on creuserait. Et le côté mode qui change tout le temps, ça heurte la culture européenne qui est plus dans tradition et de fond. Mais aujourd’hui on a un rapport pop aux choses. C’est le plastique contre le bronze. Dans les années 60 est apparue cette nouvelle matière qu’est le plastique qui n’est pas un matériau durable. Notre époque se confronte à tout cela, l’obsolescence est programmée. Qu’est-ce qu’on veut ? Des gens souhaitent au contraire que ce conflit amènera à vouloir du durable, à investir dans de l’éternel où là on retrouvera la question du luxe avec des marques comme Hermès par exemple. Et à l’inverse, d’autres sont très à l’aise avec ce côté pop et qui sont capables  d’imaginer voir quelque chose pendant six mois puis de le jeter puisqu’autre chose apparaît. Karl Lagerfeld incarne cela. C’est paradoxale car il est dans la maison Chanel, l’une des plus anciennes. C’est ce qui est fascinant chez lui : il est en perpétuelle remise en question, c’est un MUTANT!

D: Un peu de prospective. Quelle est la prochaine ère pour la mode ? 

 ON:Sans me prendre pour un voyant, on peut détecter des tendances qui commencent déjà. L’exemple d’Olivier Theyskens avec Theory est une piste. Si on reste dans les gens qui sont en train de grandir en ce moment on trouve aussi Haider Ackermann qui lui fait un travail de fond. Il a créé sa maison, indépendante. Il insiste beaucoup sur le temps, le fait de faire les choses calmement, petit à petit. Il n’est pas du genre à ruer dans les brancards pour devenir directeur artistique dans une maison. Cela ne veut pas dire qu’il n’ira jamais chez Chanel ou Dior quand la place sera libre. Mais en attendant, il se développe, il agrandit le cercle de ceux qui apprécient sa mode. Il y a plein de sagesse dans sa façon de procéder. 

Il y a eu une période de chaises musicales où les maisons changeaient de directeur artistique à chaque saison. Le système devenait fou et c’est bien triste pour ceux qui ont payé les pots cassés de cette époque car il y en a eu. Je trouve ça très intelligent de la part de Haider Ackermann de rester dans son coin. Certes il n’est pas la plus grosse maison du paysage mais il creuse et développe son chemin. 

Et lorsqu’on est comme cela très sur de son goût, on finit par trouver son public. Il y a quelque chose de troublant. Dans les années 80, les créateurs fondaient des maisons qui portaient leur propre nom. Et les jeunes grands créateurs d’aujourd’hui sont sous le nom d’une maison préexistante qui elle-même appartient à un groupe de luxe. La mutation est très spectaculaire et interroge. On aimerait que des jeunes talents s’expriment sous leur nom et fassent grandir des maisons sous leur nom.  Même si on dit que le luxe échappe à la crise, et dans un premier temps c’est vrai, il y a quand même une modification, quelque chose qui bouge. Ce que j’ai observé sur les cinq dernières années, c’est une idée de saturation et l’idée que quelque chose de nouveau allait renaître de ça. Les gens se disent toujours, lorsqu’ils voient la trilogie d’un coup, que ça finit mal, que c’est triste, que c’est mort. Alors que je ne dis pas ça du tout. Je fais exprès à la fin du trois, de placer un sonore de Jean-Jacques Picart qui explique qu’une nouvelle vague va arriver. Je reste très optimiste. Quelque chose viendra, de je ne sais où, peut-être des nouvelles formules économiques. Du côté du luxe, on ne peut pas s’empêcher de penser qu’il existe une forme de sclérose et un manque de souplesse. 

La saturation s’est fait sentir avec le pétage de plomb de Galliano, le suicide d’Alexandre McQueen. C’est là la fin du troisième épisode. Je reste persuadé qu’il reste de la créativité, de l’envie. Cela viendra peut-être d’un petit coin qu’on ne soupçonne pas. Je ne vous fais pas le coup de la Chine, Karl s’en charge lui-même. Et il n’a pas forcément tort, c’est peut-être de là que ça viendra.  Je reçois beaucoup de lettres de jeunes étudiants en école de mode qui ont vu le dvd sorti en octobre et qui me dise qu’avoir vu ce film les encourage énormément. Il y a aura des choses. J’espère qu’on ne leur coupera pas les ailes et qu’ils pourront s’exprimer. Pour être plus complet, l’exemple que j’adore en ce moment, c’est Olivier Theyskens chez Theroy! Olivier Theyskens, c’est un parcours très particulier, il a été dans des maisons de luxe et de haute-couture. Il a été chez Rochas, Nina Ricci, où il a vraiment joué le jeu d’une haute-couture d’exception, presqu’à l’ancienne dans le style. Et aujourd’hui, il est chez Theory, -il n’y a pas encore de magasins en France mais ça arrive-, où il met son grand talent au service de petits prix et je trouve ça très intéressant. C’est aussi ça l’hybridation des années d’aujourd’hui. C’est comme si Karl Lagerfeld, au lieu d’avoir réveillé Chanel, avait débarqué chez Zara ou H&M. C’est un grand talent mode qui va directement dans une maison qui fait des prix accessibles.

Le dernier épisode de Fashion à ne surtout pas manquer c’est ce samedi 27 octobre à 22:30 sur Arte en attendant, vous avez encore 24h pour profiter de la part 1 et part 2.

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