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Le Ballon d'or et la tentation du racisme

Publié le 31 octobre 2012 par Africahit

Depuis le couronnement de George Weah en 1995, le Ballon d’or boude les footballeurs africains. Un désamour qui ne devrait pas cesser de sitôt.


Le Ballon d'or et la tentation du racisme

Le 29 octobre 2012, la FIFA a publié la liste des 23 joueurs nominés pour l’attribution du Ballon d’or 2012, prestigieux prix individuel dans le monde du football.

Un panel qui comprend deux joueurs issus d’Afrique et du même pays, la Côte d’Ivoire.

Yaya Touré, le milieu de terrain de Manchester City et son compatriote Didier Drogba, passé cet été de Chelsea au club chinois du Shangai Shenhua, seront les seuls représentants du continent africain.

Mais personne n’est dupe: le titre se jouera, une fois de plus, entre Lionel Messi et Cristiano Ronaldo.

Pour voir un Ballon d’or aux mains d’un Africain, il faut revenir quelques années en arrière. Ou bien s’armer de patience. De beaucoup de patience.

George Weah, pionnier solitaire

De 1956 à 1994, seuls les joueurs européens et jouant en Europe pouvaient espérer recevoir le Ballon d’or. Une sélectivité qui explique pourquoi des orfèvres du foot comme les Brésiliens Pelé et Romario ou l’Argentin Diego Maradona ne comptent pas ce trophée dans leurs vitrines bien remplies.

Ce n’est qu’en 1995 que le magazine France Football, créateur et organisateur du prix (jusqu’en 2010, année où il passa les commandes à la FIFA), modifie sa formule et déclare éligibles les joueurs non européens mais évoluant au sein de clubs du Vieux Continent*.

Et en cette année 1995, c’est un homme venu d’Afrique qui décroche la récompense suprême:George Weah. «Mister George», comme on le surnomme.

Le puissant attaquant du Liberia est plébiscité devant l’Allemand Jürgen Klinsmann et le Finlandais Jari Litmanen. Une récompense logique tant le natif de la capitale Monrovia rayonne sur la scène européenne à l’époque.

Après avoir fait le bonheur du PSG, Weah rejoint l’Italie et le prestigieux AC Milan durant l’été 1995. Dans la région italienne de la Lombardie, il confirme qu’il est l’un des plus remarquables buteurs de la fin du XXe siècle.

Premier non européen Ballon d’or, il est aussi l’un des premiers joueurs —attaquant qui plus est— issus d’Afrique à s’imposer au plus haut niveau. Les meilleurs avants-centres africains des années 2000 n’hésitent d’ailleurs pas à présenter les succès de «Mister George» comme facteurs de leur propre réussite.

Pourtant, depuis le sacre du Libérien, aucun joueur africain n’a plus soulevé le Ballon d’or. Les seize lauréats suivants sont équitablement partagés entre l’Europe et l’Amérique du Sud. Plus surprenant: pas un seul représentant d’Afrique n’a pu ne serait-ce que se classer dans le trio de tête.

Eto'o et Drogba, géants oubliés

Héritiers de George Weah, Samuel Eto’o et Didier Drogba ont tous deux rêvé d’inscrire leurs noms au palmarès du Ballon d’or ou, au moins, de se classer parmi les trois premiers. Mais pour les deux chasseurs de buts, cela ne se concrétisera jamais.

Pour la première fois depuis 2002, Eto’o ne figure pas parmi les nominés. Son exil doré en Russie à l’Anzhi Makhachkala, loin des projecteurs du gratin européen, explique sans doute son absence.

Drogba, lui, ne se fait guère d’illusions face à Messi et compagnie. L’Ivoirien connaît probablement là sa dernière nomination, car il y a peu de chances que ses prestations en Chine retiennent désormais l’attention.

Eto’o et Drogba: plus de 600 buts en pro à eux deux et d’innombrables titres. Des stars dont l’influence dépasse le cadre du sport. Plus que des footballeurs, des symboles du ballon rond africain des années 2000. Et pourtant, deux oubliés du Ballon d’or.

Seulement nés à la mauvaise époque, ou mal aimés?

S’ils ont eu des trajectoires différentes, Didier Drogba et Samuel Eto’o ont accédé au top niveau en même temps. Révélé à Guingamp et à Marseille, le premier devient l’arme fatale de Chelsea durant l’été 2004. Dans le même temps, le Lion indomptable rallie, lui, le FC Barcelone, après cinq années à ronger son frein à Majorque.

Le palmarès du Ballon d’or, de 2005 à aujourd’hui, n’a rien de scandaleux. Tous les lauréats —Ronaldinho, Fabio Cannavaro, Kaka, Cristiano Ronaldo et Lionel Messi trois fois— ont mérité leur titre. L’hégémonie du tandem Messi/Ronaldo depuis 2008, par exemple, se passe de commentaires tant ils évoluent à un niveau stratosphérique.

Didier Drogba et Samuel Eto’o ont eu la malchance d’être confrontés, chaque année depuis 2005, à des joueurs hors normes. Comme d’autres avant eux (Thierry Henry, Paolo Maldini, Oliver Kahn…), ils ont été «victimes» d’une époque trop riche pour leur offrir le Graal individuel.

En revanche, l’Ivoirien et le Camerounais semblent avoir souffert d’un certain manque de considération.

En 2005, par exemple: alors que son coéquipier Ronaldinho est récompensé, Samuel Eto’o ne termine que 10e du classement du Ballon d’or. Il sort pourtant d’une grosse saison avec le Barça. De quoi heurter sa fierté:

«Je ne suis pas parmi les trois premiers. Pourtant, j’ai autant de mérite sinon plus que certains. Depuis que je suis au Barça, qui a fait mieux que moi?», s’insurge-t-il alors.

En 2009, le Camerounais se classe 5e. Si le Ballon d’or revient naturellement à Messi, le fait que Xavi (3e, 170 points) et Iniesta (4e, 149 points) devancent largement Eto’o (75 points) interpelle; pourquoi cet ordre et un tel écart, alors que ces trois hommes ont eu autant d’importance les uns que les autres dans la marche de Barcelone ?

Quant à Didier Drogba, il ne devrait pas, sauf grosse surprise, monter sur le podium du Ballon d’or 2012.

Les pronostics tablent à nouveau sur un tiercé composé de Messi, Ronaldo et d’un joueur espagnol (Andrès Iniesta, Xavi ou Iker Casillas). L’Eléphant, au prix de matchs héroïques, a pourtant mené Chelsea jusqu’à la victoire finale en Ligue des champions cette année ! C’est à se demander ce qu’il faut faire pour séduire le jury**.

Peut-être a-t-il manqué à ces deux joueurs la réussite en Coupe du monde, même si ce n’est pas un facteur essentiel. Certains observateurs considèrent que les mérites d’Eto’o et Drogba auraient été plus reconnus s’ils avaient été européens ou sud-américains.

En attendant, alors que Drogba (34 ans) et Eto’o (31 ans) se dirigent doucement vers la fin de leur carrière, l’Afrique attend de voir leurs héritiers se révéler à leur tour. Et peut-être dénicher parmi eux le nouveau Weah.

Nicolas Bamba

* Depuis 2007, tous les joueurs du monde sont éligibles, qu’importe leur nationalité ou celle de leur club.

** Le jury était composé de journalistes jusqu’en 2009. Depuis, il se compose ainsi : les 208 sélectionneurs des pays affiliés à la FIFA, les capitaines de ces 208 pays, et 208 journalistes issus de ces pays.



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