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La crise comme système politique

Publié le 01 novembre 2012 par Vogelsong @Vogelsong

« La folie, c’est se comporter de la même manière et s’attendre à un résultat différent. » A. Enstein

« Situation difficile ou préoccupante », c’est ainsi que se définit une crise. Sur le temps long. Sur une période plus courte, il s’agit d’acmé de brève durée avec comme dénouement un retour à la normale. C’est cette normalité qui pose question dans le débat économique et social. Car on peut se demander ce qu’est une situation de non crise ? Le retour d’une certaine prospérité, le chômage zéro, une croissance à plus de 5%, tout à la fois ? Quel état de la société impliquerait que ce terme « crise » ne soit plus le maître mot des commentateurs et politiciens. Quel que soit le bord politique, c’est une incontinence, un ressassement. De V. Pecresse : « nous avons dû lutter contre une formidable tempête qui s’appelait la crise » à A. Filippetti qui évoque la crise pour justifier de menues coupes dans les budgets culturels (France Inter le 29 octobre 2012) ou J. M. Ayrault qui prévoit, lui, une issue imminente avec « La sortie de la crise, elle est là » le 25 octobre 2012.

La crise comme système politique

Christopher Dombres

On peut se projeter 30 ans en arrière, ce sont les mêmes couplets que l’on entend. Depuis le mémorable « Vive la crise » de L. Joffrin et Y. Montand (1984). Le tournant libéral de la gauche s’est réalisé sous l’égide de la crise. Entendre un changement de paradigme dans l’économie politique menée par l’Etat. Les entrepreneurs vont devenir la préoccupation principale des politiciens et du monde médiatique, la concurrence le seul horizon possible, la compétitivité une fin en soi. Subsistera une résistance molle aux attaques sur ce qui fait le socle de la gauche, les services publics de santé et d’éducation. Mais dès lors, toute décision politique sera prise sous l’empire de cette situation de mise en tension. La crise.

Trois décennies plus tard le schéma politique reste sensiblement le même. Depuis 2008 la situation est jugée exceptionnelle, quasiment apocalyptique. Etrangement, on peut se demander si la période 1985-2010 ne fut pas pour les humbles, un âge d’or. Tant cette crise là surpasse les autres. En réalité, les acteurs du débat public, en petits poissons rouges, feignent de perdre la mémoire. Ils oublient qu’ils utilisaient peu ou prou les mêmes arguties. Qu’A. Minc admonestait déjà les lascifs, que J. M. Colombani déplorait la dette, que M. Godet s’excitait déjà frénétiquement sur les miracles du secteur privé. C’est le même tonneau. Un oeil aujourd’hui sur un édito de C. Barbier peut convaincre que rien n’a changé. La génération du chômage de masse endémique c’est celle des années 80. Celle aussi qui a gouté aux joies de la précarité et de la paupérisation. En 2012, c’est strictement pareil.

Dans un billet de blog, Louis Calvero énumère les crises successives du 20e siècle. Pour lui aucun des soubresauts économiques du siècle n’a apporté de changement. On peut voir les choses autrement. Car ce qui se joue aujourd’hui, et depuis plus de trente ans c’est l’instauration d’un régime économique de crise. Une imbrication de crises dans la crise. Cette « inception » permet de jouer sur deux niveaux de pression sociale. La première longue et lente, instaure l’incertitude dans les consciences. La seconde, erratique porte le citoyen de Charybde en Scylla. Un cauchemar social. En somme la mise en tension économique comme système pérenne de la société. Avec assez de peur pour obtenir un assentiment même rétif. C’est l’attitude actuelle du gouvernement de gauche qui justifie un total immobilisme dans l’ordre du monde grâce à la crise. Mais aussi avec assez d’espoir pour ne pas plonger la société dans un tunnel sans fin, et en ce sens les déclarations comme celle de J. M. Ayrault sont révélatrices (« La sortie de la crise, elle est là »).

Périodes propices au charlatanisme, les thatcheriens sont de retour, de J. M. Aphatie à N. Beytout qui promettent un univers radieux, de fin de crise(s) avec les mêmes expédients qui ont conduit à la situation actuelle. Avec le même motif anxiété/confiance que le gestionnaire de l’immobilisme de gauche. La folie en sus. C’est-à-dire que ce qui ne fonctionne pas depuis trente ans devrait être amplifié : dérégulation financière, libéralisation du marché du travail, excitation permanente autour de l’olympe symbolique des winners (les capitaines d’industrie, traders et autres pigeons), récurage des biens communs (services publics)… et la liste n’est pas exhaustive.

Peut-être qu’au bout du compte, il n’y a pas de crise. Que celle de 2008, que tout le monde s’accorde à qualifier de phénoménale n’est que l’aboutissement logique d’un système de tensions économiques qui règne depuis trois décennies. Une étape plus pentue dans le lent glissement qui exerce une pression constante sur les dominés. La preuve la plus flagrante de cet accommodement se situe probablement dans l’urgence à ne surtout rien faire. A psalmodier les mêmes mantras sur la dette publique, les assistés, le chômage, la sécurité sociale, aux mots près décennies après décennies. Sans se rendre compte que ce qui n’a pas eu d’effets en 1987 n’en n’aura pas en 2013. A mois qu’on le sache et que l’on fasse juste « comme si ».


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