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Richard Millet mérite-t-il d’être cloué au pilori?

Publié le 01 novembre 2012 par Frontere

(J. Sassier/Gallimard)(photo J. Sassier)

La parution il y a quelques semaines de l'essai Langue fantôme suivi de Éloge littéraire d'Anders Breivik¹ a suscité une polémique d'ampleur nationale telle que notre pays, cette "patrie littéraire" selon l'expression de Mona Ozouf, en garde encore parfois le secret : le 29 août Pierre Assouline publie un billet sur son blog La république des livres, le 7 septembre 2012, Bruno Chaouat, professeur associé à l'université du Minnesota, signe une tribune dans « Le Monde » : L'Amérique, véritable ennemi de Richard Millet Annie Ernaux renchérit, toujours dans « Le Monde » : Le pamphlet [fasciste, le vocable a disparu dans l'édition papier] de Richard Millet déshonore la littérature (édition du 11 septembre 2012), s'en suit s'ensuit une liste d'une centaine d'auteurs qui déclarent partager son avis ; le 14 septembre « Le Monde » titre : La polémique s'amplifie autour de Richard Millet, etc.

Son auteur en est immédiatement voué aux gémonies², cloué au pilori. Je dois avouer qu'avant de lire ce livre incandescent qui confine parfois au brûlot, je ne connaissais pas Richard Millet et je n'avais rien lu de lui, ce qui me permettait du reste d'aborder cette œuvre avec un regard dénué d'a priori.

Je dirai d'abord que s'il existe un fil conducteur idéologique entre le premier texte Langue fantôme et le deuxième Éloge littéraire d'Anders Breivik - et sauf à considérer qu'il s'agissait en l'espèce, tant pour l'auteur que pour l'éditeur, de rechercher le vieux poncif du scandale (ce qu'en réalité et en conscience je crois) - il était pour le moins maladroit d'associer à une défense de la langue française "l'éloge" d'un criminel qui a assassiné soixante-dix-sept jeunes norvégiens pour le motif qu'ils étaient sociaux-démocrates, plus précisément membres du parti travailliste de ce pays, donc complices du multiculturalisme qui sévit, ou qui sévirait (c'est selon), en Norvège.

Mais, présenter ces faits comme un geste littéraire (même si Millet conteste ce point), c'est-à-dire privilégier en quelque sorte une esthétique, a fortiori d'essence criminelle, avant leur condamnation formelle (peut-on se contenter de la seule mention "je n'approuve pas les actes commis par Breivik") et sans aucune considération pour les victimes³, relève pour le moins de l'exercice pernicieux et pervers d'un esprit sinon dérangé du moins obscur.

Cela dit pouvait-on écarter du revers de la main les arguments défendus par Richard Millet sous prétexte qu'ils seraient contaminés par une idéologie d'extrême droite? N'aurait-on pas pu lui opposer des arguments contraires ou essayer d'exercer en l'espèce ce qu'un homme politique avait qualifié naguère de "droit d'inventaire"? Séparer le bon grain de l'ivraie si vous préférez. Encore faut-il, de bonne foi, être capable de trouver le bon grain dans la gerbe de blé, si tant est qu'il y ait du bon grain, à défaut procurez-vous du... Millet.

Á suivre...

M. Fr.

Notes

¹ Richard Millet, Langue fantôme suivi de Éloge littéraire d'Anders Breivik, éditions « Pierre-Guillaume de Roux », Paris, 2012, 16 €
² Á Rome, "escalier des gémissements", où l'on exposait les corps des condamnés. Au sens figuré, opprobre public (la polémique a contraint Richard Millet à la démission du comité de lecture de « Gallimard »)
³ Même si Richard Millet a regretté le 14 octobre dans l'émission de la chaîne « LCP » Bibliothèque Médicis, présentée par Jean-Pierre Elkabbach, de ne pas avoir eu de mots pour les victimes


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