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Honteux ! Yves de Kerdrel (Le Figaro) zappe les pauvres

Publié le 18 novembre 2012 par Kamizole

Je n’ai pu lire sa chronique, L'odieuse escroquerie du taux de pauvreté (12 nov. 2012) à part les premières lignes car le texte en entier est réservé aux abonnés… du diable si je paye le moindre maravédis pour lire cette prose ! « Ce n'est pas parce qu'on le répète sans cesse, qu'un mensonge devient une vérité! Il y a quelques jours, le Secours catholique, qui est une institution respec-table et utile, a communiqué sur la pauvreté en France… ». Au demeurant, je pense connaître les arguments sur lesquels il fonde sa critique. J’avais le souvenir de les avoir lus en août 2011 lors de la diffusion des statistiques de l’Insee déjà relatives au taux de pauvreté. Il ne me restait plus qu’à les rechercher dans les articles enregistrés à l’époque. Bingo !

Deux articles de Laurence Valdès dans France-Soir Pauvreté en France : Les curieux chiffres de l’Insee (31 août 2012) se fondant sur les affirmations « d’un spécialiste selon lequel les statistiques sur la pauvreté en France sont tronquées : « le pays compterait deux fois moins de pauvres qu’on ne le dit » (30 août 2011).

Il s’agit en l’occurrence de la thèse défendue par Louis Maurin, fondateur de l’Observatoire des inégalités, (Wikipedia) association crée en 2003, indépendante des partis politiques et des syndicats et à laquelle l’on ne saurait faire le reproche d’être réactionnaire : Louis Maurin fut journaliste à « Alternatives économiques » et son comité scientifique réunit outre Louis Maurin, notamment le philosophe Patrick Savidan, Denis Clerc (directeur d’Alternatives économiques) la sociologue Marie Durut-Bellat, Dominique Méda et Monique Pinçon-Charlot, ces deux dernières étant connues, outre leur travaux universitaires, pour être de gauche.

Néanmoins, je pense que Louis Maurin se trompe, de même Jean-Louis L’héritier (chef du département des prix à la consommation, des ressources et conditions de vie des ménages à l’Insee) selon lequel « la pauvreté serait un phénomène relatif car ce calcul tient compte de la composition du ménage, mais ne considère pas par exemple le fait que la personne soit propriétaire ou non. Ce seuil de pauvreté est établi avec un critère de revenu qui ne fait pas intervenir les conditions de vie. La pauvreté monétaire est un indicateur parmi d’autres » …

Louis Maurin ajoutant sa touche « Il ne faut cependant pas oublier qu’on ne vit pas de la même façon à Paris qu’à Tours. Concrètement, une famille avec deux enfants qui gagne 2.194 € par mois vit sous le seuil de pauvreté, selon les critères de l’Insee. En province, à Tours par exemple, on ne peut pourtant pas considérer qu’elle soit dans la pauvreté. On oublie de prendre en compte les critères géographiques. De la même façon, avec 900 €, un retraité qui a fini de rembourser son prêt immobilier et qui a le soutien de sa famille ou de ses amis vit correctement. Alors qu’un jeune, tout seul, sans aide, sera en grande difficulté ».

Cela fait longtemps que je ne suis pas allée à Tours ou Orléans mais qu’il me soit permis d’en douter. J’ai vécu longtemps à Orléans et s’il est vrai que la vie y était globalement moins chère - mais avec des salaires inférieurs à ceux de la Région parisienne - je fus surprise lors de plusieurs déplacements ou de séjours dans différentes régions depuis le début des années 2000 de constater que le notamment le prix des fruits et légumes et de la viande était exactement le même qu’ici dans les hyper, supermarchés, voire superettes (encore plus chères d’ailleurs) même à Ardentes, petit bourg de l’Indre !

C’est de surcroît oublier que dans de nombreuses métropoles régionales et même dans des villes de taille moyenne les loyers ou le prix de l’immobilier ont littéralement explosé depuis plusieurs années comme en témoignent de nombreuses études sur le sujet. En n’ayant garde d’oublier que que beaucoup de propriétaires ont investi sans réfléchir dans des logements bénéficiant des exonérations fiscales de la « loi Scellier » appâtés par les promesses des promoteurs qui ont souvent construit des immeubles sans tenir compte localement de la demande réelle des ménages, des infrastructures existantes ou à créer - crèches, écoles, transports urbains (lesquels conditionnent l’accès à l’emploi) non plus que des revenus des personnes susceptibles d’être intéressées. Bref, un grand nombre de ces logements, à l’écart de toutes facilités, sont restés vides…

Quant aux retraités propriétaires et leur logement et qui ont remboursé leur prêt immobilier et vivraient correctement avec 900 €, je suis bien placée pour savoir que c’est pur lait d’beu puisque c’est précisément mon cas. Avec exactement le même revenu, je suis obligée de m’endetter lourdement - je rembourse 150 € par mois - pour faire face aux travaux de copropriétés qui nous tombent dessus aussi dru qu’à Gravelotte, ce qui réduit d’autant mon pouvoir d’achat pour le reste. Un certain nombre d’articles nous apprenant par ailleurs que bon nombre de propriétaires sont désormais dans l’incapacité de financer des travaux d’entretien qui seraient nécessaires pour le logement qu'il occupent.

En outre, il suffit d’ailleurs de lire la presse ou regarder les infos pour savoir que si la plupart des résidences - privées - implantées dans les quartiers difficiles sont tellement dégradées, l’unique raison tient au fait que les propriétaires des logements n’ont plus les moyens de les entretenir d’autant que nombre de locataires ne peuvent plus s’acquitter des loyers et moins encore des charges. La Seine-Saint-Denis et tout récemment Sarcelles (les habitants d’une résidence n’avaient plus de chauffage alors que le froid venait de faire son apparition) illustrent ces difficultés.

Messieurs, redescendez dans la vraie vie des vrais gens. Faut-il partager leurs galères pour connaître leurs difficultés, leurs souffrances et l’angoisse perpétuelle du lendemain ?

Sur le plan statistique, je crois que Louis Maurin se trompe tout aussi lourdement. Je suis allée rechercher l’article de l’Observatoire des inégalités où il expose sa thèse selon laquelle l’Insee aurait eu tort de s’appuyer sur les recommandations d’Eurostat - l’organisme européen de statistiques - et de fixer le seuil de pauvreté à 60 % de la médiane des salaires et qu’il aurait fallu rester à 50 % voire revenir à 40 % (ce qui fut le cas de 1996 à 2001. Je n’ai pas d’articles en archive sur le sujet (je n’ai Internet que depuis 2005) mais j’ai le parfait souvenir que la prise en compte du seuil de 60 % fut plusieurs années une revendication du secteur associatif oeuvrant dans le domaine de la pauvreté.

Article auquel faisait référence Laurence Valdès - et qui doit évidemment servir la thèse d’Yves de Kerdriel. Huit millions de pauvres, un chiffre exagéré (30 aoüt 2012) : « La France compte 8,2 millions de pauvres selon le seuil de pauvreté utilisé par l’Insee, une conception discutable du phénomène ». Il conteste donc l’utilisation du taux de 60 % par l’Insee :

« Ce saut de 50 à 60 % change tout. Le passage au seuil de pauvreté de 50 à 60 % du revenu médian (après impôts et prestations sociales) fait augmenter le seuil de 795 à 954 euros (pour une personne seule) et le nombre de personnes concernées de 4,4 à 8,2 millions ».

Certes, sur le plan purement mathématique, le seuil de pauvreté augmente incontestablement. Je me suis livrée à un petit calcul en prenant 1.000 pour référence. Peu important donc que ce fût en francs ou en euros. Le seuil de pauvreté serait à 400 avec 40 %, à 500 avec 50 % et 600 avec 60 %. Mais sur le plan social et même statistique, il me semble qu’au contraire plus le seuil de pauvreté est élevé plus le nombre de personnes vivant en dessous de ce seuil diminue.

Le salaire médian était de 1.610 € par mois en 2010 selon l’Insee. En fixant le seuil de pauvreté à 50 % de celui-ci l’on obtient 805 € par mois. Alors qu’il était fixé à 965 € en 2010. Ce qui veut dire qu’avec mes 900 € par mois je serais bien au-dessus et sans doute également nombre de personnes, notamment les retraités pauvres dans mon cas qui ne manquent guère. Mais en n'ayant pas plus d'argent pour vivre ! Puisqu’il prétend qu’avec ce changement d’indice le nombre de personne vivant en de ça du seuil de pauvreté serait passé de 4,4 à 8,2 millions, il me semble qu’au contraire leur nombre serait aujourd’hui bien supérieur à 4,4 millions si l'on revenait à 50 % : 805 € ... Casser le thermomètre pour faire tomber la fièvre n'a jamais guéri un malade fébrile.

Dieu sait pourtant que je suis loin d’être matheuse et qu’être obligée d’apprendre les statistiques - indispensables pour les cours d’économie et de démographie - fut loin d’être une partie de plaisir ! Mais je ne regrette pas mes efforts sans lesquels l’on me ferait gober tout et n’importe quoi.

La Maison Kamizole ne reculant jamais devant aucun sacrifice - sauf financier, faute de moyens - j’ai repris, enregistré et dépouillé tous les articles de l’Observatoire des inégalités produits sur le sujet de la pauvreté depuis 2007, qu’ils explorent - de façon statistique - sur toutes ses facettes. Je ne vous cacherais pas tout le bien qu’il faut en penser. Pour ne pas alourdir cet article, vous trouverez les liens correspondants à la fin.

Leur constat est sans appel : la pauvreté ne fait que croître en France et touche un nombre de plus en plus importants de personnes, les frappant dans plusieurs domaines. Cette recherche ne fait nullement double emploi avec les articles que j’avais explorés hier sur la presse généraliste et plus particulièrement régionale. Bien au contraire. Car ils surtout faisaient état du désarroi des responsables du Secours catholique, région par région sinon ville par ville face à la montée exponentielle de la pauvreté, qui touche même les campagnes.

Vous y ajoutez les témoignages des personnes au bord du désespoir qui la subissent et la lancinante question qui les taraude : aurais-je à manger ce soir ou demain. Qu’en dire sans être émue si c’est une mère de famille qui doit nourrir ses trois enfants qu’elle élève seule ? Sachant que les familles monoparentales sont celles qui souffrent le plus de la pauvreté. Ou de Viviane, retraitée de 73 ans : « Il y a 5 ans, je n’y arrivais déjà plus » citée par le Dauphiné Libéré. Comment oublier ce témoignage plus ancien (2009 ?) cité par Le Monde qui en avait fait le titre de son article « C’est dur de travailler quand on a faim »… Je sais qu’il est dans un dossier mais je m’épargne la peine d’y aller chercher. Comment ne pas en avoir le coeur serré ?

Le phénomène de la pauvreté de masse est loin d’être nouveau. Au début 2005 j’avais consacré un volumineux éditorial de la Gazette d’Amitiés sans frontières au développement de la pauvreté en France depuis 2002 - merci Chirac ! - ayant découpé depuis cette date une masse considérable d’articles piochés dans Le Monde, grand nombre de magazines, etc. Tellement j’étais sidérée de voir de mois en mois - notamment en lisant Politis et l’excellent mensuel « Le Monde initiatives » d’Alain Lebaube qui cessa de paraître faute de lecteurs en nombre suffisant - comment le gouvernement supprima (en même temps que beaucoup de prestations sociales) le plus grand nombre de subventions permettant à diverses associations d’aider les plus démunis. Un souvenir parmi d’autres : des mères de famille déplorant - déjà ! - de ne pouvoir acheter de fruits et de légumes.

J’ai repris cet article sur le blog Sale temps sur la Planète pauvre (6 déc. 2006). N’ayons garde d’oublier que depuis 2002 le calamiteux passage à l’euro nous avait tous fichus dans la merde quand bien même l’Insee n’aura jamais voulu prendre en compte la perte réelle de pouvoir d’achat… qui aurait relevé du « sentiment » ! Vous parlez qu’une fille d’Ecossaise ferait du sentiment, s’agissant de son fric ! J’avais calculé que nous avions perdu grosso modo 40 % de notre pouvoir d’achat en 6 mois. Non seulement parce que je possédais des données chiffrées mais également comme tout un chacun je le constatai : pour la même somme nous n’avions plus que la moitié d’un caddie sauf à dépenser le double pour remplir le même chariot.

Ceci dit, il est évident que la pauvreté n’est pas uniquement un phénomène monétaire et que sa perception par ceux qui y sont confrontés relève également de la psychologie. Ce qui ne veut nullement dire que les pouvoirs publics n’aient pas à agir pour faire régresser la pauvreté réelle ! Uniquement. Je me méfie comme de la peste des pouvoirs lorsqu’ils se mêlent du bien-être moral qui n’appartient qu’à nous en dernière analyse. Sinon Big Brother n’est pas loin.

C’est pure évidence que nous n’attachons pas tous les mêmes valeurs aux choses matérielles. C’est vous dire si j’ai bien ri en lisant un article de l’Observatoire des inégalités reprenant les données d’un sondage sur la question C’est quoi, être pauvre ? (23 mars 2010) quant à savoir les privations qui semblaient « inacceptables » aux sondés.

Pour la majorité - de 90 à 86 % - les réponses tombent sous le coup de l’évidence : ne pas pouvoir payer des chaussures à leur taille ou des appareils dentaires à leurs enfants (ce même type de préoccupations étant partagés au demeurant par les pauvres vivant en Allemagne) ou se payer une prothèse auditive (curieusement, il n’est pas fait mention des prothèses dentaires) ; se priver régulièrement d’un repas plusieurs fois par semaine, être obligé de vivre dans un appartement sans eau chaude ou trop humide et ne pouvoir maintenir la température au dessus de 16 ° en hiver. De même, entre autres, être obligé de vivre chez ses parents après 30 ans. Préoccupation que l’on retrouve au demeurant chez la plus part d’entre eux dans de nombreux pays de l’Union européenne. C’est bien pire quand c’est la crise et le chômage qui les obligent à revenir vivre sous le toit parental.

En revanche, d’autres me semblent pour le moins non essentielles sinon franchement ridicules quand bien même seraient-elles minoritaires. Je vous passe les 49 % qui considèrent comme inacceptable de devoir faire tous les jours un trajet de 20 mn à pied pour atteindre le premier commerce. Je ne le fais pas tous les jours - c’est pour cela que je suis toujours chargée comme une mule avec ce que je trimballe dans mon sac à dos - mais pour monter au Franprix de Montmorency (la côte est vachement rude) c’est à peu près le temps qu’il me faut et environ 30 à 40 minute (selon que je flâne ou pas) pour les quelques 3 km qui me séparent d’Auchan à Soisy-sous-Montmorency (je reviens en bus) mais j’ai toujours aimé marcher et c’est un exercice que je fais avec plaisir en général tous les 15 jours. De surcroît bon pour ma santé.

Certes, ces courses étaient facilitées quand j’avais encore les moyens d’avoir une voiture mais franchement, je ne vais pas pleurer sur mon sort (50 % des sondés).Faire contre mauvaise fortune bon coeur et se démerder avec les moyens du bord. Epicurienne au sens philosophique du terme : se contenter de ce que la nature nous donne.

Quant à celles qui m’ont fait franchement rigoler (4 à 3 %) avouez qu’il y a des choses plus dramatiques : ne pas pouvoir se payer un lave-vaisselle (curieusement, je n’ai pas relevé le lave-linge qui est une préoccupation nettement plus essentielle, notamment pour les mères de famille) un magnétoscope ou un lecteur de DVD. Aujourd’hui, nul doute que l’on y trouverait une centrale à vapeur !

Pour 4 %, c’est ne pas pouvoir payer ses cigarettes… c’est bien pour cela que je les roule et je ne suis pas la seule. Quant à la même proportion se plaignant de ne pas pouvoir s'offrir un verre de vin ou de bière à chaque repas, j’ai beau aimer apprécier la bière et le vin, je n’en consomme pas tous les jours, il s’en faudrait de beaucoup et je serais nettement plus privée si je devais me passer de café, mon habituel carburant.

Mais fini de rigoler. J’en reviens aux divagations de Kerdriel

Il est un temps pour tout. Celui de l’extrême rigueur intellectuelle sur les questions d’analyse économique et donc statistiques ou sociologiques et démographiques. Je n’aime « l’impressionnisme » qu’en matière de peinture. Ensuite, vient le temps des sentiments et de l’empathie lorsque l’on aborde leurs conséquences dans la vie des personnes qui sont confrontées aux difficultés.

Force m’est donc de constater qu’Yves de Kerdriel manque autant d’intelligence et de rigueur intellectuelle que de cœur puisqu’il reprend sans même les discuter les thèses de Louis Maurin parce qu’elles apportent de l’eau à son moulin ultra-réactionnaire, sans aucun souci pour le sort des « salauds de pauvres ».

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articles de l'Observatoire des inégalités

La misère persiste en France 16 oct. 2012

Qui sont les pauvres en France ? 16 oct. 2012

La pauvreté selon le diplôme  16 oct. 2012

La pauvreté selon la catégorie sociale 16 oct. 2012

La pauvreté selon l’âge 16 oct. 2012

La pauvreté en France 7 sept. 2012

Les seuils de pauvreté en France 6 sept. 2012

La pauvreté selon le type de ménage 16 août 2012

La pauvreté selon l’activité 16 juil. 2012

Les travailleurs pauvres en France 17 juin 2012

Les minima sociaux en France 24 avr. 2012

La pauvreté augmente chez les jeunes mais aussi chez les seniors 23 fév. 2012

Le taux de pauvreté selon le sexe et l’âge 1er sept. 2011

L’accès aux soins des plus pauvres 22 nov. 2007


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