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"Les délits du corps" de Françoise Rey

Par Francisrichard @francisrichard

Françoise Rey, née en 1951, est considérée en France comme une grande dame de la littérature érotique. Ce livre qu'elle publie aujourd'hui est bien différent de ceux qui l'ont précédé. En effet l'auteur se met dans la peau d'un psychiatre, le docteur D.R., qui raconte des cas de délits sexuels auxquels il a été confronté en qualité d'expert judiciaire. Dans une note remise avec son manuscrit à son éditeur, elle s'en explique:

"La sexualité qui me passionne n'est pas que gaudriole. Et je ne prétends pas toujours faire de l'érotisme avec le sexe. Ce challenge de publier un livre inspiré de faits divers graves ou saugrenus sans intention d'exciter qui que ce soit, sans arrière-pensée voyeuriste implique non seulement son auteur, mais l'éditeur qui fait fi des préjugés."

Le narrateur est à la fois écrivain et docteur. Il est donc, dans son genre, une manière de Mister Hyde et de Dr Jeckyll. Car les dix-sept chapitres de ce livre fort, qui ne laisse pas indemne, comportent pour la plupart d'entre eux un commentaire sur un cas rencontré - ou un échange à son sujet avec son assistante Jacqueline -, et un récit pleins d'humanité, suivis d'une conclusion d'expertise très professionnelle, et plutôt sévère, sur les justiciables de ces infractions au Code pénal.

Les textes, qui décrivent les faits reprochés, prennent la forme de lettre, de récit, de confession, de dialogues, de correspondance, de vers de mirliton, de fable, de conte philosophique, de roman interactif etc. Ce qui souligne les multiples facettes du talent d'écrivain de Françoise Rey, capable de passer d'un genre littéraire à l'autre, pour le plus grand réconfort du lecteur sensible à une forme de qualité quand le fond se révèle d'une telle noirceur.

Les justiciables, de tous milieux, qui apparaissent dans ce "journal d'un expert en souffrances", ne le sont pas tous pour des actes d'une égale gravité. Et D.R. ne se prive pas de le dire haut et fort dans ses commentaires. Ils ne sont pas tous poursuivis et certains de leurs débordements ne relèvent finalement même pas de la justice.

Sont condamnés un grand-père qui pratique pendant cinq ans des attouchements sur sa petite-fille pré-pubère; un alcoolique, sodomisé dans son enfance par un oncle, qui viole sa nièce et lui demande de lui administrer une fellation; un obèse qui, trompant la confiance de ses voisins, initie leur fils et un de ses camarades à la masturbation de groupe, comme dans sa jeunesse avec ses camarades d'école; un schizo parano exhibitionniste qui, pris de délire jaloux, tue sa femme et sa petite fille de deux ans etc.

Au milieu de tous ces actes délictueux se retrouve, mis en garde à vue, un jeune homme qui a spontanément claqué la fesse d'une femme à "jupe minimaliste et brassière gorgée". Ce que D.R. estampille du label "foutage de gueule", qu'il illustre en lui donnant la parole en vers:

"Enfin, pour ce matin, ce n'est pas l'appétence

Mais la seule gaieté qui m'a fait lui claquer

Son petit cul moulé, par souci d'élégance,

Dans une étoffe à fleurs étroite à se damner."

N'est pas poursuivi l'employé d'une ferme qui a pourtant sodomisé le fils d'un vigneron après avoir fait subir le même sort au frère aîné de celui-ci - ils ne se sont jamais plaint -, ni l'aîné qui s'est livré sur le cadet aux mêmes turpitudes. D.R. apprend cette histoire par une lettre, postée involontairement par ce cadet, lettre que ce dernier avait en fait écrite pour lui-même. Cette lettre est d'ailleurs le déclic qui conduit D.R. à témoigner des souffrances que son métier lui  fait expertiser.

Ne relève évidemment pas de la justice une femme corbeau adultère qui, cherchant à se débarrasser d'un amant qui s'entête à la revoir, et avec qui elle a beaucoup batifolé, finit par détruire son couple et celui de son partenaire de jambes en l'air, en insistant un peu trop pour qu'il ne la poursuive plus de ses assiduités.

L'histoire la plus sordide est encore la dernière du livre, celle de Gervaise, cette jeune femme, vraisemblablement victime dans son plus jeune âge de violences paternelles, placée dans une famille d'adoption, violée à quinze ans par deux fois par un inconnu dans un bois, soumise aux sévices d'un compagnon déniché sur son lieu de travail, qui est son complice de beuveries et auquel elle offre en pâture ses deux petits garçons, dont le plus âgé a quatre ans et le plus jeune n'a même pas deux ans et qui sont tous deux les fruits de leur union débridée.

Feront grincer les dents de ceux qui, par pudibonderie, se voilent la face et, par bien-pensance, ne veulent pas regarder la réalité en face, la crudité avec laquelle l'auteur rapporte les faits et, surtout, l''empathie qu'elle montre pour tous ces hommes et cette femme, qui sont au minimum des délinquants.

Françoise Rey cherche simplement à comprendre et à faire comprendre ces souffrances morales et ces misères sexuelles, ce qui ne vaut pas pour autant approbation de sa part. Car, dans toutes ces histoires de sexe, les délinquants apparaissent tous pour ce qu'ils sont, pour le moins, de bien sinistres misérables. Et ce livre s'avère en définitive le corps du délit de ces délits du corps.

Francis Richard

Les délits du corps, Françoise Rey, 212 pages, Xenia (à paraître le 23 novembre 2012)


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