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Machines rhétoriques

Publié le 22 novembre 2012 par Rolandlabregere

S’il fallait insister sur la principale caractéristique des sociétés saisies durablement par la communication, il faudrait impérativement mentionner que les procédés argumentatifs concernent tous les domaines de la vie publique et sociale. La rhétorique est omniprésente. Sans s’en rendre compte, comme jadis le bourgeois faisait de la prose pour se la péter comme un gentilhomme, le communicant d’aujourd’hui façonne le discours de figures qui sont supposées faire mouche. Choisir la bonne forme pour créer le buzz ou l’audience. La rhétorique prend l'auditeur ou le lecteur par la main pour les guider afin qu'ils se saisissent du message. La culture numérique en train de s'installer a largement amplifié le recours à la communication construite comme un dispositif qui porte l’argumentation en vue de convaincre des individus ou des foules. Les flux de la communication peuvent être vus comme la consommation électrique d’une mégalopole, à l’image de New-York, la ville qui passe pour ne jamais dormir. L’accélération est intense. A peine un message vient-il jusqu’à nous que le suivant montre ses effets finissants. Dès lors, la rhétorique soutient la pensée. Pour signifier, c'est-à-dire donner du sens, du caractère à tout message, il faut inventer des formulations qui facilitent la compréhension des messages. Pour laisser trace, le message a besoin de générer une démarche cognitive chez le destinataire.

Ça rhétorique fort dans les journaux, sur le Net, dans les bistrots, dans les transports en commun, autour de la table des familles où s’agglutinent les générations. L’oxymore est toujours en tête du TOP 50 des outils rhétoriques. Dans son édition du mercredi 14 novembre, Le Monde, fait la une de son supplément Argent & patrimoine par le titre Pour une finance à visage humain. Certes la présence de la préposition pour laisse entendre qu’il s’agit d’un objectif, sans doute ambitieux, mais l’expression finance à visage humain peut être à double (ou plus) entente. L’expression ne sera pas perçue de la même façon selon que le récepteur est exposé aux risques de la paupérisation ou s’il émarge aux délices du CAC 40. Pour une finance à visage humain, est un oxymore à bonne valeur ajouté. Comme tous ses acolytes, il joue sur la représentation évoquée. Qu’est-ce-que la finance ? A cet énoncé, un militant de l’égalité et de la redistribution réagira tout en rougeur alors qu’un acteur de l’économie solidaire fera effort d’une argumentation appropriée pour défendre le système.  L'oxymore est la figure privilégiée de la manipulation et de l'expression des pouvoirs les plus pervers. Pas étonnant qu'elle soit visible à l'œil nu et qu'elle se rencontre dans de nombreuses argumentations. Parlant des immigrés clandestins latinos, le candidat républicain à la présidentielle américaine, Mitt Romney, s'est toujours déclaré favorable à leur « expulsion volontaire » et proposait de durcir leurs conditions de vie jusqu'à l'usure pour « les encourager » à partir. Il ajoutait le cynisme à l'oxymore en suggérant qu'il faut « leur laisser faire leur choix ». De son côté, l'UMP veut être un «  parti conservateur moderne». (Le Monde, 20 novembre 2012), laissant aux archives les tentatives oubliées de démarches de la droite de progrès. Les rhétoriciens contemporains rappellent l’importance de l’éthos, un des trois piliers de la rhétorique, qui s’appuie sur l’autorité de celui qui s’exprime. Les postures rhétoriques en disent long sur les positions des locuteurs et sur les intentions poursuivies.

Avec le titre La bataille de la Gauche populaire pour éviter un « 21 avril bis », la même édition du quotidien, montre une tournure que d'aucuns pourraient être tentés de considérer comme un oxymore mais qui s'impose en vérité comme une redondance. Il faut que la gauche ait bien manquée de relations au peuple pour qu’un groupe d'élus socialistes en appelle, par un effet d’insistance ou de repentance, à la fondation d’une gauche populaire. Les citoyens engagés à gauche peuvent entendre cette formulation comme un pléonasme. Si la gauche est fidèle à ses valeurs historiques, pourquoi lui adjoindre le qualificatif de populaire ? Naguère, Pierre Bourdieu réclamait dans un manifeste une "gauche de gauche", manière de faire savoir que la redondance hyperbolique résultait d'un certain nombre de constats. Observée d’en face, cette gauche populaire fera sourire les tenants de La droite sociale, véritable oxymore vu de la gauche et ambitieux défi pour la droite.

L’adjectif populaire a le vent en poupe. Les écologistes ont un courant nommé Ecologie populaire. Le groupuscule La droite populaire s’impose comme un oxymore bien national qui refuse d’être confondu avec La droite sociale qui cherche seulement à être populaire. L’UMP entretient une remuante section de Jeunes Populaires. Après avoir eu un destin plus gris que rayonnant avec les démocraties du même adjectif, populaire fait donc un retour remarqué dans notre environnement. Les figures bien corsées frappent fort à la porte des monuments idéologiques. Quand droite et gauche se dotent d’adjectifs partagés aux résonnances définitives, c’est qu’elles craignent d’être prises l’une pour l’autre.

Une ambition de sagesse pour la gauche serait de rester populaire par sa politique et ses décisions. Est-ce un risque que de ne pas accoler populaire à la gauche ?


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