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Rengaine

Par Adabsurdum

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   de Rachid Djaïdani

Curieuse idée que de respecter de façon ultra-orthodoxe le Dogme 95* pour tourner un film dénonçant l'intolérance inhérente aux traditions, cultes, religions et autres formes de sectarisme bien utiles pour contrôler les velléités d'émancipation et de liberté des êtres humains. Ce n'est pas le moindre des paradoxes de ce film mais c'est sans doute le plus insoutenable pour le spectateur moyen pas encore équipé d'une vision stroboscopique à correction d'azimut.

Poussant au-delà du grotesque les règles édictées (puis abandonnées) par Lars von Trier et Thomas Vinterberg, le cinéaste, pardon l'auteur, n'hésite pas à monter la caméra sur le dos d'un chameau parkinsonien en pleine crise, ce qui donne aux prises de vue un aspect chaloupé, voire démantibulé, qui est d'habitude l'apanage des auto-reportages réalisés par les marins ivres lorsqu'ils passent le Cap Horn les jours de tempête.
 
C'est là la véritable innovation de ce film, par ailleurs très classique, qui brise la sacro-sainte règle selon laquelle, la vertu première d'une image est qu'elle soit lisible. L'audace n'est pas dénuée d'intérêt psychédélique et il est louable de vouloir abolir l'une des plus atroces discriminations de notre époque en mettant aveugles et voyants sur un pied d'égalité, mais la radio fait aussi bien et depuis plus longtemps avec moins de moyens.

Ce n'est d'ailleurs pas sans poser un problème de santé publique. Pour peu que le film ait du succès, ce sera par milliers que l'on comptera les victimes de la migraine hystérique déclenchée par l'enchaînement kaléidoscopique des plans joliment bariolés, que n'auraient pas reniés Roland Dorgelès et son âne iconogène.
 
Sans doute s'agit-il d'une allégorie lumineuse et bigarrée de la tourmente qui agite les cerveaux sédimentés dans les coutumes despotiques des protagonistes, mais était-il bien nécessaire de donner le mal de mer au spectateur pour lui asséner ce propos somme toute assez conventionnel : le racisme est partout et c'est mal ?

C'est dommage. Traduire Roméo et Juliette en verlan pour permettre aux relous incultes d'accéder aux bases de la conscience humaine ; associer le mythe occidental de ces sympathiques crapules de Capulets à celui plus mésopotamien des non moins grotesques 40 voleurs ; citer Cinna au cinéma sans cillement de sourcils ni erreur de diction pour affirmer sa francitude et rendre hommage à Auguste (l'empereur, pas le clown) et Corneille (le dramaturge, pas le chanteur) ; transformer le XVIIIème arrondissement en Vérone des temps modernes, c'était plutôt une bonne idée, pas très originale certes, mais chargée d'un potentiel comique hautement corrosif dont les bienfaits, malheureusement, s'estompent dès que le documentaire sur les minorités urbaines prend le pas sur la comédie sentimentale.

C'est dommage car la fluidité linéaire du scénario, qu'en digne enfant du bitume et des murs de béton Rachid Djaïdani a écrit en échangeant son stylo contre un marteau-piqueur, fait pénétrer le message, sans mollir des chevilles, dans les crânes les plus obtus, les cerveaux les plus férocement armés de versets mal digérés, les âmes les plus soumises aux carcans épineux des idéologies de tous acabits.

Malgré ces légers péchés de jeunesse, ne jetons pas la pierre au cinéaste: il est des endroits où on les renvoie à juste titre avec des frondes et je ne sais où le cinéaste habite, alors prudence.
 
Soyons positif, comme disait le professeur Montagnier avant la découverte du Sida. A l'instar de Picasso – qui, lui, faisait la différence entre barbouillage et émotion – observons l’œuvre dans sa globalité tandis que les 40 frères de Sabrina observent, eux, le Ramadan, saine coutume en période de disette, surtout pour les mélomanes qui peuvent annuellement, un peu avant le crépuscule, apprécier les concerts de gargouillis gastriques qui emplissent le métro aux heures de pointe de leurs appétissantes disharmonies. Observons et, malgré le tangage nauséeux des images floues sur l'écran, goûtons au mélange étonnant des sentiments que ce film sait réveiller en nous, même s'ils ont parfois le goût des pilchards à la confiture de framboise et moutarde à l'ancienne. C'est rude mais c'est bon et ça réveille les bobos.

L'histoire est simple comme un délit de faciès.
 
Sabrina et Dorcy s'aiment d'amour tendre sous la verte ramure d'un sycomore des Buttes Chaumont. En bons citoyens conformistes conscients des usages d'une république qu'ils respectent parce qu'elle le vaut bien, ils décident de se marier. C'est sans compter avec les traditions haineuses de leurs familles respectives (familles, clans, tribus, castes, ethnies, communautés, choisissez ce qui vous parle le plus dans l'infini catalogue des sectarismes tyranniques).

Tout est dit.
 
Le chef des 40 arabes, pardon des 40 beurs, enfin rebeux (on ne sait comment s'exprimer pour faire à la page sans faire raciste), bref l'aîné des 40 Frères de l'Intolérance Primordiale se lance alors auprès de sa nombreuse fratrie dans une campagne de porte-à porte anti-hymen, dont le succès mitigé nous inquiète : Slimane le magnifique, amoureux d'une belle juive, aurait-il une âme moins trempée que Titus face à Bérénice ? Va-t-il mollir des genoux ? S'acheminerait-on vers un happy end hollywoodien en totale contradiction avec le parti pris des images grunges, symbole de l'indépendance et de l'auto-production ? Suspense !
 
La violente cordialité de ses échanges en charabia Franco-arabo-prolo-bellevillois, un patois local qui fleure bon le terroir bitumeux et la guinguette orientale, finit en effet par atteindre le cœur sclérosé du grand-frère juste avant la fin du Ramadan et de sa paix protocolaire, et le bonheur règne sur Paris. Amen. C'est beau.

Assez judicieusement, le réalisateur n'a retenu au montage qu'une partie des 39 entretiens nécessaires, ce qui permet au film de s'achever dans un délai raisonnable, c'est à dire avant que la spasmophilie ophtalmique ne s'étende à l'ensemble des spectateurs (seul les astigmates sont touchés, mais il suffit de fermer les yeux en retenant sa respiration pour retrouver le sens de la verticale.)
 
Cela suffit pour faire de Rengaine un bon film dont seule l'instabilité maladive du cameraman (le même sans doute qui oublie de charger la cassette dans le film dans le film, autre référence shakespearienne de l'auteur qui décidément a des lettres à revendre) empêche d'apprécier pleinement la justesse de jeu des acteurs.
 
Les noirs sont vraiment noirs, les arabes vraiment mal rasés, les femmes réellement girondes et le canal de l'Ourcq exactement où il se doit. C'est à une telle précision dans le casting que l'on reconnaît aussi les grands. Sincèrement, ils sont tous très bons et je ne dis pas ça parce qu'ils sont plus nombreux que moi. Rien que pour le plaisir de les revoir, Djaïdani devrait faire un autre film, avec un cadreur à jeun cette fois, merci pour mes yeux.

Courez voir ce film si vous n'avez pas le mal de mer.
 
Courez voir Rengaine s'il vous arrive d'oublier que l'amour est plus efficace que la loi pour assurer la paix, ou de préférer l'ordre à la liberté de votre prochain.
 
Courez voir ce film si l'alibi culturel vous semble encore parfois une explication raisonnable à l'inacceptable.

Pégéo, un jour de plus où l'UMP nous jouait sa version trash des Horaces contre les Curiaces.

* Dogme 95 : courant cinématographique plaçant la frugalité au rang des beau-arts. A consommer avec modération sous peine de faire croire au spectateur que c'est lui qui a bu. cf. Les Vieux Chats.


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