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[Feuilleton] « Avec la peau d’une autre vie » de Claude Mouchard, 11/12

Par Florence Trocmé

 
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Est-ce que je parle trop..., au hasard de conversations... d’O et de son histoire ? 
En quoi parler de la sorte est-il réel  – c’est-à-dire produisant, plus ou moins aveuglément, des effets ?  
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De l’œuvre (à quoi contribuer l’un et l’autre) ? mot enflé – et déplacé ici… ? 
Et pourtant, ce goût de cuisine, cette odeur de jaune d’œuf incrusté à un coin de torchon... 
De l’œuvre qui indéfiniment cuirait, grésillante, se couvrant de bulles à crever... 
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L’entre (en février)… Du chèvrefeuille cornu, presque agressif, tremble à demi desséché dans le froid, il frotte contre la fenêtre, vitre et bois. 
 
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Il essaie (12 nov. 2007, toujours) de m’expliquer les changements politiques. « Jusqu’en 89, il y avait des partis… Mais, le 30 juin 89, un nouveau président » (étrange précision d’O. : « vérifier » ? ai-je noté en 2007) (octobre 2012 : je viens enfin de vérifier sur Wikipédia : « Le 30 juin 1989, el-Béchir, devenu colonel, renverse avec l'aide d'un groupe d'officiers militaires l'instable coalition gouvernementale du Premier ministre Sadeq al-Mahdi. »)  
« Avec le pétrole, il y a tout désormais pour les compagnies. Pour les étrangers (Chinois, Sud-Coréens, Indonésiens, Malaisiens) : hôtels, services, tout se développe. » 
Les étrangers, comment les voyais-tu ? Leur parlais-tu ? 
« Pas question de parler aux étrangers. Ils bougent beaucoup, en 4/4. » 
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O. évoque (le 12 nov. 2007 encore)  les années 95-96-97. Pourquoi ? N’est-ce pas alors qu’on découvre beaucoup  de pétrole ? 
Je lui demande si les étrangers voyaient les exactions qui avaient lieu… 
Il parle alors de cette « sécurité » (security) qui est l’un des fils courant à travers nombre de ses propos apparemment divers. 
 
Il oppose, si j’ai bien compris, la sécurité dont les étrangers opérant au Soudan s’entouraient à celle que les habitants du village essayaient d’assurer par leurs seuls moyens … 
« Tous les hommes célibataires montent la garde la nuit, chacun une fois par semaine, jusqu’à 5 h du matin. On se répartit en petits groupes qui, d’un point à l’autre du bord du village, restent en contact par lampes électriques. » 
Surveiller quoi ? « des irruptions de quelqu’un ou de quelques-uns qui viendraient chaparder ou commettre quelque violence ». 
 
Je recompose plus ou moins – le moins possible – ses phrases (parsemées de « tu vois », « comment tu dis ça », « pas exactement ça »). 
Les Chinois, dit-il soudain, bougent avec une « petite armée »
 
« Les étrangers ont des camps spéciaux, avec la sécurité assurée partout… 
Ce qui se passe, c’est pas leur problème. » 
 
« Ils viennent avec des interprètes. Pas possible de parler. Les Chinois ne parlent pas anglais. » 
« Les Malaisiens parlent chinois, mais aussi arabe, c’est la langue du Coran. » 
 
« Les étrangers sont toujours dans leurs 4/4, avec leur « petite armée ». On ne se touche jamais. Si je passe près d’une de leurs voitures, peut-être leur « armée » va penser qu’il y a un danger… et c’est dangereux pour moi. » 
« On regarde seulement de loin. » 
« Les étrangers bougent beaucoup. Des Soudanais travaillent pour eux un mois, trois mois. Les étrangers payent bien, pas comme les compagnies soudanaises. » 
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Un peu plus tard dans cette conversation particulièrement tenace du 12 nov. 2007, il parle de la terre. De la terre avant la pluie... après la pluie.  
Il a dit alors des choses que je n’ai pas bien comprises – et pourtant... n’était-ce, soudain, pas le plus important ? 
Fièvre et faiblesse de l’attention.  
« se déplacer », dit-il... 
après un silence, il dit (en cherchant le mot... en anglais... je traduis aussitôt) : 
« on fait une frontière »  
(là, je n’ai pas compris de quoi il parlait) (il dit souvent : « tu vois, c’est un peu compliqué ») 
 
« 200 moutons 2-3 personnes »  
Des bergers ? 
« Oui, des personnes que les gens paient »  
(il a fait ça, lui, oui, je crois qu’il a dit qu’il avait fait ça). 
 
C’est des gens qui bougent, lui dis-je, comme des nomades ?  
(J’ai essayé ce mot...  le lançant au-dessus de la table ... dans l’un de ces arcs de paroles en suspens que nous nous aidons réciproquement à constituer et à soutenir un moment)  
Il sourit : « oui. »  
Et il dit : « comme des gitans » (comment connaît-il ce mot ? Où l’a-t-il reçu, dans ses propres errances à Orléans même ? Plus tard, il me parlera des Gitans qui, sur les îles de la Loire, attrapent des hérissons et les font cuire...) 
Deux semaines auparavant, il a accueilli dans sa chambre des Roms, 
une femme et trois jeunes, dont un petit qu’il avait remarqué, garçon couché, malade, silencieux, sur le banc d’un abribus dans la nuit humide et glaciale, 
il les a conduits à la maison, il les a fait entrer dans sa chambre, pour une nuit – lui, il a dormi sur une chaise –, 
une nuit, puis deux...  
(puis ils sont repartis) 
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épisodes 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10,
 
suite et fin vendredi 7 décembre novembre 2012 


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