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Catalogue Global Caribbean IV : Regarder en avant, pas en arrière

Publié le 06 décembre 2012 par Aicasc @aica_sc

Global Caribbean IV: French West Indies & Guiana,

Focus on the Contemporary Expression
Art Basel‐Miami 2012 at the Little Haiti Cultural Center

Global Couv

Conférence de presse le jeudi 6 décembre 2012 à 18H
Vernissage le vendredi 7 décembre de 10h à midi
Cette exposition rassemble pour la première fois à Miami des œuvres de quatorze  artistes des Antilles et de la Guyane française, leur donnant ainsi de manière inédite une visibilité internationale, au sein de la prestigieuse foire Art Basel-Miami. Elle s’accompagne d’une exposition d’enregistrements et de photos d’archives de l’ethnomusicologue  américain Alan Lomax, donnant ainsi un riche éclairage sur la culture et la musique de cette région de la Caraïbe.

Thierry Tian Sio Po(Guyane) Contraintes corporelles

Thierry Tian Sio Po(Guyane) Contraintes corporelles

Regarder en avant, pas en arrière (1 )

 Par Dominique  Brebion,Aica Caraïbe du sud

La présentation de Global Caribbean IV: French West Indies & Guyana, Focus on the contemporary expression au Little Haïti Cultural Center de Miami au moment même où se tient Art Basel dans cette même ville,  invite à s’interroger sur le positionnement de l’art actuel des Départements français des Amériques. Ces derniers, Martinique, Guadeloupe et Guyane française  se trouvent aujourd’hui confrontés à un double défi, leur intégration dans le contexte artistique caribéen et leur insertion sur le marché de l’art international.

Pour des raisons historiques, politiques et linguistiques, la coopération entre les autres îles de la  Caraïbe et les DFA s’est peu développée. Chacun des blocs linguistiques, hispanophone, anglophone, francophone  et néerlandophone continue de privilégier les relations avec l’ancienne puissance coloniale dont il dépendait. De plus, la Caraïbe hispanophone, forte de ses vingt cinq millions d’habitants,   dotée des premiers musées et  biennales de l’arc antillais s’adosse  tout naturellement à l’immense  continent latino- américain alors que les sept îles et les deux archipels de la Caraïbe anglophone, Bahamas et Grenadines,  bénéficient du dynamisme de la diaspora anglo- américaine. Les Départements français des Amériques restent  plus isolés. La présence de la Caraïbe francophone reste discrète en nombre de participants   lors des récentes expositions  centrées   sur cette fraction du monde qu’il s’agisse de Who are more sci-fi than us (2012), de la première triennale de République dominicaine ( 2010) ou  des deux dernières biennales de la Havane ( 2009 et 2012), ce qui du reste est conforme à la réalité démographique puisque sur les trente huit contrées caribéennes, on ne compte que trois DFA.

Si les artistes des Antilles françaises ne sont pas toujours  suffisamment associés à la mouvance caribéenne,  ils ne sont pas non plus encore très  présents sur le plan international comme le sont trois artistes originaires de Cuba ou d’Haïti, Lam, Télémaque ou Kcho, reconnus à la fois par le circuit institutionnel de diffusion et le marché international. Bien appréhender la distinction et le fonctionnement de  la diffusion institutionnelle dans les musées et les biennales des capitales de l’art d’une part et  de l’insertion dans le marché international à travers les galeries ou les ventes aux enchères d’autre part est certainement un préalable primordial à toute stratégie en vue du rayonnement accru des artistes des départements français des Amériques.

Quelle stratégie efficace promouvoir aujourd’hui pour susciter la demande au niveau du marché international si tant est que les artistes en ressentent le désir ?  Comment passer de l’acquisition par des collectionneurs régionaux à la reconnaissance sur un marché élargi?  Y a-t-il adéquation entre les propositions antillaises et les préférences du marché international ? Comment susciter le désir de ces œuvres avec l’appui de musées, de collectionneurs médiatisés, de galeries ?

Mais encore faudrait – il, pour y réussir, une diffusion mieux structurée dans chacune de ces régions. En effet, trop  peu d’institutions publiques se sont engagées dans une diffusion professionnelle de l’art actuel avec ce que cela implique comme programmation sélective, maîtrise technique de la monstration, essor de la médiation, co- productions avec des partenaires extérieurs. La Fondation Clément, centre privé fait figure de pionnier dans ce domaine, comme le démontre d’ailleurs cette collaboration avec le Little Haïti Cultural Center.

Thierry Jarrin(Martinique)

Thierry Jarrin
(Martinique)

En région, la distinction entre,  d’un coté ,  une recherche plastique personnelle, cohérente, fondée sur le questionnement de la pratique, du matériau, de  l’expérience de la perception , du rapport au contexte et,  de l’autre,  des propositions soumises davantage à l’attente décorative  du public peine à être reconnue et acceptée en l’absence de maillons essentiels à la structuration du marché de l’art : musées, centres d’art, sociétés de vente volontaire, galeries professionnelles insérées dans un réseau caribéen voire international. Les transactions hors marché sont la règle  puisque les artistes écoulent eux-mêmes leur production, selon un barème qu’ils ont eux-mêmes définis sans que cela leur permette d’être répertoriés  ou côtés par les instances de légitimation de l’art ce qui exclut quasiment la possibilité d’un second marché.

Une fois ébauchée l’analyse de la place de l’art actuel des DFA au sein du marché caribéen ou international, pourquoi ne pas s’arrêter sur les pratiques artistiques de ces régions et examiner ce qu’elles nous enseignent sur les options des artistes en matière de création. La verticalité, les formes totémiques, les assemblages anthropomorphes  prédominent dans l’exposition  Global Caribbean IV: French West Indies & Guyana, Focus on the contemporary expression  mais  quelquefois veste et chaussures, dans les œuvres de Luz Severino et Christian Bertin,  témoignent de l’absence du corps.

Comment ne pas relever la prépondérance des matériaux de récupération qu’ils soient intégrés dans des assemblages ou des installations. Chacun sait que Picasso a révolutionné la sculpture du vingtième siècle en Europe au moyen de cette technique de l’assemblage, pratiquée par ailleurs couramment par  les arts premiers. Les pratiques contemporaines désormais prédominantes, l’assemblage et l’installation, moins axées sur la maîtrise technique, la matière magnifiée,  l’académisme des formes parfaites accordent la primauté au concept et à la problématique.

   La proximité des assemblages et des installations au sein de cette exposition contribue  à en affiner et à en formuler les caractéristiques distinctives. Composés les uns comme les autres d’éléments hétéroclites, d’objets déchus porteurs de vécu, ils n’appréhendent  cependant pas le matériau de manière similaire. L’assemblage intègre le plus souvent l’objet récupéré en l’état alors qu’il peut y avoir transmutation du matériau dans l’installation : ainsi le papier frit d’Ano ou le papier tressé de Valérie John, contrecollé jusqu’à en devenir dur et rigide comme un bouclier. La relation à l’espace et au spectateur est aussi propre à chacune de ces pratiques : d’une œuvre appréhendée dans un vis-à-vis à une autre où l’on s’immerge et circule.

Lélévation, installation d’Ano, qui ne pourra pas être présentée en fin de compte dans cette exposition pour des raisons techniques, en est un bel exemple.  A la croisée du design, du graphisme, de la scénographie, de la sculpture, Lélévation dialogue avec l’espace et invite le spectateur à la libre déambulation parmi des  colonnes luminescentes aux tons pastels qui  mettent en scène de manière muséale de petits cubes en altuglas peuplés d’ inclusions de miniatures de fil de cuivre et de papier frit. Ces colonnes  s’allument au passage des visiteurs pour s’éteindre aussitôt. Ce retour de l’obscurité rappelle que nous n’entrevoyons jamais qu’une part infime et fugace de nous mêmes. (2)

   Présente dans plusieurs  œuvres, la lumière peut donc avoir  une fonction symbolique comme dans Lélévation d’Ano, représentant l’insaisissable mystère de l’identité (2 )  tandis qu’elle a une fonction plastique et poétique dans les installations d’Ernest  Breleur. Matériau au même titre que les radiographies, les films transparents teintés, les agrafes, intégrée sous forme de rope light ou de mini projecteurs, elle métamorphose la lecture des formes, renforce la visibilité, spectacularise (3 ) l’ensemble .

   L’art contemporain, parvenu depuis Duchamp à la conscience conceptuelle de lui-même recourt à l’auto-analyse et la déconstruction critique. Ano et Thierry Tian Sio Po questionnent le contexte d’émergence de la création dans les Départements d’Outre – mer ainsi que le positionnement de l’artiste caribéen  au sein du contexte artistique international. Le fauteuil d’Ano, lové dans un environnement molletonné mais posé de guingois,  est une métaphore de son inconfort dans l’acte de création en raison de l’histoire de l’art émergeante et de la  tradition plastique non affirmée de sa région (2). Même conviction chez Thierry Tian Sio Po, tout particulièrement  dans L’image de l’occidental dans la peinture caribéenne, remix de l’Olympia de Manet. L’idée de cette œuvre me vient de la conscience de notre réelle incapacité à accéder à « l’art contemporain » dans les langages qui l’initient. Nous sommes très loin des contextes conceptuels de ces langages. Il me semble qu’il y aurait quelque chose à trouver, qui nous lie forcément à l’historique- social, parce que nous n’avons ni 2000 ans, ni 5000 ans d’histoire d’œuvres dans les colonies, seulement 200 ans de construction ou de déconstruction traumatisée(4 ).

Interprétation inattendue d’une œuvre originale, le remix en suggère une nouvelle lecture. Dans la lignée des citations d’Olympia par  Cézanne, Picasso, Dubuffet, Basquiat, Thierry Tian Sio Po (Guyane), comme Larry Rivers (I like Olympia in Black Face- 1970-USA) et Oneika Russel (Olympia Variations – Jamaïque)  revisitent le tableau de Manet.

Si la parodie  de Larry Rivers, fondée sur l’inversion systématique du noir et du blanc, paraît être une condamnation des stéréotypes utilisés pour  la représentation des noirs dans l’art occidental ainsi qu’une critique du contexte américain de l’époque,  dans la  série Olympia d’Oneika Russel, la contestation de ces stéréotypes n’utilise pas l’inversion mais la disparition progressive d’Olympia dans le décor de papier peint pour mettre le projecteur sur sa servante noire. Il y a bien aussi un regard réprobateur  mais le mode opératoire est différent. La parodie de Thierry Tian Sio Po est une réaction à l’hégémonie de l’art occidental, de l’art du Centre sur les productions des périphéries, hégémonie symbolisée par un lourd cadre doré. C’est aussi une invitation à créer de nouveaux langages qui permettent d’échapper à ce regard – cadre prédominant et condescendant du Centre. De même   Contraintes corporelles est une exhortation à se dégager des codes vestimentaires contraignants et inadaptés dans la perspective d’un style et d’un art de vivre renouvelés.

DOMINIQUE BREBION

 AICA CARAÏBE DU SUD

1 Francis Picabia, Aphorismes  391 n°2 Février 1917

2 Eddy Firmin dit Ano, catalogue de l’exposition Lélévation 045-061

3 Ernest Breleur, Entretien août 2012

4 Thierry Tian Sio Po, Entretien  Mai 2012


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