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Interview: serge dorny, directeur général de l’opéra de lyon

Publié le 15 décembre 2012 par Wanderer
INTERVIEW: SERGE DORNY, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L’OPÉRA DE LYON

Serge Dorny

Il se passe toujours quelque chose sous le péristyle de l’Opéra de Lyon:  danseurs de Hip-Hop en performance, ou pendant l’été un café-concert avec orchestre de jazz : jeunesse et vivacité sont les caractères de cette maison qui affiche dans ses statistiques hors public scolaire une moyenne d’âge du public de 47 ans  (moyenne française: 50 ans) et 25% de public de moins de 26 ans, la plus haute proportion de jeunes à l’opéra en Europe. C’est ce qui frappe pour n’importe quelle représentation dans ce théâtre que ce soit Sancta Susanna de Hindemith ou La Traviata de Verdi : la salle de Jean Nouvel est remplie de jeunesse.
96,1% de taux de fréquentation des opéras pour une programmation sans concessions : tel est l’Opéra National de Lyon. 10 ans après son arrivée à la tête de cette maison, la plus importante en France après Paris, Serge Dorny son directeur  formé à l'école belge qui a commencé sa carrière à l'ombre de Gérard Mortier , nous parle de son parcours, de ses idées, et des principes de sa programmation.

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Vous êtes d’origine belge, et il semble y avoir une tradition managériale en Flandres qu’on retrouve à Amsterdam, au festival des Flandres, et à la Monnaie depuis Mortier. Qu’en dites-vous ?

J’ai une reconnaissance profonde pour Gérard Mortier, car j’ai fait mes premiers pas avec lui, comme dramaturge à La Monnaie. C’était une époque extraordinaire où La Monnaie ouvrait  une page sur l’avenir, avec un nouveau processus de recrutement,  une dynamique de jeune couple et une très  jeune équipe sans mémoire collective investie autour du projet de Mortier qui nous mobilisait et nous conduisait .  Ce que m’a appris Mortier, même si nous avons des parcours différents, c’est l’ énergie, c’est l’engagement, c’est la persévérance infatigable et la capacité à communiquer : voilà ce qui m’a guidé et qui m’a inspiré dans mon action.

Comment votre carrière vous a amené à Lyon ?

J’ai un autre parcours que Gérard Mortier, moins linéaire: je n’ai pas fait toute ma carrière dans l’opéra. Après avoir été dramaturge à La Monnaie, j’ai été (comme Mortier d'ailleurs) au festival des Flandres , où j’ai pu développer la notion de saison, de programmation, la notion de dramaturgie, de passerelles artistiques, et puis j’ai été manager du London Philharmonic Orchestra où il a fallu gérer des masses artistiques (comme à l’opéra) qui sont  le noyau d’une maison, pour construire de la qualité, car chœur et orchestre (et ballet) sont les éléments  permanents à qui il s’agit d’apporter  énergie et envie pour que chaque soir ces masses se dépassent. Ainsi mes deux expériences antérieures m'ont permis de construire les bases nécessaires à la direction d’un opéra et connaître les masses artistiques de l’intérieur : ce parcours a été  complémentaire pour travailler à l’opéra.

Que diriez-vous du public de l’opéra de Lyon quand vous êtes arrivé,  et de celui d'aujourd’hui, quelle évolution constatez-vous ?

Il n’y a pas de bon ou de mauvais public. Tous les publics sont bons. Le public de Lyon était fait de fidèles, d’un noyau exclusivement présent qui s’étaient approprié l’Opéra, avec une envie de consommation culturelle très développée. Depuis, la ville et le paysage ont fortement évolué grâce au pôle universitaire qui a attiré des populations très différentes, grâce à l’implantation de multinationales importantes, Euronews, Interpol. Tout cela a permis de développer un public nouveau, jeune, et un public qui pensait que l’opéra ne lui était pas accessible, qu'il appartenait à un public d’abonnés. L’abonnement peut en effet exclure un certain public pour qui « l’opéra c’est complet ». Aujourd’hui, nous avons relativisé la place des abonnements (23%), et la mixité sociale présente dans la cité est aussi présente dans la salle. 25% de notre public a moins de 26 ans, 52% de notre public a moins de 45 ans, cela correspond à la cité telle qu’elle est. Cela me permet d’avoir foi en l’avenir de l’Opéra et de ne pas diriger un mausolée.
Ensuite dans la mesure où ce théâtre est financé par 80% d’argent public, payé par le contribuable, il est nécessaire d’avoir une maison ouverte et accessible à toutes les populations.
Enfin, si on veut que l’art lyrique soit vivant et ouvert, il faut constamment élargir et enrichir le répertoire, pour rendre cet art  riche d’avenir. Cette mixité des publics le permet car ce public très disponible ne revendique pas un certain répertoire traditionnel. Voilà ce que j’essaie de développer à l’Opéra de Lyon.

INTERVIEW: SERGE DORNY, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L’OPÉRA DE LYON

Serge Dorny, @JL Fernandez

Comment caractérisez-vous le répertoire de l’Opéra de Lyon

C’est un répertoire très varié: en 2011-2012, on y  trouve le répertoire traditionnel, Parsifal, Carmen, ou en 2012-2013  Fidelio ou Macbeth, des créations, comme Claude (sur un livret de Robert Badinter[1]). La saison dernière, on y a vu des œuvres rares moins jouées comme Sancta Susanna de Hindemith, Le Nez de Chostakovitch et cette année on verra par exemple Il Prigioniero de Dallapicola. Même Capriccio de R.Strauss n’est pas une œuvre fréquente. Ainsi même quand on écoute du répertoire, on l’entend différemment, sous un prisme complètement différent.

Comment vous situez-vous par rapport à votre rayonnement territorial ?

Les jeunes à l’opéra ? Il y a cette mixité dont je parlais et cette présence des jeunes, il y a des dispositifs tarifaires, chaque année 3000 lycéens de la région y ont accès avec formation des professeurs et rencontres avec les artistes, il y a aussi des jeunes de différents publics dans une démarche qui va au-delà des dispositifs tarifaires, par des actions sur des territoires en grande fragilité sociale:  l'Opéra de Lyon comme acteur citoyen et non pas seulement culturel. Il s'agit de participer à la vie de la cité au sens primaire, de créer une société qui crée de la bienveillance de la cité envers l’opéra, et une relation de reconnaissance mutuelle. On s’approprie l’Opéra de manière différente que dans le passé. L'Opéra donne de la qualité de vie à la cité, à travers les relais associatifs, les centre sociaux. La société désormais revendique l’Opéra, et revendique son financement par la puissance publique. Cela tisse une relation de confiance dans les populations qui font qu’il y a une relation de confiance dans le répertoire choisi (festival 2011-2012 rempli à 95% avec Sancta Susanna, Von Heute auf Morgen, Une Tragédie Florentine)
En région on est présent par des représentations chorégraphiques, par des concerts, mais notre présence dans la région est conditionnée par les coûts et équipements, en gros deux ou trois scènes en région qui ont un équipement technique pour nous accueillir. A l’opéra, seule Grenoble peut nous accueillir. Alors si on ne peut être physiquement présent, deux façons de procéder : développer les petites formes, comme cette saison Der Kaiser  von Atlantis, de Viktor Uhlmann, dont la première est en région, ou comme on a fait Il Tabarro à Saint Etienne, ou La Voix humaine à Grenoble avec Felicity Lott.
Deuxième possibilité, la transmission vidéo qui permet d’aller vers le public, de rencontrer un autre public qui ne vient pas à l’opéra, mais qui ira à la projection. En été, c’est gratuit, en plein air avec une œuvre populaire : on est présent dans toute la région, dans des grandes comme des petites villes. L'Opéra a la capacité de fédérer les personnes autour d’une fête et d’œuvres lyriques. Cela répond par ricochet à cette mission de présence en région en dépassant les contraintes présentes. Cela crée une première rencontre avec l’art lyrique, c'est une force d’ouverture qualitative.

INTERVIEW: SERGE DORNY, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L’OPÉRA DE LYON

© Georges Fessy

La salle de Jean Nouvel: Etes-vous satisfait ?

La salle elle est là, elle l’était avant moi, elle le sera après. Je la prends et je l’accepte. Je ne peux faire autrement. Mais c’est aussi une salle que j’aime. C’est un geste que j’aime parce que quelque part est un geste qui interroge le genre opéra. Nouvel a imposé à un espace ancien autre chose, c'est un regard vers le passé et vers l’avenir. Le bâtiment est une installation d’art plastique et d’art visuel, marqué par la sensualité du noir, la dramaturgie du noir (mat, brillant). Quand on fait ce chemin en tant que personne qui anime cette institution, je me pose des questions: pourquoi? pour qui? comment? Le bâtiment oblige à poser des questions sans forcément avoir les réponses. Dans la salle il y a une concentration visuelle extraordinaire qui est dirigée vers le plateau. Certes, lee bâtiment a des défauts oui, mais quel bâtiment n’en a pas ?

Justement les questions techniques. Comment pouvoir coproduire avec le MET qui a des dimensions très différentes. Comment faire des coproductions avec les théâtres plus vastes comme la Scala, le MET, Vienne?

Nous avons déjà de nombreuses coproductions par le passé, avec le Theater an der Wien (Lulu), avec le festival d’Aix en Provence (Le Nez, Le Rossignol), avec la Scala (Lohengrin, Lulu). Une coproduction part d’une rencontre d’hommes et d’esprits sur un metteur en scène.

INTERVIEW: SERGE DORNY, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L’OPÉRA DE LYON

Parsifal Acte II, production de François Girard ©Copyright Opéra de Lyon 2012

C’est ainsi que l’idée est partie avec Peter Gelb de faire appel à François Girard pour Parsifal. François Girard a fait 70% de ses opéras à l’opéra de Lyon, c’est une longue histoire et une longue complicité entre François Girard et moi. Peter Gelb avait travaillé avec François Girard sur un film. Il a travaillé aussi beaucoup avec la Canadian Opera Company de Toronto. Ce sont ces rencontres appréciées avec François Girard qui ont réuni trois directeurs d’opéra qui s’apprécient. Enfin, c'est une entreprise énorme que de monter un Parsifal : il faut réunir des moyens financiers et humains.
Les dimensions sont très différentes, le MET est très grand et Toronto est plutôt comme nous. Ce qui a été fait à Lyon, c’est la base commune du projet qui sera élargie au MET (on y ajoute des éléments latéraux et en hauteur). Lorsqu’il y a création d’une coproduction avec des scènes très différentes : il était essentiel que la première ait lieu dans le lieu qui avait le plus de contraintes.

Vous avez fait des  Wagner en nombre, Tristan, Lohengrin, Parsifal…
Pourquoi avoir fait Tristan et Parsifal?

Parce qu’ils vont ensemble comme un couple d’opposés. Dans le premier projet de Tristan, Parsifal apparaissait au chevet de Tristan au troisième acte. Et parce que les deux œuvres posent des questions voisines,  elles posent toutes deux la question de la relation homme/femme, l’une résolue par l’abstinence, l’autre par la consommation.

Et Meistersinger ?

C’est pour moi une œuvre absolue, sans doute le sommet. Mais elle pose encore plus de problèmes que Parsifal en termes d’organisation, de masses artistiques et de distribution. Je l’ai en tête, mais il faut résoudre les problèmes.

Dans vos distributions, on retrouve régulièrement les mêmes chanteurs, c’est presque comme une sorte de troupe virtuelle, alors? système de répertoire ou système stagione?

L’opéra de Lyon a un système différent, la vérité entre les deux. Mélange de répertoire et de stagione. La stagione permet de donner du temps et de la maturation aux nouvelles productions. Le répertoire permet de les exploiter. Le système de demain, c’est un mélange, même pour les maisons allemandes. Dans la saison, il y a des périodes d’alternance, pour le répertoire, et d’autres périodes pour les nouvelles productions qui ont du temps pour être préparées. A Lyon, on n’a pas tout à fait cela, mais regardez le Festival qui veut dire une concentration de répertoire sur une période limitée avec une troupe de chanteurs à demeure pour un mois en participant à deux ou trois œuvres. C’est donc ce qu’on essaie de faire à Lyon avec nos moyens. Répertoire avec ouverture quotidienne élargit le public et permet de capitaliser une œuvre pour exister. Ce mélange permet qualité et diffusion. Lyon avec toutes les contraintes qu’on a, on a cette concentration pendant un mois où l’opéra pour le public est un rendez-vous au quotidien.

Comment vous est venue l’idée du Festival ?

Je voulais que l’Opéra de Lyon existe différemment dans la cité, et donc je voulais par des idées et des projets multiples lui donner une autre manière d’exister dans la ville : on pourrait dire que l’activité du péristyle en fait partie par exemple. L’opéra par le Festival se trouve au cœur de la cité au quotidien parce qu’il y a représentation tous les jours, et tous les jours l’opéra est lieu de partage et d’échange. Le Festival c’est souvent une même population qui revient et qui parle de ce qu’elle a vu le soir précédent, de ce qu’ils vont voir le lendemain, qui partage les émotions vécues et des désaccords. Du même coup, dans la ville, l’opéra existe, c’est le chauffeur de taxi, la brasserie, le café, on en parle au cœur du quotidien. Souvent l’opéra reste à la périphérie des occupations d’une cité, ici il faut revenir au cœur des préoccupations, c’est une manière de faire de l’opéra un débat au quotidien, et de mélanger les répertoires, comme l’an  dernier  où l’on a mélangé Trittico de Puccini et des œuvres d’autres répertoires écrites à la même période où tout était possible, arts visuels, cinéma, théâtre, opéra:  Puccini devient le lien de ces diversités.

Cette année vous  proposez en ouverture de saison Macbeth, de Verdi dans une mise en scène de Ivo van Hove. Il y a une école flamande très active dans la mise en scène, Van Hove, Perceval, Cassiers...

Les premiers travaux de Ivo Van Hove au théâtre, c’était du Shakespeare, et cette expérience m’a énormément marqué.C'est un théâtre très engagé qui donnait à Shakespeare une énorme actualité, comme si le texte avait été écrit aujourd’hui. Il donnait une grande lisibilité qui nous racontait. Shakespeare est une littérature universelle qui appartient à toutes les cultures. Van Hove a cette capacité de rendre tout cela pertinent (il vient de faire L’Avare de Molière en ce sens), je voulais revisiter ce Macbeth de Verdi par le biais de Shakespeare à travers Ivo van hove. Il n’a jamais fait le Macbeth de Verdi et pourtant cette pièce l’accompagne depuis le début de sa carrière. Le sujet de Macbeth c’est comment le pouvoir arrive à éliminer tous ceux qui gênent : les sorcières lui disent ce qu’il veut entendre, cela se réalise  parce qu’il le veut. Regardez ce qui se passe aujourd’hui en Syrie. C’est Macbeth. Autour d’Assad, il y a des aiguillons qu’il croit, et qui le poussent. Regardez les oppositions silencieuses, regardez les indignés devant Wall Street ou devant le parlement anglais : ils ne veulent rien de précis, mais ils veulent que cela change.  Tout cela est dans Shakespeare.
L’école flamande au niveau théâtre et au niveau danse, effectivement a  de plus en d’importance. Il y a une grand effervescence dans le nord du pays, c’est un pays politiquement qui se ferme et qui s’ouvre artisitquement, c’est la force de ces artistes que de vivre sur des frontières, d'être écrasés par des frontières, qui sont des enrichissements pour créer de l'identité. La frontière n’est pas une identité . On a besoin d ‘affirmer une identité, c’est ce qui crée une telle écriture de création, un tel vocabulaire qui permet d’être reconnu, de passer les frontières et de devenir universel.

Qu’est ce qui reste à faire à Lyon, avez-vous un rêve?

Pas de rêve. Chaque saison est le résultat d’un rêve. Le répertoire lyrique est tellement vaste, il y a tellement d’œuvres que je souhaite présenter. Comment  les présenter? comment  les juxtaposer ? Depuis que je suis là, on a fait 70 à 80 titres:  il reste une marge énorme, il faut continuer à développer et surprendre constamment, le public, les regards et l’écoute. Il faut continuer à enrichir le répertoire avec des commandes, chaque année il y a une création. Cette année avec Claude Gueux et le livret de Badinter, dans l’avenir un opéra avec un livret de Régis Debray sur Walter Benjamin, un projet avec Michel van der Aa, Sunken Garden. Et puis il y a ce projet d’Opéra citoyen avec ce grand projet de bâtiment dans la périphérie lyonnaise qui s’appelle la Fabrique de l’opéra, centre de ressources, de conception, de fabrication, de répétition, de fabrication, d’insertion autour de l’opéra qui est un gros projet ambitieux. Voilà les rêves!



[1] Robert Badinter, rappelons-le, a fait voter l’abolition de la peine de mort en France en 1981.  Il écrit  là son premier livret d’opéra, à partir d’une œuvre de Victor Hugo qui plaide contre la peine de mort.

INTERVIEW: SERGE DORNY, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L’OPÉRA DE LYON


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