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Démythologiser Dieu ?

Par Tchekfou @Vivien_hoch

La foi chrétienne et le contenu biblique sont souvent pris aujourd’hui pour une mythologie désuette à l’égard des « progrès » de l’époque contemporaine. C’est que la Bible a son fonctionnement propre, saint et sacré ; plus que de nous faire connaitre quelque chose, elle nous appelle à plus grand que nous. Avec son fameux concept de démythologisation, Rudolf Bultmann, le grand théologien protestant du XXème siècle, nous rappelle que Dieu est toujours plus et au-delà de ce qu’on dit de Lui.

Mythologie_demythologisation_theologie

Pour Bultmann, le mythe n’a pas le même statut ni ne relève de la même compréhension, selon qu’il est celui de la démythisation ou celui de la démythologisation :

 Le mythe de la démythisation est en quelque sorte considéré comme une fable, une légende, un conte de fées, qui ne correspond pas à notre manière actuelle et scientifique, par exemple, de voir les choses, le monde, la nature en particulier. Démythiser revient alors à retrancher de la Bible ce qui offusque, contrarie notre raison. La Bible est expurgée, mais elle est ainsi censurée au nom de la raison, d’une exigence rationaliste et réductrice. Une certaine exégèse a souvent opéré ainsi.

 Le mythe de la démythologisation est représenté par le langage religieux en général et biblique en particulier. Il est (et comment ne le serait-il pas ?) une manière humaine, terrestre, mondaine de parler de Dieu. Il suppose toujours une foi en une Transcendance. Il veut par conséquent dire et exprimer Dieu. Mais ce mythe ne peut échapper à un piège : comment puis,-je en effet dire Dieu avec des mots humains ? Une telle prétention est vouée à l’échec. Le seul fait de dire Dieu dans nos mots, c’est déjà.!e trahir. Seul Dieu parle bien de Dieu. Comme j’aime à le répéter : quand je dis « Dieu », ce n’est déjà plus Dieu que je dis. Le mythe de la démythologisation fonctionne ainsi en pleine contradiction : il veut dire Dieu et, ce faisant, il ne le dit pas vraiment. Dieu est transcendant ; il ne nous appartient pas. N’est-il pas hors de notre portée ?

Par et dans mes mots, Dieu dépend de moi, au lieu que je dépende de lui. Dieu devient l’objet de mes raisonnements, au lieu d’être le sujet de ma pensée. Je saisis Dieu au lieu qu’il me saisisse. La Bible, d’ailleurs, est toujours ainsi à la fois Parole de Dieu et parole humaine ; et quand elle affirme « Dieu a dit » c’est, bien un être humain, un croyant, qui me dit « Dieu a dit ».

Ainsi, par le mythologique, je neutralise Dieu,  je le maîtrise et domine ou domestique,  je l’objective ou chosifie,  je le rationalise : il est sous la coupe de mon langage et de mes raisonnements.

Dans de telles conditions, démythologiser consiste à retrouver l’intention première du mythe : une foi en Dieu toute nue. La démythologisation est toujours à reprendre. Mais que l’on ne s’y trompe pas : démythologiser c’est bien dérationaliser (retrouver cette foi originelle), tandis que démythiser c’est bien rationaliser (censurer au nom de la raison).

  »démythologiser consiste à retrouver l’intention première du mythe : une foi en Dieu toute nue. »

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Rudolf Bultmann (1884 – 1976)

On voit là pourquoi confondre ces deux démarches et traduire démythologiser par démythiser aboutit à un résultat diamétralement opposé à la pensée de Bultmann. Il ne s’agit pas, avec la démythologisation, de tailler une Bible à nos mesures, mais bien de lire et interpréter toute la Bible sans en rien retrancher ; il s’agit de voir non seulement ce que le texte dit mais bien aussi et surtout ce qu’il veut dire. Il convient donc de retrouver, à travers une écriture humaine, une parole de… Dieu (venue de lui) et qui m’interpelle dans la foi.

 L’entreprise de démythologisation se veut donc, et elle est, hautement positive. Elle n’est pas une action destructrice et un rationalisme nihiliste. Qu’est-ce que cela signifie et implique ?

La lecture croyante du texte biblique retrouve un Dieu qui nous interpelle (et non la description d’un événement réellement survenu) : il ne s’agit pas seulement avec el!e d’entendre ce que veut dire le texte, mais bien ce qu’il veut me dire et me dire aujourd’hui. Dans celle interpellation va s’opérer ainsi quelque chose qui m’interroge, qui met enjeu et dévoile le sens de mon existence. Je suis en effet placé par cette interpellation divine devant une décision de… foi où je me reconnais dans toutes mes limites, celles de ma condition très simplement humaine.

Ainsi, ma relation à la Bible, à travers la lecture que j’en fais, n’est pas uniquement neutre, tranquillement scientifique, distanciée, voire spéculative et gratuite. Elle appelle une réponse, elle me mobilise, elle sollicite mon adhésion ou mon refus. Cette lecture suppose l’engagement de la foi. Il s’agit d’entendre une parole de Dieu, même dans un texte lourdement humain (« légendaire », par exemple), tributaire, pour le moins, d’une vision du monde qui ne correspond plus à la nôtre. En quoi ce texte me parle-t-il, m’interpelle-t-il comme une parole de Dieu à travers une écriture, un langage, une terminologie et des concepts humains, que ce texte soit historique, narratif, poétique ou de fiction ?

 C’est bien le « sola fide » (la foi seule) qui est ici requis dans cette écoute et cette interprétation et non la seule approche rationaliste, aussi nécessaire est-elle dans l’ordre d’une analyse historique, honnête et désintéressée. Notons, en passant, que la lecture croyante et démythologisante du texte n’est pas nécessairement moins scientifique qu’une autre, puisque le texte biblique a précisément été écrit pour une telle lecture, c’est-à-dire pour susciter la foi.

Le croyant qui s’ouvre à l’appel divin et refuse de s’enfermer en lui-même dit toujours à Dieu la prière d’illumination qui, au cours du culte, précède les lectures bibliques : « Fais taire en moi toute autre voix que la tienne ! ».

Comprendre le texte biblique c’est comprendre qu’il est pour moi une interpellation en forme de relation dont Dieu a l’initiative.


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