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Trouver des moutons à cinq pattes

Publié le 10 janvier 2013 par Camille1617

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Les chaînes de télé s’inspirent de plus en plus de la télé réalité pour tous leurs programmes. C’est du moins l’impression que j’en ai. Pour les différents reportages, il faut toujours trouver plus de gens « bizarres », aux histoires étranges, anormales, la plupart du temps des « cas soc ». Mais pourquoi n’y-a-t-il pas plus de gens « normaux » dans toutes les émissions ?

Pour l’émission Tellement Vrai sur NRJ12, c’était un calvaire. Plusieurs épisodes allaient être consacrés aux « grossesses extraordinaires ». Il fallait donc que je cherche des femmes enceinte d’environ 6 à 7 mois, qui avaient des problèmes de santé qui mettaient en danger la vie du bébé, des problèmes personnels de surcroît  et qui acceptaient de se faire filmer l’entre-jambe le jour de l’accouchement. Pas facile, vous conviendrez. Mais lorsqu’enfin, on avait trouvé l’un de ces spécimens rares qui ne rechignait pas à témoigner à visage découvert, il fallait en plus que son entourage soit d’accord pour être filmé. Compliqué. Et lorsqu’ils étaient tous d’accord, dans la famille, il fallait ensuite acquérir la précieuse autorisation de la maternité pour qu’on puisse y entrer le jour J avec nos caméras et autre matériel audiovisuel. Et lorsque, ô miracle bénit sois-tu mon dieu, nous avions tout cela, il fallait que le timing soit correct. Par exemple, on a eu un cas assez désastreux où la femme enceinte devait accoucher tel jour. La veille, l’équipe de tournage se prépare et s’apprête à prendre le train qui les conduira jusqu’à elle. Quand soudain le téléphone sonne. « Bonjour, désolé de vous dire ça, mais je n’ai pas pu me retenir. Le bébé vient d’arriver. Un tout petit peu en avance. Oups, hihihi ».

Là, c’est l’heure de vous imaginer quelqu’un en train de se tirer une balle en pleine tête. Cette personne, c’est moi.

Parce que toutes les séquences tournées avant l’accouchement ne serviront pas, finalement. Pas d’accouchement, pas de reportage. A la poubelle. Fini. A nous d’en retrouver une nouvelle qui n’accouchera pas prématurément, même d’un jour ou deux.

Comme vous vous en doutez, les personnes qui acceptent de se faire filmer dans de telles conditions, ce sont  souvent les « cas sociaux ». Pas toujours, attention. Ça dépend des émissions. Pour Tellement Vrai, il faut dire que les sujets sont franchement ringards. On s’incruste dans la vie privée des gens sans vergogne pour filmer leur merde et la mélanger devant des milliers de téléspectateurs pour que ce soit drôle. Et ceux qui nous accueillent les bras ouverts pour cela, ce sont ceux qui, tout simplement, rêvent de passer à la télé, à n’importe quel prix. Des cas soc.  

C’est pourquoi il est si difficile de faire du casting pour ce genre d’émission. Des cas soc, il y en a plein, en France. Mais ils n’ont pas tous forcément LA vie de merde qu’il nous faut pour tel ou tel reportage. Alors c’est compliqué de trouver la perle rare. Je tiens quand même à préciser que tous ne sont pas des débiles profonds. Parfois, il arrive qu’une personne « normale », intelligente, et cætera, accepte de témoigner pour nous. Mais c’est généralement pour une raison : faire de leur cas un modèle pour les gens dans leurs situations. La femme qui a deux utérus et un bébé en train de pousser dans chacun d’eux, elle va participer à l’émission parce que, si d’autres femmes sont dans son cas, elle aimerait bien leur lancer un message d’espoir. Oui, vous avez une sorte de malformation, mais non, vous n’êtes pas condamner à ne pas avoir d’enfants de votre vie. Regardez-moi, j’attends des jumeaux ! Enfin, une sorte de jumeau puisqu’ils ne grandissent pas dans le même utérus.

Bref. Passons NRJ12. Tout à l’heure je discutais avec un collègue journaliste. Je lui disais que j’étais stagiaire, encore. Que j’avais été formée pour tourner, mais que lorsqu’on arrivait sur le marché du travail, cette formation ne valait rien. Il fallait passer par toute sorte de boulot pour enfin avoir, avec un peu de chance, l’opportunité de tourner. Pour enfin avoir quelque chose de sérieux à mettre dans le CV. Pour que les différentes entreprises puissent vous engager. Ne serait-ce que pour quelques piges par ci par là. Bref, le sujet habituel. Je suis stagiaire. Je raconte ce que je fais. Ça donne envie de pleurer à mes interlocuteurs. Et lorsque je lui racontais ce que je faisais chez NRJ12 et maintenant chez M6, il a rigolé. « C’est franchement comme devoir trouver des moutons à cinq pattes ». Bel exemple pour définir mon travail.

Donc voilà ce que je fais, les amis. Je chercher des moutons à cinq pattes, la plupart du temps. Des énergumènes qui existent certainement, mais qu’il faut aller chercher loin, très loin. Imaginez-vous un peu le boulot que c’est. A raison de 8h par jour en moyenne, sans compter les heures supp’ et les weekends, et les connards qui vous appellent à minuit pour répondre à votre appel à témoin, je gagner environ 400 euros par mois.

C’est l’heure de vous imaginer quelqu’un en train de se tirer une balle en pleine tête. Cette personne, c’est moi. #Again

En attendant que quelqu’un me donne ma chance, me laisse partir seule ou accompagnée d’un JRI sur le terrain pour tourner un beau sujet. Leur montrer que j’en suis capable, que je sais faire. J’aurai fait un peu de casting pour ça, comme maintenant. Mais ce sera mon bébé. Que j’aurai porté depuis l’idée de sa conception, jusqu’à sa diffusion. En passant par le tournage et le montage. Un bébé dont je pourrais dire : il est intégralement de moi. Et telle une mère après une « grossesse extraordinaire », j’en serais fière.

A force, je vais vraiment finir par devenir chèvre. Ou mouton. A cinq pattes, même, peut-être. 

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